
Photo : Arturo Mari / CVS (Etat du Vatican) / East News
Avant de devenir à Varsovie le fondateur de l’agence de presse East News, Wojtek Laski a été un photographe staff et star de l’agence Sipa press. Comme beaucoup de photojournaliste de sa génération, il doit beaucoup à Gökşin Sipahioğlu auquel il rend hommage en confiant à L’œil de l’info c’est souvenirs de l’époque.
<< Mes aventures avec Sipa Press datent du début des années 1970. Je travaillais alors comme correspondant de l’hebdomadaire italien Famiglia Cristiana et, en parallèle, je coopérais avec Sipa Press. À cette époque, l’agence avait son siège au deuxième étage de l’immeuble situé au 24, rue de Berri à Paris — une rue perpendiculaire aux Champs-Élysées, une place absolument unique en son genre dans le Paris de cette époque.
Photo: Wojtek Laski / East News
C’était là que l’on pouvait apprendre ce qui se passait, où et quand les événements se produisaient. C’était primordial pour notre travail, car en ces temps-là, on ne rêvait même pas encore d’Internet. Pour un photographe professionnel, tous les tuyaux avaient de l’importance. On pouvait s’y informer, acheter des pellicules à des prix intéressants, et quelques points de vente accordaient des remises sur l’achat d’équipement photographique professionnel.
Une ambiance informelle régnait dans les bureaux de Sipa Press. C’est uniquement par son allure que Gökşin Sipahioğlu montrait qu’il était la personne la plus importante de la boîte. En bien peu de temps, je me suis rendu compte que, pour nombre de personnes, Gökşin n’était pas exclusivement le patron, mais aussi le confident de leurs problèmes personnels. J’ai été tout de suite prévenu qu’il valait mieux ne pas emmener de jolies filles à Sipa Press, car on risquait de se les faire draguer. Gökşin s’entourait de femmes qui jouaient également un rôle important dans le bon fonctionnement de l’entreprise.
À titre d’exemple, je ne citerai que sa future épouse Phyllis Springer, ainsi qu’Annie Boulat, plus tard fondatrice de l’agence Cosmos. Il n’y avait pas d’ordinateurs : c’étaient Josette Serrau et Delphine Goux qui assuraient l’archivage de nos clichés. Elles s’occupaient également de la vente de nos photos. À l’époque, le laboratoire couleurs de Sipa Press, dirigé par Louis Moulinier, comptait parmi les meilleurs de Paris. L’irremplaçable Louis Le Roux, dit Loulou, était à la tête du laboratoire noir et blanc. Michel Chicheportiche était l’inégalable vendeur : il connaissait le marché de la presse française et internationale comme personne ! Si Michel Chicheportiche n’existait pas, il aurait fallu l’inventer.
Le temps passait très vite. Les négatifs, les diapositives et les épreuves occupaient de plus en plus de place. Il a fallu chercher de nouveaux locaux, et Sipa Press a déménagé dans le VIIIᵉ arrondissement, rue Roquépine.
Gökşin Sipahioğlu était au courant de mes contacts avec le cardinal polonais Stefan Wyszynski et avec Karol Wojtyla. Je connaissais aussi de nombreux amis de ce dernier. Nous étions en 1978, et le monde entier a appris qu’un cardinal polonais devenait le pape. À cette époque, pas de téléphone portable : Gökşin a trouvé un moyen pour me contacter et m’a ordonné de me rendre immédiatement à Cracovie. J’avais pour mission de collecter le maximum de témoignages concernant le pape polonais.
Dans un premier temps, je m’étonnais de ne pas être envoyé à Rome. Mais son choix s’est avéré fort pertinent. En Pologne, j’ai rencontré les membres de la famille Wojtyla et ses amis qui avaient travaillé avec lui à l’usine Solvay. Les photos que j’ai prises, ainsi que celles d’archives mises à ma disposition, constituent un fonds que Sipa Press continue d’exploiter à ce jour. Lorsque Karol Wojtyla est devenu le pape Jean-Paul II, nous avons commencé à couvrir les premières visites du nouveau pape — un travail de routine. Après son installation au Saint-Siège, j’ai eu deux fois l’occasion de m’entretenir avec Jean-Paul II, alors que je le connaissais depuis bien des années.
La dernière fois, dans l’avion le ramenant à Rome après son dernier pèlerinage en Pologne, j’ai eu le privilège de m’asseoir à côté du Saint-Père, déjà très malade. Je lui ai demandé s’il se souvenait de moi. À ma grande surprise, il a répondu par l’affirmative. Lorsque je me suis enquis de savoir si sa visite l’avait fatigué, il m’a répondu :
— C’est moi qui vous ai fatigués.
Interrogé sur la date de son prochain voyage au pays, il a pointé son index vers le ciel et m’a dit :
— Lui seul le sait…
L’élection de Jean-Paul II a accéléré les transformations en Pologne.>>
(À suivre)
Contexte historique : A la fin des années 1970, nous sommes en pleine Guerre Froide. La Pologne était alors un pays satellite de l’Union Soviétique, sous le contrôle d’un régime communiste (la République populaire de Pologne) qui imposait une forte censure et une stricte surveillance. L’Église catholique était l’une des rares institutions à échapper au contrôle total du Parti communiste. Elle servait de refuge et de lieu d’organisation pour l’opposition et maintenait un fort lien identitaire national
Et pour ne rien louper, abonnez vous à 'DREDI notre lettre du vendredi








