Raoul Minot – Collection privée Stéphane Jaegle / Stéphanie Colaux

C’est à la suite de la découverte d’un album photo de près de 400 clichés noir et blanc de soldats allemands dans Paris que Philippe Broussard, journaliste de Le Monde, entame une enquête de plus de quatre ans afin de découvrir qui est le mystérieux personnage ayant pu prendre de tels clichés. Une plongée au cœur d’une enquête photojournalistique d’un reporter sous l’Occupation à Paris. Passionnant.

« Le photographe inconnu de l’Occupation », ce livre écrit par Philippe Broussard, journaliste à Le Monde, sur Raoul Minot, un photographe parisien du début de l’Occupation, va être difficile à ranger dans une bibliothèque.
Est-ce un livre de photos – il y en a plus de 100 –, un roman policier – puisque le journaliste nous emmène avec lui dans une enquête qui a duré plusieurs années – ou est-ce un livre d’histoire – car on y découvre le Paris occupé des années 1940, celui des gens simples, et les moindres détails de la vie au Printemps, une des prestigieuses enseignes des Grands Boulevards ? Assurément, ce livre comblera les trois lectorats.

À commencer bien sûr par les photographes qui n’auraient pas suivi l’enquête, d’abord publiée en quatre épisodes à l’été 2024 dans le quotidien Le Monde, mais aussi ceux qui auraient déjà tout lu, car non seulement l’enquête s’est poursuivie – ce qui a entraîné la rédaction de ce livre, très loin d’être une mise en forme des textes déjà publiés par le quotidien –, mais l’iconographie s’est particulièrement enrichie avec plus de 80 clichés complémentaires à ceux que l’on a déjà pu voir dans l’édition papier ou celle, un peu plus richement illustrée, pour les abonnés numériques.

Tout débute par hasard, en 2020, sur une brocante du sud de la France, à Barjac dans le Gard, par une chineuse avertie, Stéphanie Colaux, qui découvre un album de 377 photos amateurs prises sans autorisation dans le Paris allemand et une partie de sa banlieue. Des photos sans auteur, bien cadrées et surtout légendées d’une façon intrigante, d’une belle écriture à la plume, aux propos délibérément moqueurs et railleurs envers l’occupant allemand. Telle cette n°54 : « Doux pays que la France où les Fritz peuvent acheter et déguster des glaces », sur une vue de la place de l’Étoile le 27 août 1940 à 19h05. Car ce photographe, resté inconnu pendant des décennies, prenait des clichés au risque de sa vie et, de surcroît, en a fait plusieurs tirages et les a légendés d’une façon quasi méticuleuse. Plusieurs personnages exceptionnels sortent également de l’oubli, tel le directeur du Printemps.

L’auteur nous révèle tous les cheminements de son enquête, ses impasses – elles furent très nombreuses – et bien sûr, la fin que nous ne révélerons pas ici, si jamais vous veniez à découvrir l’histoire. En insistant sur le fait que, si vous vous êtes un tant soit peu intéressé aux propos publiés à l’été 2024, vous apprécierez d’autant plus de tenir en main ce livre, dont on pourra seulement reprocher la trop petite taille de beaucoup de photographies publiées. Mais pouvait-il vraiment en être autrement pour une aussi longue enquête, quand une photo ne peut être montrée sans la légende qui l’accompagne et sans que le livre ne compte 500 pages ? Des photos réalisées avec un Brownie Kodak 6/9, qui montrent parfois en filigrane ce qui se passera à la Libération. Par exemple, avec cette photo n°8 prise le 14 juillet 1940 à 14h, légendée : « Mr Fritz sur les boulevards. Ira-t-il à l’hôtel avec les deux poulettes… Mystère ?… »

Autre intérêt du livre : l’enquête réalisée par Philippe Broussard afin de retrouver l’identité de l’auteur ainsi que son incroyable histoire reçoit l’œil éclairé de Bénédicte Vergez-Chaignon, historienne française spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation. Il ouvre le dossier sensible des photographes professionnels opérant à la même époque et de la difficulté de simplement prendre des clichés sous un régime tyrannique.

Pour compléter la série, Le Monde vient de réaliser une série de podcasts, une autre façon de découvrir cette gigantesque enquête, car de nombreux enregistrements d’époque y sont insérés. Peut-être une exposition suivra-t-elle ? Le sujet le mérite amplement, une belle façon de valoriser ce livre.

 

Le photographe inconnu de l’Occupation de Philippe Broussard,

Éditions du Seuil, 08/2025, 300 pages, 27,90 €

 

 

Thierry Birrer
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