Combattants du Frolina, Tibesti, Tchad, 1976. © Marie-Laure De Decker

La Maison Européenne de la Photographie à Paris présente jusqu’au 29 septembre 2025, une grande exposition du travail protéiforme et malgré tout mal connu de la photographe.

La carrière de Marie-Laure De Decker s’étend sur quatre décennies de la seconde moitié du 20e siècle, où elle documentera plusieurs conflits comme au Vietnam ou au Tchad et photographiera les mouvements sociaux des années 70 ainsi que des personnalités du monde de la culture, la politique, la mode et le cinéma. A la fin des années soixante, elle a la vingtaine, c’est une très jolie fille qui a été mannequin et elle décide de passer de l’autre côté de l’objectif.

Comme elle voulait renter à l’agence Gamma et qu’il fallait avoir fait ses preuves, elle part au Vietnam et travaillera à Saïgon pour le magazine américain Newsweek. Bien que se disant inspiré par Gilles Caron, ce n’était pas une baroudeuse à la différence de sa consoeur Catherine Leroy qui n’hésitait pas à aller au front au plus près du danger. Marie-laure ne photographiera pas les combats, ce n’est pas son truc et elle préférera porter son regard sur les soldats à l’arrière et les civils vietnamiens. Les circonstances dans lesquelles a été faite la photo qui figure sur l’affiche de l’exposition, sobrement intitulée « Vietnam 1971 », éclaire cette décision. Dans un livre paru en 1985 (Profession ? Photo-reporter, Ed. Ch. Massin), elle racontait dans quelles conditions particulières cette image avait été faite. Newsweek lui avait commandé un reportage sur les pilotes des petits hélicoptères très mobiles appelés « Cobras » aux cockpits en verre totalement transparents.

« Ils sont équipés sous les patins, de rockets et volent en escadrilles d’une dizaine environ. Ils étaient précédés d’un « Launch », un hélicoptère capable de déceler toute chaleur humaine, qui leur indiquait l’endroit où ils devaient lancer leurs rockets. Les « Cobras » montaient alors très haut puis piquaient. Nous étions deux à bord, j’étais à l’avant, mais je ne pouvais pas prendre de photos car, à la vitesse à laquelle ils descendaient, nous étions précipités vers l’avant, dans le vide. J’avais très peur, si peur que j’ai pris mon appareil à l’envers et me suis photographiée. (…) Comme il m’était impossible, pour ce reportage, de prendre des photos en vol, j’ai photographié les pilotes à l’arrêt, devant leurs hélicoptères. » Une autre histoire confirme son peu d’appétence pour les horreurs de la guerre. En visite dans un hôpital pour grands brûlés par le napalm que déversent les Américains, elle y voit des enfants qui « ressemblaient à ces lapins que l’on voit chez le boucher quand on leur a enlevé la peau : il ne restait plus rien du visage, seulement de grands yeux noirs. C’était indicible ; l’horreur, la confusion, un basculement dans l’horreur la plus moderne, la plus technologique. »

Ce moment a poussera également à refuser les images choc pour raconter la guerre sous un autre angle privilégiant l’humain à l’événement.

Elle revient à Paris en 1971 et réussit à piger à Gamma, ce qui à l’époque n’est pas un mince exploit pour une femme d’intégrer le macholand d’une agence de news, le milieu étant quasiment 100% mâle. Elle ne sera intégré au staff de l’agence qu’en 1973, quand Raymond Depardon aura pris la direction de l’agence. Elle couvre l’actualité avec en particulier la célèbre photo de Valéry Giscard d’Estaing se regardant à la télévision, le jour de son élection en mai 1974. Puis, en 1975, elle se rend au Tchad avec Raymond Depardon et, à cette occasion, rencontre Françoise Claustre, captive de rebelles tchadiens dans le désert du Tibesti. Elle retournera plusieurs fois dans cette région et c’est là qu’elle fera ses images les plus connues.

Elle quitte Gamma en 1979 pour devenir indépendante.

« La petite agence du début était devenue une très grosse machine. L’esprit jeune et enthousiaste s’était transformé en celui d’une entreprise commerciale obéissant aux lois du marché. Tout s’est cristallisé sur l’affaire Pierre Goldman (…) assassiné à Paris. (…) Les photographes sont partis faire des photos de son corps. Quand ils sont revenus, l’un d’eux a dit : « C’est pas une bonne histoire, il y avait juste trois taches de sang sur le trottoir. C’était là un esprit trop contraire au mien. » 

Suivront des reportages en Union soviétique, aux États-Unis, au Chili à l’époque de la dictature, en Chine et en Afrique du Sud alors en plein apartheid. Parallèlement, elle photographie depuis ses débuts Gilles Deleuze, Marcel Duchamp, Patrick Modiano, François Mitterand, Gabriel García Márquez, Françoise Sagan, Serge Gainsbourg. En 1986, elle collabore au magazine Studio et commence un travail de photographe de plateau et se liera d’amitié avec Catherine Deneuve qu’elle suivra à l’occasion d’autres films. En 1987, à la naissance de son second enfant, elle se lance dans la photographie de mode et de publicité pour de nombreux magazines, dont Vogue.

L’exposition couvre cette carrière aux multiples facettes en 290 images et présenter le travail d’une femme jusqu’à présent assez peu montré. C’est toujours une bonne chose, signe d’une tendance louable de redonner aux autrices la place qu’elles méritent. Cependant, cette profusion de photos dont certaines dispensables, affaibli cet hommage légitime et une sélection plus serrée aurait été préférable.

« Marie-Laure De Decker, l’image comme engagement », jusqu’au 29 septembre 2025, Maison Européenne de la Photographie, Paris.

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 Dernière révision le 21 juin 2025 à 11:21 am GMT+0100 par la rédaction

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