Cité interdite, Pékin, Chine, 1957. © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au Musée Guimet

La Villa Tamaris, dans la rade de Toulon, présente une grande exposition consacrée à Marc Riboud, dont les nombreux voyages sont présentés faisant une part belle à l’Asie et aux autres pays où le photographe a bien souvent voyagé.

En 1955, via le Moyen-Orient et l’Afghanistan, Marc Riboud se rend par la route en Inde, où il reste un an. De Calcutta, il gagne la Chine en 1957 pour un premier long séjour avant de terminer son périple en Extrême-Orient par le Japon où il trouve le sujet de son premier livre : Women of Japan. En 1960, après un séjour de trois mois en URSS, il couvre les indépendances en Algérie et en Afrique subsaharienne. Entre 1968 et 1969, il effectue des reportages au Sud ainsi qu’au Nord Vietnam, où il est l’un des rares photographes à pouvoir entrer. Dans les années 1980-1990, il retourne régulièrement en Orient et en Extrême-Orient, particulièrement à Angkor et Huang Shan, mais aussi pour suivre les changements immenses et rapides de cette Chine qu’il connaît depuis trente ans.

L’exposition se décline en 150 tirages répartis harmonieusement sur deux étages du magnifique écrin qu’est la Villa Tamaris. Les tirages sont suffisamment grands et l’espace assez vaste pour que l’on puisse profiter confortablement de la qualité des images dans une déambulation tranquille au fil des différents périples de l’auteur. On retrouve ici de nombreuses oeuvres majeures qui sont la démonstration d’un grand talent de la composition. Des photos comme celles de fenêtres d’antiquaire à Pékin ou des rives du Gange sont des modèles de construction d’une image. L’utilisation bien pensée des lignes, formes et cadres dans le cadre créent une structure visuelle rigoureuse apportant profondeur et équilibre, la photo du peintre de la Tour Eiffel en étant un bon exemple. Riboud maîtrisait parfaitement les règles classiques comme celle des tiers et savait placer habilement ses points d’intérêt aux intersections de lignes de force imaginées, créant des images harmonieuses et équilibrées, naturellement plaisantes à l’œil. Cette capacité à allier une rigueur formelle très maitrisée à un sens inné de l’observation et de l’anticipation, le tout au service d’un message profond et d’une vision humaniste du monde, font de l’oeuvre de Marc Riboud un élément essentiel de l’histoire de la photographie et du monde.

Entretien avec Cyril Bruneau,

directeur artistique de l’exposition

Pourquoi Riboud ? Quelle est l’intention artistique de cette exposition ?

On a voulu exposer Marc Riboud parce que c’est un des grands photographes français, qui a marqué son époque, qui a une oeuvre qui est absolument fantastique et qu’on voulait faire partager aux visiteurs de la villa Tamaris. Et surtout c’une oeuvre qui est intéressante à exposer dans un lieu grand comme ici parce que comme il a beaucoup voyagé, on a pu faire un parcours de ses différents voyages à travers le monde et c’est ça qui nous intéressait, d’avoir un peu de tout cela en même temps. Ce qui est intéressant chez Riboud c’est que quand on voit les photos, que ce soit au Vietnam ou en Chine, on peut voir que chaque voyage est traité à chaque fois d’une manière très particulière et c’est intéressant de les mettre en parallèle et d’avoir les deux de visu dans la même exposition.

Quel a été votre rôle en tant que directeur artistique dans la conception de cette exposition ?

Mon rôle c’est de choisir l’artiste, ensuite choisir les photos que l’on va exposer, faire la scénographie et définir les différents univers. Et puis transformer un peu le lieu pour s’adapter aussi aux photos. C’est donc un peu une rencontre entre les photos et le la Villa.

Le voyage est le fil conducteur. Pourquoi avoir choisi ce thème en particulier ?

Parce que ça correspond bien à la personnalité de Marc Riboud qui était un éternel voyageur. Quand il partait, c’était sans penser à la date du retour, c’est-à-dire qu’il restait le temps qu’il fallait et il pouvait partir des mois, parfois même plus longtemps, sur de longues périodes, c’était vraiment le voyageur par excellence. Il y a une photo que j’aime beaucoup qui représente un peu cet état d’esprit, une photo qu’il a prise en Turquie où on voit une tortue qui traverse la route et au loin une voiture qui s’en va. En fait, la tortue c’est lui, il prenait le temps quand il voyageait.

Concernant l’organisation de la thématique, est-elle chronologique ou il y a une autre approche ?

Je ne voulais pas avoir seulement une approche chronologique, même si l’expo commence par des photos qu’il a faites au début, mais toujours en rapport à ses voyages, qu’on commence par la France, puis après il y a l’Angleterre, la Russie, on s’éloigne ensuite en Yougoslavie, on passe au Moyen-Orient avec la Turquie. Après, l’Afghanistan, l’Inde, etc. Ca c’est une première partie au premier étage, et ensuite au deuxième étage, ce que j’ai voulu c’est confronter ses différentes visions de la Chine. Quand il est allé une première fois en là bas, il a trouvé le pays vivant dans une espèce de tradition ancestrale avec une agriculture qui ressemblait un peu à celle du Moyen-Orient, avec des bœufs dans les champs, etc. Et puis à peine 10 ou 15 ans plus tard, il revient et là c’est la Chine moderne, la Chine avec des constructions partout, des buildings, l’apparition de la publicité, le monde moderne qui arrive très vite. C’est vraiment une autre vision de ce pays, un peu plus méditative aussi avec les paysages brumeux des monts Huangshan. Ce sont trois visions différentes, trois univers, et c’est étonnant voir ensemble parce qu’on observe vraiment les différences et c’est passionnant de les mettre en parallèle.

Marc Riboud a eu une longue carrière et a laissé une œuvre abondante. Comment s’est fait le choix des images ?

Assez simplement en fait. Il y a des photos qui ressortent parce qu’elles ont une force, un peu plus que les autres mais on ne peut pas non plus tout montrer, donc on essaye de choisir les images les plus remarquables.

Plus personnellement, que représente pour vous l’œuvre de Marc Riboud ?

Il y a des photos qui me marquent dans le sens où c’est des vrais bijoux de composition. Je ne sais pas s’il y a d’autres photographes qui composent de manière aussi géométrique leurs photos. Lui il excellait là-dedans et je crois qu’il surpasse beaucoup d’autres photographes. C’est comme de l’horlogerie, on voit que tout est composé de manière incroyable. On se dit qu’il a dû attendre, patienter, on sent qu’il a pris le temps, parce que ce n’est pas quelque chose que l’on capte comme ça par hasard. Il lui a fallu réfléchir, composer, attendre que les éléments se positionnent dans le cadre. Et il y a beaucoup de ses photos qui sont comme ça, très étonnantes.

Après cette exposition, avez-vous d’autres projets en préparation ? Pouvez-vous nous en dire un mot ?

A priori il va y avoir Salgado, ensuite Bruno Barbey, on a pas mal de projets en cours.On avance nos pions avec différents photographes en espérant que ça se conclue, mais je ne peux donc pas les dévoiler pour l’instant, On a pas mal d’autres idées aussi, mais parfois les choses ne se font pas au moment où on le souhaite, elles se font un peu plus tard, et parfois, il y en a d’autres qui arrivent quand on ne s’y attendait pas. Ce n’est pas toujours simple d’avoir autant d’œuvres que ce que l’on expose habituellement parce qu’on bloque beaucoup d’images de l’auteur en même temps. Il ne faut pas qu’elles soient déjà prises ailleurs pour d’autres projets, donc le timing est important.

Est présentée en parallèle une exposition d’images réalisées en Inde par Caroline Abitbol, photographe, réalisatrice et metteur en scène de théâtre. Après une maitrise d’audiovisuel à Paris VII et plusieurs années de travail dans le cinéma, elle se consacre à la photographie. Encouragée par Marc Riboud et Henri Alekan avec lesquels elle travaille, puis par Édouard Boubat au milieu des années 80, elle trace sa voie. Ils resteront des conseillers et des amis précieux tout au long de leurs existences. Son regard interroge les visages, les corps, l’espace et la lumière, dès le début visible dans son travail sur les peintres en atelier puis sur les danseurs de l’Opéra Garnier. En 1996, elle découvre l’Inde et un coup de coeur pour ce pays l’y ramène fréquemment, surtout à Varanasi, dans l’Himalaya et plus récemment à Mumbai ainsi qu’au Bengale où elle s’intéresse aux Bauls, musiciens mystiques itinérants.

Exposition à la Villa Tamaris, La Seyne sur Mer, jusqu’au 21 septembre 2025

 

Gilles Courtinat
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