Numéro 1 du magazine Days Japan édité par Kodansha. Photo du prince Charles et Lady Diana, une photo signée Geordes de Keerle / Gamma / Impérial press.

TOKYO – Days Japan a marqué le monde du photojournalisme sur plus de trois décennies. Le magazine est né en avril 1988 et, dès l’origine, il oscille entre sujets people et reportages de fond, guerre et société. En faisant appel aux photographes des plus grandes agences de l’époque. Il devient un partenaire remarqué à Visa pour l’image créé l’année suivante. Le magazine est édité par Kōdansha Ltd, l’éditeur le plus puissant à cette époque au Japon.

Days Japan, c’est un peu la recette de Paris Match. Le numéro 01 propose en couverture Lady Di et le prince Charles, une photographie signée Georges de Keerle de Gamma et Impérial press pour la diffusion au Japon.  Avec les Days pictures, le lecteur, généralement un cadre salarié, la cible du lectorat, est plongé dans la première intifada à Gaza. A la page suivante, il est face à une baleine à bosse en double page ;  et,  découvre, en feuilletant, l’envers du capitalisme. Plus avant dans la rubrique Human document, il découvre les premiers reportages sur les guérilleras en Amérique du Sud…

Days Japan première version

Numéro 3 du magazine Days Japan edite par Kodansha .
Ryuichi Hirokawa en 2016 Photo Agence media palestine

 

Dans la première version du magazine, les sujets sensibles ne manquent pas : les centrales nucléaires et leurs ratés par exemple. Ces sujets annoncent les contaminations radioactives et les cas de leucémies de three miles Island, de Tchernobyl et, de Rokkasho. Le nom du photojournaliste Ryuichi Hirokawa apparait déjà comme membre du staff du journal, c’est un reporter reconnu en particulier pour son travail sur la catastrophe de Fukushima. C’est une figure centrale de Days Japan.

Days Japan collectionne les pages de publicité pour les montres, les stylos ou les cigarettes Dunhill… A la rubrique lifestyle, le magazine fait découvrir à la société japonaise, l’american way of life. Le lecteur se voit proposer des cours de golf ou l’art de pratiquer un bon swing. Tout cela mélanger a des portraits de chefs d’entreprise américains a grosses moustaches à la mesure de leur réussite sociale supposée. Les recettes publicitaires de cette première version de Days Japan s’élevaient à 110 millions de yens (environ 700K€)

La rédaction propose un contenu intelligent fruit du travail des reporters de guerre et incite le lectorat à prendre conscience des enjeux actuels et futurs. C’est le rôle de la rubrique one shots longuement légendés sur des doubles pages. Parmi les grandes agences qui signent les premières couvertures : Gamma, Sygma, Magnum, Paris Match, et les japonnaises : Orion Press, PPS, Impérial press. Entre investigations et one shot, les rédacteurs rapportent des biscuits et les photographes des évidences crues qui s’accordent au récit.

Les derniers numéros de l’ancienne édition de seront affectés par des baisses des ventes suite à un scandale : Agnès Chan, une chanteuse taïwanaise populaire devenue ambassadrice de UNICEF aurait été excessivement rémunérée pour une conférence organisée par le magazine. On parle d’un à deux millions de Yens, un tarif bien au-dessus des prix en vigueur, selon un journaliste spécialiste médias. Mais, au sein du groupe Kodansha ltd les rivalités ne manquaient pas entre rédactions alimentées par le niveau des salaires des employés de Days Japan

Days Japan 2ème version

En avril 2004, la revue change d’éditeur : Ryuichi Hirokawa, collaborateur régulier de l’ancienne mouture reprend la rédaction et la direction de la revue comme rédacteur en chef. Il est auréolé de ses reportages passés, notemment à Tchernobyl, mais également en 1982 à Beyrouth pour le massacre de Sabra et Chatila qui « lui ont valu de témoigner à Oslo et à Genève lors d’auditions internationales. Son travail sur les villageois palestiniens expulsés s’est traduit par un documentaire en 2008 : Palestine 1948, Nakba » comme le note Philippe Mesmer, le correspondant du Monde à Tokyo.

Fini le contenu people, place aux enjeux concrets pour la démocratie japonaise. L’ancienne version de 270 pages est remplacée par une édition plus légère entre 60 et 64 pages, centrée sur la crudité du réel avec très peu de publicités et un prix qui passe de 500 à 820 yens ( 4 et 7€). Une formule par abonnement et la vente d’anciens numéros font tourner la boutique.

Les collaborations de la revue sont alors plutot des « agences filaires », l’AFP, Reuters, AP et des agences magazines comme VII ou Noors. Les signatures de la nouvelle formule sont prestigieuses : James Nachtwey pour la guerre en Tchétchénie, Sebastien Salgado et le désert de sel. Hirokawa signe une enquête fouillée sur les bombes à fragmentation y associant plusieurs photojournalistes de la guerre en Irak.

En couverture, aux couples people de l’ancienne version publié par Kodansha Ltd, succède la photo d’un père arabe qui tient dans les bras sa fille ensanglantée victime d’une bombe à fragmentation. La revue devient alors plus internationale, on la trouve à Perpignan pendant le festival et son fonctionnement semble plus horizontal avec des intervenants de la société civile comme Keiko Ochiai (autrice et activiste féministe) et la photographe Donata Ferrato qui signent un reportage sur les violences domestiques.

Après la catastrophe de Fukushima, le couple d’humoristes Mako Oshidori et Ken. Ils tiendront une chronique régulière sur les évolutions de la catastrophe nucléaire. Ils assistent et rapportent systématiquement toutes les conférences de presse de l’opérateur Tepco. Ils posent des questions techniques et précises qui fâchent et rapportent de manière critique les premiers reportages sur l’enquête visant les premiers cancers de la thyroïde .

Le monde associatif et des ONG japonaises participent à la revue en la vendant dans des festivals humanitaires et syndicaux. La revue vendue en librairies et sur abonnement s’engage sur les transformations sociales et politiques du Japon en soutenant le mouvement  « nucléaire zéro».

L’appel aux ONG et aux politiques permet un maillage du Japon et de développer un réseau d’informateurs en dehors du contrôle gouvernemental. Pour pallier la dureté des images de guerre et de crises sociales et humanitaires, une rubrique de la première version a survécut : elle montre des photos animalières. L’écologie y était déjà un thème central dans les pages du magazine.

Le slogan de la nouvelle version « une photo peut émouvoir toute une nation » et « Le jour viendra sûrement où la volonté du peuple mettra fin à la guerre » dit bien les ambitions de ce magazine. Days Japan va proposer un concours annuel photo avec un jury professionnel international sous l’appellation Days Award et envisager plusieurs rédactions autonomes internationales en Corée, en Birmanie et une édition en langue anglaise intitulée Days International.

La débandade

La publication dans le magazine à scandales Shukan Bunshun du témoignage d’une vicitime accusant Ryuichi Hirokawa d’agressions sexuelles est un coup de tonnerre.

« Lors d’un reportage à l’étranger avec M. Hirokawa, elle (ndlr : une étudiante en journalisme) découvre qu’une seule chambre a été réservée. Ryuichi Hirokawa l’aurait alors soumise à un chantage : « Les hommes que nous allons interviewer veulent coucher avec toi car tu es une étrangère. Tu choisis quoi ? Coucher avec eux ou alors seulement avec moi. » « J’ai littéralement été violée pendant deux semaines, explique-t-elle au Shukan Bunshun. Je voulais fuir mais je n’avais personne à contacter dans un pays inconnu. » (in Le Monde du 11 février 2019).

<une enquête interne de la société éditrice du magazine, conclut au licenciement du rédacteur en chef. L’éditeur, dans les pages du magazine, présente ses excuses pour les comportements contraire à l’éthique que Ryuichi Hirokawa que lui même a reconnu.

La fin de cette revue n’est pas due à une censure gouvernementale ou d’autres problèmes de ce type même si les sujets traités, permettrait de le penser. Non, il s’agit d’un problème d’hubris de Ryuichi Hirokawa, accusé par sept plaignantes d’organiser des rendez-vous intimes sous la promesse d’une belle évolution professionelle moyennant des relations intimes accompagnées de séances de photos…

Faute de rédacteur en chef et de fonds pour faire fonctionner le magazine, la revue a cessé de publier laissant orphelin tout un lectorat attaché à l’image et aux valeurs de paix, de féminisme et de justice sociale et environnementale que véhiculait le contenu de la revue .

Le dernier numéro ne contient que quelques photos du mouvement metoo et une photo de manifestation contre des bases américaines au Japon où des soldats américains y ont été accusés de viol d’une jeune japonaise. Le reste du numéro aligne les témoignages des avocats de deux des victimes, les excuses de l’éditeur, des textes de féministes célèbres et de responsables d’ONG, ainsi qu’un rapport détaillé de l’enquête interne et des questions posées à Hirokawa qui y fait acte de contritions .

Parmi les anciens salariés, c’est l’incompréhension et la colère d’avoir perdu leur emplois pour lesquels ils se sont investis qui demeurent encore . Dans le dernier numéro, Mako Oshidori, ancienne membre du comité éditorial, ne cache pas son ressentiment. Quand L’Oeil de l’info l’a contacté, elle et son compagnon, ne savent pas quoi dire aux victimes. Et, elle dit ne pas comprendre pourquoi Hirokawa est encore soutenu par certain.

Pierre Boutier