Le photographe britannique Chris Steele-Perkins, membre historique de l’agence Magnum Photos, est décédé le 8 septembre 2025 au Japon, à l’âge de 78 ans. Pendant près de cinq décennies, il a incarné un photojournalisme exigeant et profondément humaniste, qui a traversé guerres, famines, révoltes et scènes de la vie quotidienne avec un regard à la fois critique et empathique.

De Rangoon à Newcastle : les racines d’un regard

Le photographe Chris Steele-Perkins naît le 28 juillet 1947 à Rangoon, en Birmanie, d’un père britannique et d’une mère birmane. Peu après, la famille s’installe en Angleterre. Étudiant la psychologie à Newcastle, il découvre la photographie presque par hasard. Très vite, l’appareil devient pour lui un outil d’exploration, de compréhension du monde et de ses fractures. Ses premiers reportages s’intéressent aux marges de la société britannique : quartiers défavorisés, minorités, sous-cultures. En 1979, il publie The Teds, une plongée au cœur de l’univers des “Teddy Boys”, symbole d’une jeunesse ouvrière en quête d’identité. Ce travail fondateur attire l’attention et consacre déjà un style : frontal, sans concessions, mais attentif à la dignité des individus.

Magnum, la consécration

La même année, adoubé par Koudelka, Steele-Perkins quitte l’agence Viva (1972 – 1982) pour rejoindre Magnum Photos, où il restera jusqu’à la fin de sa vie. L’agence, héritière d’Henri Cartier-Bresson et de Robert Capa, devient son port d’attache et le lieu où il affine son rôle de témoin du monde. Il couvre les troubles en Irlande du Nord, le Liban, l’Afghanistan, et signe en 1992 des images marquantes de la famine en Somalie. Ses photographies de camps de réfugiés et de villages dévastés sont devenues emblématiques d’un photojournalisme qui refuse le spectaculaire pour mieux s’attacher à l’humanité des victimes.

Un œil sur l’Angleterre

Parallèlement à ses reportages internationaux, Steele-Perkins n’a cessé de scruter son propre pays. Avec The Pleasure Principle (1989), il s’attache aux loisirs des Britanniques sous Margaret Thatcher, révélant, derrière la légèreté des fêtes, une société traversée par les inégalités et les fractures sociales. Sa trilogie britannique, The Teds, The Pleasure Principle, puis England, My England (2009), constitue un portrait sans fard d’une nation en pleine mutation.

Un pont entre Londres et Tokyo

Japan. Tokyo. Shibuya

Marié à une Japonaise, Chris Steele-Perkins a partagé sa vie entre Londres et Tokyo. Le Japon était devenu pour lui une terre d’adoption et une source constante d’inspiration photographique. En parallèle, il mènait un projet ambitieux, The New Londoners, célébrant la diversité de la capitale britannique à travers des portraits de familles venues du monde entier. Cette série, qui résonnait avec sa propre histoire métissée, se voulait une réponse au Brexit et un appel à une Angleterre ouverte et plurielle.

Héritage et reconnaissance

Au fil de sa carrière, Chris Steele-Perkins a publié plus d’une douzaine de livres et exposé dans les plus grandes institutions. Ses pairs saluaient en lui un photographe capable de conjuguer rigueur documentaire et sensibilité artistique. « Il ne s’agit pas seulement de montrer le monde, mais d’essayer de le comprendre. » confiait-il. Humaniste avant tout, il considérait la photographie comme un moyen de créer du lien plutôt que comme une fin en soi. Ceux qui l’ont croisé se souviennent d’un homme attentif, d’une grande et saine curiosité et d’une modestie rare pour une figure de son envergure.

Un témoignage précieux

Avec sa disparition, Magnum perd l’un de ses membres les plus anciens, et le photojournalisme l’un de ses regards les plus pertinents. Chris Steele-Perkins laisse derrière lui une œuvre dense, traversée par un fil rouge : le souci de raconter les autres, qu’ils soient marginaux, victimes ou simplement acteurs du quotidien. À travers ses images, il aura montré que la photographie n’était pas seulement affaire d’esthétique, mais un langage universel pour dire la dignité, la fragilité et la beauté du monde.

 

Gilles Courtinat
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