Heaped Blacks Ollas, 1926. © Edward Weston

Une exposition, issue de la collection du Wilson Centre for Photography, présentée à la Maison Européenne de la Photographie à Paris, met en lumière le passage radical de Weston du pictorialisme, un style esthétisant inspiré de la peinture, à une approche moderne très épurée, précise et sans fioriture.

Après le départ, si ce n’est l’éviction, de son directeur Simon Baker, La MEP est à la croisée des chemins. Selon son président Jacques Bungert, ce nouvel accrochage est présenté comme l’inauguration d’une nouvelle ère pour cette institution. Pour faire court, la future programmation s’articulera comme suit: des expositions majeures consacrées à une grande figure de l’histoire de la photographie, disons des « valeurs sûres», accompagnée d’expositions périphériques plus modestes centrées sur la production contemporaine et ce que l’on appelle les talents émergents. Pas vraiment une révolution au regard de ce qui se faisait déjà jusque-là, peut-être une orientation plus grand public et moins élitiste dans un subtil équilibre à tenir entre accessibilité et innovation. Est ce que cela sera suffisant pour redresser la barre d’une maison qui a connu des jours meilleurs et dont la précédente mandature fut marquée par une lente mais sensible érosion de la fréquentation ? L’avenir le dira et on ne peut que le souhaiter, mais le défi est quand même d’importance.

Depuis la fondation de la MEP, l’offre s’est sérieusement étoffée avec l’arrivée dans le bac à sable de musées initialement orientés beaux arts et d’autres organisations comme la fondation Henri Cartier-Bresson, sans oublier les foires et festivals qui rythment le calendrier parisien ni les centres d’art, instituts culturels et autres initiatives, même la RATP s’y est mise. A cela, s’ajoute une foultitude de manifestations gratuites, une activité des galeries spécialisées toujours soutenue et une situation économique qui pousse aujourd’hui l’amateur de photos à réfléchir avant d’ouvrir sa bourse. Bref, la concurrence est rude. En attendant, ne boudons pas notre plaisir avec l’exposition Edward Weston, classique parmi les classiques s’il en est.

L’œuvre d’Edward Weston (1886-1958) retrace l’un des tournants les plus décisifs de l’histoire de la photographie. Né dans l’Illinois, il reçoit son premier appareil photo en 1902 et, après une formation à l’Illinois College of Photography, il dirige un studio de portraits en Californie, de 1911 à 1922. Durant cette période, il pratique la photographie dans le style pictorialiste, alors très en vogue, un courant raffiné calqué sur les codes de la peinture, qui lui vaut reconnaissance critique et succès commercial.

Cependant, au début des années 1920, le photographe amorce un changement stylistique radical, s’éloignant du flou et des effets romantiques utilisés jusqu’alors pour se tourner vers une esthétique résolument moderniste. Ce tournant se manifeste par un style quasi chirurgical où il simplifie ses cadrages, élimine les artifices et privilégie l’étude des lignes, des formes et de la lumière. Un voyage dans l’Ohio en 1922, où il photographie les lignes abstraites des aciéries Armco, est considéré comme le point de rupture de sa pratique. Fort du soutien d’artistes majeurs qu’il rencontre à New York, comme Alfred Stieglitz, Paul Strand et Charles Sheeler, Weston va alors se consacrer à l’étude rigoureuse de formes naturelles et d’objets ordinaires, coquillages, légumes, fragments de corps, pierres, qu’il photographie avec une rigueur formelle extrême, transformant le réel en motifs visuels. Sa photographie devient alors « langage, sculpture, regard ». Il ne cherche ni l’effet ni la provocation, mais une justesse du regard, une forme de révélation silencieuse, contribuant ainsi à une création moderne en marge des circuits artistiques officiels. Après avoir séjourné au Mexique avec sa collaboratrice et compagne Tina Modotti, Weston rentre en Californie pour poursuivre ses recherches formelles en photographiant notamment les paysages de Point Lobos en Californie.

En 1932, avec six autres photographes dont Ansel Adams et Imogen Cunningham, il cofonde le célèbre groupe f/64, qui prône l’utilisation de la chambre grand format et de petites ouvertures de diaphragme (d’où le nom choisi), ainsi que le tirage par contact, afin d’atteindre une netteté maximale et des nuances de tons parfaitement maîtrisées. Les paysages qu’il réalise en accord avec ces principes comptent parmi ses œuvres les plus emblématiques. Weston reçut de nombreuses distinctions, dont la toute première bourse Guggenheim attribuée à un photographe.

Atteint de la maladie de Parkinson en 1947 et cesse de photographier et se consacre les dix dernières années de sa vie à superviser le tirage de plus de mille de ses images les plus emblématiques. Le photographe s’éteint en 1958 en Californie à l’âge de 71 ans. L’importance de son héritage se confirme par les deux grandes rétrospectives que le Museum of Modern Art de New York lui a consacrées, l’une en 1946 et l’autre à titre posthume en 1975. Ses journaux quotidiens, les « Daybooks », retraçant sa vie de photographe, furent publiés après sa mort dans les années 1960.

L’exposition qui retrace cette évolution présente plus d’une centaine de tirages d’époque, dont des œuvres iconiques rarement montrées. Elle explore toute la richesse de son œuvre, des nus aux natures mortes, en passant par les paysages et les portraits intimes, tout en offrant une mise en perspective entre son œuvre et des pièces majeures du style pictorialiste signées notamment par Edward Steichen ou Alfred Stieglitz.

Parallèlement, est présenté le travail de Tyler Mitchell dont le propos est de réinventer les représentations des corps noirs en empruntant les codes de la peinture, de la mode et du portrait en studio.

« Edward Weston, Modernité révélée ». Maison Européenne de la Photographie Paris. Jusqu’au 25/01/2026

 

Gilles Courtinat