
Le photographe documentaire britannique Peter Caton se consacre depuis de nombreuses années à couvrir les crises humanitaires, notamment les conséquences du changement climatique en Afrique et a travaillé plus particulièrement au Soudan du Sud qui, noyé sous les eaux, connaît une crise humanitaire sans précédent qui touche plus de 800 000 personnes.
Depuis le début de la saison des pluies, le Soudan du Sud est confronté à des précipitations exceptionnelles qui ont provoqué des inondations massives dans plusieurs États du pays. Les rivières ont débordé, submergeant villages, routes et infrastructures essentielles. Selon les dernières estimations du gouvernement et de l’ONU, près de 800 000 personnes ont été directement affectées et ce chiffre pourrait monter à plus d’un million dans les mois à venir.
De nombreuses habitations ont été détruites ou gravement endommagées et les cultures de subsistance, principalement le sorgho, le maïs et le manioc, ont été détruites menaçant gravement la sécurité alimentaire à venir. Les habitants, contraints de fuir les eaux, se réfugient dans des zones surélevées ou dans des centres d’accueil temporaires, souvent surpeuplés et dépourvus de conditions sanitaires adéquates. Cette situation a des conséquences humanitaires immédiates. Les maladies se multiplient, avec des cas de choléra, diarrhée et infections respiratoires signalés dans les zones déplacées. La malnutrition touche déjà près de 200 000 enfants, selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM). L’accès à l’eau potable et aux soins médicaux reste extrêmement limité, aggravant la vulnérabilité des populations déplacées. Nyalam, mère de six enfants, témoigne :
« Il a plu pendant environ une semaine, et ma maison a été submergée et a commencé à s’effondrer alors que l’eau trempait les murs. J’ai dû emmener mes enfants dans le bâtiment de l’autorité locale voisine, qui se trouve sur un terrain légèrement plus élevé. Mais quand je suis revenu le lendemain pour récupérer quelques objets essentiels, des voleurs avaient tout brisé et tout pris, y compris nos vêtements pendant que les pluies submergeaient nos biens restants. Ma plus jeune fille est déjà sous-alimentée. Les autres enfants sont malades du paludisme et de la diarrhée. Nous n’avons pas de moustiquaires parce que tout ce que nous avions a été volé ou emporté. Même nos toilettes se sont effondrées, c’est extrêmement mauvais. Si nous pouvions obtenir du soutien avec des articles non-alimentaires comme des feuilles de plastique, je pourrais les utiliser pour rénover la maison. »
Les ONG et agences internationales alertent sur l’urgence d’une intervention massive, faute de quoi la crise pourrait se transformer en catastrophe humanitaire prolongée. Plusieurs facteurs se combinent et aggravent les choses. l’Afrique de l’Est est l’une des régions les plus exposées aux catastrophes liées aux précipitations extrêmes et le plus jeune État d’Afrique est particulièrement vulnérable aux catastrophes naturelles et en subit les conséquences les plus dramatiques. Le changement climatique provoquant une augmentation des pluies extrêmes dans la région ces dernières années, a accentué le risque d’inondations. L’instabilité politique et les conflits armés qui durent depuis des années ont affaibli les infrastructures, réduit l’accès aux services de base et exacerbé la vulnérabilité des populations. S’ajoute à cela la pauvreté généralisée et l’insécurité alimentaire. Plus de 80 % des habitants dépendant d’une agriculture de subsistance, facilement détruite par les intempéries et 70 % des 11,1 millions d’habitants souffrent de la faim.
Les répercussions économiques sont majeures. Des milliers d’hectares de terres agricoles sont détruits, mettant en péril la production alimentaire locale et les revenus des familles. Les infrastructures essentielles comme routes, ponts et écoles ont été emportées, entravant le commerce et l’accès aux services. Les pertes directes et indirectes sont estimées à plusieurs centaines de millions de dollars pour un pays déjà considéré comme l’un des plus pauvres au monde et qui dépend fortement de l’aide internationale pour sa reconstruction. Malgré les efforts des ONG internationales et locales, l’aide reste encore largement insuffisante, l’ONU appelant à une mobilisation internationale urgente, soulignant que la situation pourrait se détériorer davantage si les pluies persistent. Des communautés déplacées organisent des systèmes d’entraide pour partager la nourriture et l’eau et tentent de reconstruire les maisons et de protéger les récoltes restantes.
Entretien avec Peter Caton
D’où vous est venue l’envie de documenter les inondations au Soudan du Sud, et pourquoi est-ce important ?
Au début de l’année 2020, j’étais à l’église et, pendant la prière, j’ai demandé à être guidé. Juste après, c’était l’heure du cantique, j’ai ouvert le livre de chant et j’ai trouvé un petit papier avec un drapeau. Je ne reconnaissais pas ce drapeau et je l’ai retourné pour découvrir qu’il s’agissait du Soudan du Sud. Je n’avais jamais visité ce pays et j’ai été intrigué, mais je n’y ai plus pensé par la suite. Puis je suis retourné en Afrique et le Covid a frappé le monde entier. Pendant la pandémie, j’étais isolé et coincé au Kenya, sans savoir d’où viendrait mon prochain travail. Cette situation a duré près de six mois, mais mon anxiété professionnelle s’est apaisée lorsque j’ai reçu la première d’une longue série de commandes concernant le Soudan du Sud. J’y ai d’abord été envoyé par une ONG appelée Action Contre la Faim pour travailler sur leur réponse au Covid, mais après avoir terminé ce travail, on m’a demandé de documenter les inondations, dont je ne savais pas grand-chose. J’ai compris que c’était peut-être en lien avec le papier dans l’église. Cela m’a inspiré à poursuivre un travail de documentation. Ce travail est essentiel, car les inondations déplacent environ un million de personnes chaque année, soit environ 35 % de la population. Cette histoire doit être racontée, car le pays est en difficulté et les médias en parlent peu.
Comment vous êtes-vous préparé pour ce projet ?
Chaque année, je m’assure que nous avons toutes les provisions nécessaires pour tenir un mois pendant les inondations : nourriture, eau et carburant pour le générateur. Mais mon équipement le plus important, ce sont mes cuissardes, qui me permettent de patauger dans les eaux sans contracter d’infections cutanées. Nous devons également obtenir à l’avance des autorisations et la logistique nécessite une planification minutieuse.
Comment avez-vous établi une relation de confiance avec les personnes que vous avez photographiées ?
Je travaillais avec des ONG reconnues telles que Action Contre la Faim et International Medical Corp. Elles avaient déjà établi des relations solides au sein des communautés et m’ont accompagné pendant mon travail, ce qui m’a aidé à gagner rapidement la confiance des gens. Je n’ai rencontré aucun problème avec les habitants, tout le monde était très gentil et voulaient bien être photographié.
Quels défis techniques avez-vous rencontrés en travaillant dans un tel environnement, et pourquoi avez-vous choisi un appareil photo moyen format et un éclairage dans ce contexte difficile ?
Réaliser ce travail a été l’une des prises de vue les plus difficiles que j’ai jamais effectuées. Les moustiques et la chaleur intense ont été les pires que j’ai jamais rencontrés après 19 ans passés sous les tropiques. Patauger dans les eaux des crues était un soulagement face à la chaleur, mais c’était aussi dangereux pour mon équipement, car il fallait rester concentré en permanence et un faux pas pouvait vous coûter tout votre matériel ! Mon approche combine la photographie moyen format et des techniques d’éclairage de qualité studio pour produire des tirages artistiques grand format d’une précision exceptionnelle. Cette méthode me permet de rendre les sujets documentaires avec une précision sculpturale, adaptée à la fois à la publication et à la présentation en galerie. La belle peau foncée des Sud-Soudanais et la lumière aveuglante du soleil rendaient l’utilisation du flash indispensable.
Selon vous, quelle image du projet reflète le mieux l’esprit de «Unyielding Floods» ?
Le regard provocateur de Nyakeak Rambon alors qu’elle pose pour un portrait dans les eaux de crue avant de retourner dans la salle de classe où elle s’abrite, traduit la résilience dont font preuve les communautés. Elles sont fortes et veulent rester dans les zones touchées par les inondations pour sauver leurs terres.
Comment espérez-vous que vos images influencent la perception du public à l’égard des réfugiés climatiques ?
La situation au Soudan du Sud est peut-être la première au monde où des communautés sont déplacées de manière permanente en raison du changement climatique. C’est important, car cela nous avertit tous que si nous ne changeons pas radicalement notre mode de vie, la situation du Soudan du Sud deviendra mondiale. De nombreux réfugiés climatiques proviennent de pays qui ont les émissions de CO2 les plus faibles. Ce sont des victimes innocentes du changement climatique, et nous devons comprendre que l’injustice dont ils sont victimes est un problème commun que nous devons surmonter collectivement.
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- Peter Caton
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