
Le Prix Bayeux est protéiforme : des expositions photographiques en salle et dans la rue, des colloques, des projections de films, des conférences et une grande exposition, cette année sur le thème des journalistes qui, depuis plus de 150 ans, ont pris la plume pour écrire un livre.
Ainsi explique Nicolas Delesalle, grand reporter à Paris Match après l’avoir été pendant quinze ans à Télérama, ce qu’il ressent quand il se pose après une journée intense. « La littérature est supérieure au reportage », écrit celui qui est l’auteur de nombreux livres, dont Le Goût du large, paru en 2016, de courts récits qui ressemblent à des nouvelles où l’auteur partage son vécu de journaliste, et de Valse russe, paru en 2023, destin croisé de deux personnages pris dans les méandres de l’histoire ukrainienne.
À l’occasion du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre, l’exposition « Correspondants de guerre écrivains » explore les liens enFtre journalisme et littérature en présentant les écrits de plus de 150 reporters présents dans les conflits. Autour de Nicolas Delesalle, des noms très connus, tels Albert Londres, Joseph Kessel, George Orwell, Winston Churchill, Graham Greene, Jean Lartéguy, Ernest Hemingway ou Jack London, et d’autres moins, tels Euclides da Cunha, reporter durant la guerre de Canudos (1896-1897), Hayashi Fumiko durant le conflit sino-japonais (1937 à 1945) ou encore Arturo Pérez-Reverte durant la guerre des Malouines (1982).
Il y a beaucoup à lire dans cette exposition.
La mise en page, abondamment illustrée, facilitait la lecture,
sans que la lassitude ne s’empare du visiteur
Une des particularités de cette exposition très dense, où plusieurs dizaines d’ouvrages sont présentés, est également de mettre en lumière des conflits moins médiatisés ou passés aux oubliettes de la mémoire, telles la guerre du Biafra (1967 à 1970), celle de Birmanie (entamée en 1990 et toujours pas terminée à ce jour), la guerre italo-éthiopienne (1935-1936), la seconde guerre anglo-afghane (1878-1880) ou la déjà nommée guerre de Canudos. Quarante conflits sont ainsi sortis des oubliettes du temps, de celle de Crimée (1853-1856) aux toujours actuels conflits du Soudan, du Myanmar, de Palestine et d’Ukraine. Un vrai plus historique de cette exposition, qui nécessitait plusieurs heures pour en ressortir avec l’impression d’en avoir fait le tour. Car avec autant de conflits, autant de reporters qui ont pris la plume. Mais pas uniquement pour des ouvrages qui traitent de la guerre ou de ses à-côtés. Hormis écrire sur le réel dans l’instantanéité, la base même de leur métier, ces hommes et ces femmes ont fait passer d’autres messages, ont averti, ont milité ou ont résisté, en s’affranchissant du devoir d’objectivité, « eux qui savent pertinemment bien qu’elle n’existe pas », comme on peut le lire sur un des panneaux de l’exposition.
Chacun·e à sa manière. L’Américaine Martha Gellhorn ou le Français Jean Hatzfeld ont gardé les faits pour inventer une narration. Parfois une fiction, comme le Britannique Eric Arthur Blair, plus connu sous son nom de plume George Orwell, avec son 1984. Certains dépassent la souffrance, magnifient la mort, par exemple l’Américain Ernest Hemingway avec L’Adieu aux armes ou le Russe Léon Tolstoï avec Guerre et Paix. Vie et destin du Soviétique Vassili Grossman dépasse le cadre soviétique pour devenir une œuvre sur la liberté et la condition humaine.
« La profusion d’images défile au rythme des conflits. Ils les regardent, s’en détournent, y reviennent, les travaillent. Et un jour, il manque quelque chose. Une odeur, une émotion, indicible, impalpable. Ils cherchent, trient, la petite musique est là, ils se surprennent à imaginer… Et si j’écrivais. » [Extrait du chapitre 5 de l’exposition]
Tous les reporters cités dans cette exposition sont passés d’un métier cadré à une liberté littéraire, plus audacieuse, voire incertaine, mais assumée. De nombreux photographes ont également sauté le pas, tels les Français Patrick Chauvel (Les Pompes de Ricardo Jesus, 2012), Philippe Lobjois (Les Tambours de Srebrenica, 2003) ou Pascal Manoukian (La Pesée des Âmes, 2024). Certains journalistes choisissent également le format du livre pour publier un reportage qui n’aurait pu, du fait de sa densité, paraître dans un quotidien ou un news magazine. Ainsi en est-il de Quai de Ouistreham (2010) de la journaliste Florence Aubenas ou de L’Inconnu de la poste (2022), une enquête minutieuse sur un crime réel et mystérieux mettant en scène un acteur marginalisé et une postière maniaco-dépressive, racontée comme un polar. Le portrait d’une France que l’on aurait tort de dire ordinaire et qui se lit comme un polar, d’un trait.
« Le déclic engendre le désir. Celui de raconter autrement, de s’impliquer, témoin privilégié devenu rétif à la distance journalistique. Impatient de témoigner, s’indigner ou résister. Autrement. »
[Extrait du chapitre 2 de l’exposition]
Cette exposition est un puits d’information, presque insondable, le tout présenté avec une esthétique attrayante. Qui donne envie d’y revenir. Dommage qu’elle n’ait duré qu’un mois (du 6 octobre au 9 novembre 2025). Elle aurait largement mérité un temps plus long. Aurait été également le bienvenu un catalogue d’exposition, car il est impossible de retenir toutes les anecdotes qui ont été rassemblées dans les quatre salles qui l’hébergent. Quand l’Anglais Ellis Ashmead Bartlett, alors correspondant de guerre à Gallipoli dans les Dardanelles en 1915, envoie son texte, sous forme de télégramme, à son journal, un fac-similé du document d’époque montre qu’il a été clairement validé par la censure avec trois lignes précautionneusement raturées de bleu, puis estampillé « Passed by n°2938 Censur ». Un document, comme tant d’autres découverts dans les salles de l’Hôtel du Doyen, qui aurait eu toute sa place dans un catalogue d’exposition.
Texte Thierry Birrer, photos Thomas Haley
Exposition jusqu’au samedi 9 novembre 2025
Correspondants de guerre écrivains
Commissaire d’exposition : Karen Lajon
Scénographie : Laurent Hochberg
Lieu : Hôtel du Doyen, Bayeux
- Prix Bayeux Calvados Normandie
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