
L’exposition « Correspondants de guerre écrivains », organisée à l’occasion du Prix Bayeux Calvados Normandie 2025, a été remarquée par tous les heureux visiteurs de Bayeux. Thomas Haley a voulu en savoir plus sur la motivation et le travail de Karen Lajon, commissaire d’exposition, avec Laurent Hochberg à la scénographie.
« Ce qui m’a intéressée dans la préparation de cette exposition, c’est la façon dont ces écrivains ont su utiliser le journalisme comme tremplin vers la littérature. Il ne s’agissait pas d’être d’accord ou en désaccord avec leurs opinions. »
Karen Lajon était grand reporter au Journal du Dimanche jusqu’en 2023. Avant de faire du reportage, elle était déjà journaliste, mais s’occupait de faits divers. C’est en lisant l’auteur américain Philip Caputo (Le Bruit de la guerre et La Dernière Guerre de Del Corso) qu’elle a voulu devenir correspondante de guerre. Habituée du Prix Bayeux, elle a souhaité montrer comment les journalistes peuvent devenir écrivains.
L’exposition à Bayeux a demandé dix mois de préparation à Karen Lajon et à son mari Laurent Hochberg, chargé de la scénographie. Il fallait explorer le pourquoi et le comment pour comprendre comment certains correspondants de guerre passent à une écriture plus littéraire, et définir ce basculement du reportage à la littérature. Certains correspondants préfèrent rester dans le journalisme. Ils ne s’aventurent pas vers le roman, mais leur écriture est si travaillée qu’elle relève tout de même de la littérature. Par exemple, Jean Rollin, qui a une écriture extrêmement littéraire, à la limite du reportage de guerre, mais n’écrit pas de roman. Kapuscinski a révolutionné le reportage, dit Karen Lajon, en faisant des « reportages littéraires ». Il y a d’autres exemples : Jean Hatzfeld, Martha Gellhorn…
Bien que Jean Hatzfeld écrive des romans, sa grande œuvre reste sa trilogie rwandaise, où il a eu l’excellente idée de conserver la façon de parler des personnes qu’il a interviewées. Cela donne une œuvre unique, qui n’est pas de la fiction mais relève tout de même de la littérature. Certains correspondants injectent leurs opinions personnelles, une façon de se mettre en scène en quelque sorte ; d’autres non.
Il y a des auteurs qui ont écrit des récits de guerre, tels Erich Maria Remarque (À l’Ouest rien de nouveau) ou Apollinaire, mais ils étaient tous deux soldats. Ils n’étaient pas des correspondants couvrant la guerre pour un journal, critère principal du choix des auteurs par Karen Lajon. Elle ne prétend pas que sa liste soit exhaustive. Un grand regret de Karen est l’oubli de Blaise Cendrars (La Main coupée).
Depuis 2023, Karen Lajon tient un blog, La Vie en Noir , pour assouvir sa passion des romans noirs. Elle est donc attirée par des auteurs comme Frederick Forsyth ou Graham Greene, des aventuriers, correspondants de guerre et formidables écrivains. Graham Greene était également espion ; Frederick Forsyth, lui, affirme n’avoir jamais été agent du MI6 (les services secrets britanniques), mais un informateur occasionnel. « Tous les deux ont eu des vies extraordinaires, avec beaucoup de talent et beaucoup de chance », dit-elle.
Parmi ses heureuses découvertes figure l’écrivaine chinoise Ding Ling, pur produit de la révolution chinoise. Elle a fait avancer la cause féminine, mais a fini par comprendre que le régime totalitaire de Mao Zedong n’était pas la panacée souhaitée pour la société. Dans l’exposition, on découvre plusieurs cas d’écrivain(e)s engagés dans un système totalitaire et qui, à un moment donné, se réveillent et, par la littérature, dénoncent ce qui se passe dans ces odieux régimes. Ding Ling a été mise au ban de la société chinoise, et réhabilitée seulement après sa mort.
Tout comme Vassili Grossman, immense écrivain russe qui a couvert le siège de Stalingrad comme correspondant. Il croyait au système soviétique jusqu’au jour où, après maintes observations, il a, par la littérature, critiqué le régime stalinien. Son œuvre majeure, Vie et Destin, terminée en 1961, sera censurée. Grossman mourra sans avoir jamais vu son travail publié. Après une première publication en Occident en 1980, il faudra attendre la glasnost pour que paraisse, en 1988, Vie et Destin en Russie, vingt-quatre ans après la mort de l’auteur !
En sélectionnant les correspondants-écrivains à inclure dans cette exposition, Karen Lajon ne s’est pas souciée des opinions, politiquement correctes ou non, exprimées par les auteurs. Par exemple, en référence à Jean Larteguy, auteur de Les Centurions, elle dit avoir adoré le livre, mais qu’il exprime une pensée tellement misogyne et sexiste qu’il serait considéré comme ridicule aujourd’hui. Les réflexions de Winston Churchill sur les femmes sont hilarantes, dit-elle, mais inacceptables dans le contexte littéraire actuel. Il en va de même pour le racisme exprimé dans les derniers reportages de John Steinbeck, Dépêches du Vietnam.
Une exposition hélas plus visible après le samedi 9 novembre 2025.
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- Karen Lajon
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