
Arrêt de bus, Marillac-le-Franc (825 habitants), aout 2021. Les arrêts de bus en milieu rurale sont des points de repères. Le samedi après-midi, Clément, Teddy, Benjamin et d’autres se donnent rendez-vous pour aller rouler sur les routes de campagne de l’Est-Charente. Ils se retrouvent à l’extérieur car « ici, il n’y a rien ».
Photographie ©Cedric Calendraud
Nous, les ruraux, on a l’impression quand on regarde la télé ou les infos que les ruraux n’existent pas, ou nous sommes mal-représentés, par exemple on serait tous RN… » Ceux qui grandissent et vivent à la campagne représentent 22 millions de personnes ! Thomas Haley, qui vit dans la campagne Normande, s’interesse à cette notion bien française de la ruralité. Il est allé à leur rencontre, et à celle de Cédric Calandraud.
Le photographe Cédric Calandraud accompagnait son cousin chasseur dans la forêt pour repérer du gibier. Il a grandi à La Rochefoucauld dans les Charentes. Cela faisait longtemps qu’ils s’étaient perdus de vu. Après le collège, Cédric s’est éloigné d’abord pour aller au lycée à Angoulême et ensuite, Bordeaux et Paris pour faire ses études en sociologie. Photographe autodidacte, il est diplômé d’un double master en sociologie (EHESS) et en cinéma documentaire (Paris Diderot).
Dans la forêt avec son cousin, ils se trouvent dans une clairière. Le cousin lui dit, « Tu vois, quand je suis ici, le reste du monde n’existe pas ». Sans le savoir, le cousin lui a donné le titre de son projet d’enquête photographique que Cédric Calandraud entreprendra entre 2019 et 2024, pour documenter ces jeunes pour qui le centre du monde c’est là où ils habitent.
Après 18 ans d’absence, Cedric a trouvé le chemin pour retourner sur ce territoire via la photographie qui lui a permis de renouveler sa connaissance avec la ruralité. Il voulait créer un rapport de collaboration avec les jeunes. La photographie est devenue un sujet de discussion et d’échange. Il a mis en place des ateliers d’initiation à la photographie autour du portrait. Il est devenu en quelque sorte le photographe publique du coin.
« J’ai observé à quel point les jeunes du coin sont attachés à « leur » territoire, bien qu’ils le décrivent souvent par le manque – de transports, d’emplois, de services publics, de lieux de sociabilité…j’ai voulu comprendre leur vision du monde, leurs préoccupations, leurs aspirations, et la manière dont ils mettent en place des stratégies pour se créer des espaces de libertés et vivre leur jeunesse. »
« Je me suis intéressé à ceux qui restent, pas ceux qui partent. Ceux qui sont restés vivaient bien leur ruralité, ils sont attachés à leur territoire et heureux d’y avoir grandi. C’est le contraire de la vision urbano-centré qui pense que ceux qui restent à la campagne auraient échoué en quelque sorte. Ce n’est pas du tout la réalité, dit Cédric, d’abord il n’y a pas une jeunesse rurale, il y a des jeunesses rurales. Ceux qui préfèrent rester c’est souvent parce qu’ils sont bien entourés, ils ont un cercle d’amis. »
Cedric a pu réaliser son projet photographique grâce au soutien de la Bourse Laurent Troude, du Centre national des arts plastiques 2021 et de la Grande commande nationale « Radioscopie de la France » financée par le Ministère de la culture.
L’association RURA a participé au financement de son livre. Depuis 2016, l’association RURA (ex Chemin d’Avenir), fondé par Salomé Berlioux, se donne comme mission la lutte contre la fracture territoriale en pariant sur la jeunesse de la ruralité et des petites villes. Ils œuvrent à éliminer les barrières qui peuvent empêcher les jeunes ruraux dans leurs choix de vie, notamment dans leur orientation scolaire.
« Après le collège, mon lycée était à trente bornes, c’était un parcours de combattant. A 15 ans, pour la première fois, il fallait se confronter aux gens de la ville, au mépris des urbains parce que les jeunes de la campagne étaient considérés comme des bouseux, des pecnauds. » raconte Cédric
Pour donner plus de visibilité à la jeunesse rurale dans les champs médiatiques, politiques et culturels, RURA a proposé à Cedric d’être parrain d’un concours photo : NOS CENTRES DU MONDE. Lancé le 1er aout, le concours national était ouvert aux jeunes entre 15 et 23 ans.
« Ce concours vous invite à adopter une démarche documentaire et authentique pour raconter la vie rurale de l’intérieur avec sincérité et sensibilité. Qu’est-ce que la vie en ruralité française pour vous ? Où se trouve “votre” centre du monde ? Au cœur d’un groupe d’amis, dans une forêt, une salle de classe ou un terrain de sport ? À vous de le révéler, en une à trois photos…Car il existe une vie au-delà des centres urbains, autant de « centres du monde » que de personnes, d’histoires et de lieux de vie en ruralité. »
58 jeunes ont participé au concours photo. L’exposition finale avec l’annonce des lauréats a eu lieu le 29 octobre à la Cité Universitaire à Paris où 150 lycéens de toute la France se sont réunis pour participer au débats et ateliers et partager leurs expériences ; leurs « centres du monde » avec l’espoir d’une vie sans barrières.
Lors d la journée à la Cité Universitaire, j’ai discuté avec Momtaize Dahan, l’un des responsables plaidoyer à RURA. « Nous essayons de déconstruire l’imaginaire collectif de la ruralité…nous avons des images, des clichés en tête, quand il s’agit de la campagne, par exemple, nous pensons aux agriculteurs et l’image épinale d’un gars en salopette, sauf qu’aujourd’hui, les agriculteurs ne représentent que 5,5% des actifs en ruralité. Le premier employeur en ruralité c’est l’administration. »
A écouter
Une série de podcasts de l’émission LSD sur France Culture, écrit par Salomé Berlioux,
« Nous, les ruraux, on a l’impression quand on regarde la télé ou les infos que les ruraux n’existent pas, ou nous sommes mal-représentés, par exemple on serait tous RN. Les ruraux sont nulle part…pourtant, ceux qui grandissent et vivent à la campagne représentent un tiers de la population française – 22 millions de personnes ! »
- Cédric Calandraud
« Nos centres du monde »
sont à la campagne - 21 novembre 2025 - Karen Lajon
Exposer la correspondance de guerre et la littérature… - 7 novembre 2025 - « Napalm Girl »
L’édifiante démonstration de « The Stringer » - 24 octobre 2025






