Le 17 février 2008 l’indépendance du Kosovo est proclamée. Dans la capitale la fête est à son comble, les Kosovars célèbrent cette victoire par des feux d’artifices, des pétard, l’alcool coule à flots.
La veille avec Thibaut et Yoan, deux confrères et amis, nous avions passé la soirée dans un bar qui prenait de l’avance sur l’annonce. Un groupe d’hommes danse, chante et festoie. On commande une tournée pour nous trois. A peine terminée, l’un des hommes du groupe nous rejoint et nous commande la même chose. L’ambiance commence à être survoltée.
Le groupe de gars avinés au Rakia se met à danser au milieu du bar. A l’annonce de notre profession, une autre tournée est commandée, je regrette déjà d’avoir commencé au Coca-Cola. Mes bouteilles rouges s’accumulent, mes deux comparses sont à la bière. Pour remercier la générosité de nos hôtes, nous les rejoignons. Thibaut se met à danser, on lui verse la quantité d’une bouteille directement dans le gosier. Les hommes hurlent de joie. Soudain un tir se fait entendre dans le bar, tension. Un homme tend son flingue vers le plafond. Un second tir, une énorme flamme jaillit du canon. Il s’agit de balles à blanc, nous rassurent les types. Nous ne le sommes pas pour autant. La soirée reprend de plus belle.
Au lendemain de l’indépendance, nous décidons de nous rendre côté serbe, à Misrata. Changement d’ambiance radical. L’accueil est très différent pour les journalistes. Les regards plus durs, ici pas de sourire. L’indépendance de la province du Kosovo est pour les Serbes la perte d’une partie d’eux-mêmes. Une femme francophone m’interpelle de façon agressive. Je suis français et la France ayant été l’un des premiers pays à reconnaitre le Kosovo, elle s’en offusque. Et me parle du génocide commis sur les Serbes. J’ose lui rétorquer qu’à ma connaissance le génocide a été plutôt commis envers les bosniaques, mais sa fureur est telle, que je passe vite à autre chose, évitant ainsi de me faire lyncher par ses paroles haineuses.
Une fois le rassemblement terminé, nous nous retrouvons entre confrères dans un restaurant. Je découvre un peu mieux le milieu des « reporters de guerre ». Un univers où la testostérone est de mise. Il y a deux sortes de photographes de terrain: le taiseux et la grande gueule. Pour ce dernier, il s’agit d’étaler son CV, ses exploits toujours plus glorieux, ses connaissances toujours plus affinées. S’il est allé ne serait-ce qu’une fois dans un pays, il s’affiche comme le grand spécialiste du pays en question. S’il entend un coup de feu, il est capable de te citer l’arme, la trajectoire de la balle, et le signe zodiacal du tireur… Et bien sur t’affirmer qu’il saura l’éviter, lui. Souvent les monologues tenus par les autres confrères sont difficiles à interrompre pour les jeunes qui se laissent bercer par le flot interrompu de paroles. On écoute religieusement. Il y a du bon à apprendre des anciens, quand bien même ils parlent d’un temps révolu.
Il y a aussi deux sortes de jeunes reporters. Ceux qui fantasment complètement le mythe du métier, qui écoutent aveuglement l’ancienne génération. Et une autre catégorie de jeunes plus lucides sur les anciens, ceux qui observent la quantité d’alcool ingurgitée par ces derniers, ceux qui écoutent d’une oreille ce qui a été romancé en grande partie, ceux qui ont bien compris que certains reporters se la racontent plus qu’ils ne cherchent à raconter. On écoute aussi les récits d’une période que nous n’avons pas connue. C’est toujours fascinant de voir comme le métier était différent. Il y avait plus d’argent, ils partaient plus longtemps, ils avaient vraiment l’impression de faire l’actualité; là où moi, j’ai l’impression que c’est l’actualité qui me fait. Depuis 4 ans je ne fais que la suivre tant bien que mal.
Le repas dans le restaurant serbe se termine. L’un de ces reporters à l’humble prétention nous fait alors circuler ce tout nouvel appareil qu’on appelle « Iphone » et qui vient de sortir, il a été l’un des tout premier à l’acheter, avec la photo de sa nouvelle voiture, une Porsche. Il en est fier. On se regarde Yoan, Thibaut, moi et nos maigres économies. Je fais mes comptes dans la tête. Heureusement que je squatte gracieusement le studio de ma copine, cela me permet de partir sur le terrain à moindre frais.
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20 ans de photographie
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