Jean-Paul II à l’Unesco, Paris, 1980. Photo: Pierre Abramovici

En raison de l’actualité, j’ai eu envie de chroniquer mes aventures « papales » commencées à la fin des années 70, quand j’étais encore photographe, et jusqu’en 2000 comme documentariste à la télé. Bien que né sous Jean XXIII, et ayant vécu sous Paul VI, c’est vraiment à la mort soudaine (et rapide) de Jean-Paul Ier que j’ai commencé à m’intéresser à la papauté, l’Eglise et le Vatican.

 

Ce décès a permis l’émergence de multiples théories du complot auxquelles, comme tout le monde, j’avais adhéré. A la fin des années 70, enquêteur débutant, j’avais commencé à travailler sur les événements italiens, le néo-fascisme et la Mafia. Évidemment, la collusion entre la Mafia et le Vatican est apparue assez vite et j’ai été amené à collaborer avec des confrères bien plus compétents que moi sur les réseaux financiers du Vatican. Ainsi, grâce à eux, j’ai commencé à apprendre à me débrouiller dans des archives compliquées et absconses.

Au même moment, comme photographe, j’ai couvert le second voyage de Jean-Paul II en Irlande (après la Pologne) du 29 septembre au 1er octobre 1979. J’ai retrouvé à Dublin, comme d’habitude en Irlande, mon ami Sorj Chalandon qui travaillait à l’époque pour Libé. Outre une foule immense pour accueillir le pape, un million de personne, pour sa grand-messe, j’ai été particulièrement impressionné par le décor, une croix gigantesque et la procession mitrée. Par la suite, j’ai également couvert le voyage du pape à Paris du 30 mai au 2 juin 1980.

La découverte sous le pont des « blackfriars » à Londres du corps pendu de l’argentier du Vatican, Roberto Calvi, le 17 juin 1982, ravive mon enquête embryonnaire sur l’argent du Vatican et les liens, désormais connus,de Calvi avec les services de renseignement et la mystérieuse loge maçonnique P2. Recruté par TF1, j’ai commencé une enquête sur ce qui semblait avoir remplacé Calvi et sa banque au Vatican : l’Opus Dei, un mouvement religieux, alors essentiellement connu en Espagne à travers divers scandales financiers. Avec mon complice Journaliste Reporter d’Image Hubert Dubois, on a entamé une série de tournages en France, en Grande Bretagne, en Belgique, en Italie et en Espagne, pour décrire ce qu’était l’Opus Dei, son importance au Vatican et auprès de Jean-Paul II, y compris les positions politiques ultra-droitières du mouvement. A Madrid, au siège, j’ai profité d’une brève absence de notre « accompagnateur » de l’Opus pour ouvrir un tiroir et m’emparer de plusieurs documents et brochures notamment une photo de Jean-Paul II, encore archevêque de Cracovie, tenant un document d’une des institutions dépendant de l’Opus Dei (dont je me servirai dans le film). Dès lors, je me suis employé à démontrer, outre la collusion du nouveau pape avec l’Opus Dei, également la responsabilité du mouvement dans son élection. Coup de chance, une membre de l’Opus Dei, toute à son désir de me prouver les liens avec le pape, m’a avoué face caméra que le cardinal Wojtyla, le jour de son élection, tenait « dans sa calotte, une prière au fondateur de l’Opus Dei ». Mieux, dans les rushes du conclave, j’ai découvert des images du prélat littéralement entouré par plusieurs cardinaux connus pour leur appartenance à l’Opus. Quant à l’option politique, j’avais appris que le mouvement, dans le cadre de sa lutte contre la Théologie de la libération jugée communiste, avait envoyé un de ses membres participer à une réunion très confidentielle avec divers religieux réactionnaires. Le tout à Santiago du Chili sous Pinochet. Restait à en avoir confirmation. Bluffant à fond, j’ai appelé la télévision militaire chilienne, je leur ait fait croire que je travaillais pour une émission religieuse sur TF1 et leur ait demandé s’il existait des images. Mais oui, me dit le militaire au bout du fil, pas de problème. Ne restait plus qu’à les acheter et interviewer, en Espagne, l’intervenant de l’Opus Dei. Le documentaire, diffusé dans l’émission Infovision, sera intitulé « l’Opus Dei, à l’assaut du Vatican ». L’une des illustrations du documentaire était la reprise des images de la grand-messe de Dublin.

Pour la presse écrite, j’ai écrit de nombreux articles et largement contribué à une revue catholique de gauche nommée « Golias » pour un numéro spécial intitulé « Opium Dei » publié en 1992. C’est peu dire que j’étais mal vu du mouvement.

Pour ARTE en 1997, après avoir été viré de TF1 en 1991, j’ai réalisé un long documentaire extrêmement politique, une enquête très fouillée décrivant l’histoire de l’Opus : « Opus Dei, la longue marche », sur les liens du mouvement avec l’Espagne franquiste, les dictatures latino-américaines, Jean-Paul II et le pouvoir à la Curie romaine. Dans les deux cas, les deux chaînes ont reçu des milliers de lettres de protestation, toutes curieusement rédigées avec les mêmes mots et dans toutes les langues ! L’Opus Dei est un mouvement religieux pas une organisation politique… En tout cas, c’est ce qui a été dit dans les protestations officielles.

Je croyais en avoir fini avec l’Eglise quant j’ai découvert que le Vatican, depuis la révolution bolchevique jusqu’à Jean-Paul II, avait multiplié les complots contre l’Union soviétique. Y compris en organisant des opérations clandestines de l’autre côté du Rideau de fer à partir d’une institution religieuse à Rome.

Me voilà donc à négocier avec le Nonce apostolique (ambassadeur) du Vatican à Paris afin d’obtenir les autorisations nécessaires pour tourner dans l’institution romaine et consulter les archives vaticanes. Parallèlement, j’ai obtenu l’accord d’Antenne 2 pour un documentaire baptisé « les commandos du pape ». En 2000, après des mois de discussions, j’ai enfin obtenu LE rendez-vous avec Mgr Tauran, Secrétaire d’Etat, c’est-à-dire adjoint du pape. Il se trouve que dans le même temps, j’étais expert auprès de trois magistrats instructeurs en France, en Espagne et en Italie sur les enquêtes contre Pinochet et Videla. Je devais donc me rendre en Italie. D’une pierre deux coups, me voici dans l’avion pour Rome. Arrivé à l’aéroport, l’avion s’est arrêté au bout du tarmac et deux carabiniers mont fait descendre et m’ont installé dans un véhicule surmonté d’un gyrophare. Sirène hurlante, 150 à l’heure, c’était une gentillesse du juge italien. Les carabiniers m’ont déposé au Vatican, avec instructions de m’attendre pour m’amener ensuite auprès du juge. 

Tout d’abord, dans l’enceinte du Vatican, les gardes suisses sont habillés en parachutistes avec pistolets-mitrailleurs. Ça a une autre allure que le costume médiéval et la hallebarde. On m’a introduit chez Mgr Tauran et celui-ci, très aimable, m’a proposé une contrepartie à mon projet de documentaire. Catastrophe, que va-t-il demander ? « Les nonces apostoliques, ça vous parle ? » Je me voyais déjà en train de tourner avec un quelconque évêque en Mongolie ! Et là, j’ai vu le mot « scoop » qui s’est inscrit en lettres de feu au-dessus de sa tête: 

– En ce moment ont lieu les négociations entre Israéliens et Palestiniens et le Vatican est partie prenante… deux semaines avec le nonce négociateur, ça va ? » … 

– J’ai le droit de le suivre partout ?

Oui

– Je peux le filmer et l’enregistrer en permanence ? 

Oui

Je suis ressorti du bureau sur un nuage. Curieusement, il n’y avait plus personne pour me raccompagner à la sortie. Me voilà donc à errer dans les majestueux escaliers et je suis arrivé dans une courette gardée par un parachutiste à l’accent bernois : 

Qu’est-ce que vous faites ici ?

– Je cherche la sortie

Vous ne pouvez pas rester là, vous êtes sous les appartements de Sa Sainteté !

On a finit par me raccompagner à la sortie et j’ai retrouvé les deux carabiniers qui m’attendaient dans leur voiture.

De retour de Rome, j’ai foncé à Antenne 2 pour annoncer la bonne nouvelle. Et là, douche froide, on m’a annoncé que les négociations israélo-palestiniennes, c’était pour les magazines d’actualités et pas pour les documentaires. Qu’à cela ne tienne, j’ai foncé aussi vite à « Envoyé spécial » pour m’entendre dire que ce n’était pas pour eux mais pour les documentaires ! Au bout de plusieurs allers-retours, le projet initial et la proposition du Vatican ont finalement été refusés… Et me voici obligé d’expliquer au nonce apostolique qu’Antenne 2 étant mon client et l’autorisation étant accordée à mon nom et à celui d’A2, il m’était impossible de proposer le sujet à une autre chaîne si le Vatican ne m’autorisait pas à le faire. Hélas, refus. A ce moment-là, j’ai compris que le Vatican ayant une vue très longue, je ne pourrai plus JAMAIS leur demander quoique ce soit, et donc ce fut la fin de 20 ans d’aventures papales… !

Pierre Abramovici
Les derniers articles par Pierre Abramovici (tout voir)
Si cet article vous a intéressés...Faites un don d'1€ ou plus... !
Et pour ne rien louper, abonnez vous à 'DREDI notre lettre du vendredi