Photographie Marc Mangin

Jusqu’au 7 juin 2025, vous pouvez découvrir à la Galerie Impressions à Paris, « China Revisited » des photographies prises à la charnière du XXème et XXIème siècle. Marc Mangin, est un grand voyageur qui a photographié avec bienveillance l’humanité de ses rencontres ; et, trempé sa plume dans les fossés d’innombrables routes.

« Écrits sur la route », est son dernier ouvrage. Il en compte une vingtaine à son actif, essais, théâtres, romans, récits, tous fruits de longues années de pérégrination et d’observation du monde. En exergue de l’ouvrage il confesse d’amblée : « Je préfère la route qui relie à la frontière qui divise ». Voilà qui pose le bonhomme, et annonce de succulentes chroniques de voyages qui emmène le lecteur de Téhéran à Saigon, de Corée en Chine en passant par d’innombrables patelins ou, après bus, trains, autostops, il tente dans un « Trois-Cafards » de se refaire, sur une paillasse, des forces pour la route du lendemain.

Marc Mangin est de la trempe de ceux qu’on nomme « écrivain-voyageur ». De la trempe de ceux qui, comme Nicolas Bouvier,  « ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes éli- minées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. »

Il n’y a que de l’amour dans « Ecrits sur la route », de l’amour de l’Autre ; mais aussi de la recherche de soi. Mangin, comme Kerouac, comme Bouvier, comme Maillard a parcouru le monde pour assouvir sa soif d’Ailleurs. Mais après quatre décennies d’aventure, le corps fatigué, il arrive toujours un temps où il faut conjuguer le verbe rentrer à la première personne du présent. Et c’est peut-être là, la plus grande difficulté, la pire épreuve des voyageurs, des routards, des reporters. A la sortie du dernier aéroport, l’Administration, le grand monstre de notre société attend celui qui s’est joué si longtemps d’elle.  « L’Administration m’attend de pied ferme pour me passer la laisse et me réapprendre à marcher droit. Je ne vais pas les priver de ce plaisir sadique, pervers. Ça pue le bruit de bottes. »

Inutile d’attendre le verdict de la postérité ; il faut lire Mangin, tant qu’il est vivant !

Nous publions ci-dessous des bonnes feuilles de la préface (qui n’en n’est pas une) de son « Ecrits sur la route »

« Pendant quarante ans, la route m’a offert ce que le monde a de plus beau : des femmes et des hommes curieux, ouverts, souriants, prêts à donner un coup de main au voyageur de passage. J’aurais presque fini par croire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ! Il est aussi difficile de ne pas étendre au groupe les bons côtés de quelques-uns que leurs mauvais travers ; l’homme à cette tendance à vouloir « uniformiser », « standardiser », « normaliser », « généraliser » ; faire en sorte que tout soit comme il le désire, de préférence comme lui – la seule chose qu’il connaisse digne d’intérêt. L’« internationalisation », la « globalisation », la « mondialisation » ne sont que les avatars de cette « uniformisation » conforme à sa logique « raciste ».

Je n’ai pas vu les années défiler. Après les Philippines, j’ai sillonné l’Asie dans tous les sens, à pied, en bus, en train, en bateau, en moto, à vélo plus rarement… Des dizaines de milliers de kilomètres ; des fuseaux horaires. J’ai dormi plus souvent sur des paillasses à un euro la nuit que dans des cinq étoiles, me suis frotté aux puces et aux punaises. J’ai croisé des regards, dont certains se sont éternisés jusqu’au petit matin. Il m’est arrivé de lâcher un petit billet, juste pour avoir la paix. J’ai pris le temps de m’arrêter, de me faire raser, couper les cheveux, débroussailler les oreilles, ressemeler les pompes. Partager un peu du quotidien crée du lien. J’ai goûté à toutes les bières et à des plats qui ne figurent sur aucun menu ; j’ai même fini par dégoter, en Iran, une gargote qui proposait des sandwichs aux nouilles. Plus important que les photos §µrapportées : le reste du décor, que je suis seul à connaître.

Je me suis réveillé dans le brouhaha étourdissant de Patna, capitale de l’État du Bihar. J’avais 30 ans. Il fallait entendre tintinnabuler les clochettes de milliers de rickshaws sans discontinuer, de 4 h à 22 h passé, pour comprendre que l’Inde entr’aperçue à travers les films de Satyajit Ray ou de Mrinal Sen, n’était pas l’Inde. Les maîtres du septième art indien pouvaient toujours justifier l’utilisation d’une caméra muette par le manque de moyens, je savais que le bruit rendait toute prise de son direct impossible. L’Inde a la capacité de vous dépouiller de toute vision exotique. Aucun autre pays n’offre une dichotomie aussi prononcée entre le monde et son image. La non-violence de Gandhi ne pouvait s’enraciner que dans la violence de l’Inde.

Voyager, c’est aussi choisir de voir le monde dans sa crasse, de passer à côté de la connerie des hommes en gardant le sourire ; ne pas parler la langue y concoure. C’est faire le choix de s’exposer, d’accepter d’être l’étranger, la cible de toutes les roublardises, publiques et privées ; d’être plus idiot que l’idiot du village, je le fus à Tunxi, en Chine (il n’était donc pas si simplet). C’est regarder le monde avec un a priori favorable, opposer l’espoir à sa nature sordide, refuser la jungle où survivre dépend de sa capacité à profiter de la faiblesse des uns et de la naïveté des autres.

Loin d’intégrer dans le monde, la route marginalise, puis exclu. La réalité finie par émerger, par submerger les plus belles images, les plus belles rencontres pour peu à peu imposer une évidence impitoyable : l’humain est la matrice de la bête immonde, elle n’a rien à envier ni au cafard ni au rat. Sous toutes les latitudes, l’humain est un prédateur et, comme tel, s’attaque d’instinct aux plus faibles: enfants, femmes, vieux, handicapés… À l’affût de la moindre erreur, il ne se soucie que de prendre, jamais de donner. Chaque sourire dissimule un Douch ; la monstruosité est consubstantielle à l’humanité nous rappelle François Bizot, prisonnier des Khmers Rouges au début des années 70. Et c’est vrai : aucune autre espèce, animale ou végétale, n’a conçu de monstre. L’humain est le seul à ne jamais vivre en paix, mais par la guerre. Personne d’autre que lui n’est obsédée par la sécurité, au point de développer des armes de destruction massive, de consacrer la plus grosse part de sa richesse à son armée, sa police sa justice. Le voyageur avance, avec insouciance, à travers un champ de mines.

Les Chroniques que vous allez lire ont été rédigées sur la route, dans l’inconscience de cette réalité. Bonne lecture. »

Marc Mangin

 

  • Exposition : « China Revisited », de Marc Mangin jusqu’au 7 juin à la Galerie Impressions : 17, rue Meslay, 75003 (Métro République ou Arts et Métiers). Les mercredis (de 18h à 21h) et samedis (de 14h à 20h).
  • Livre : « Écrits sur la » de Marc Mangin, 544 pages est publié par Œil pour Œil (2025)

Site de Marc Mangin

Michel Puech
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