
Plongée dans le monde fascinant de la mer avec l’exposition de Jean Gaumy au Musée National de la Marine à Paris.
Photographe et cinéaste, membre de l’agence Magnum, vice-président de l’Académie des beaux-arts et peintre officiel de la Marine, Jean Gaumy développe depuis plusieurs décennies une œuvre photographique et cinématographique où l’humain occupe une place centrale, toujours envisagé dans des milieux fermés, extrêmes ou symboliques : prisons, hôpitaux, navires en mer, zones irradiées. Son travail s’inscrit dans une tradition documentaire rigoureuse mais poétique, mêlant immersion, témoignage et réflexion formelle. Gaumy commence par photographier les prisons françaises et le milieu hospitalier dans les années 1970, une entreprise pionnière par son accès exceptionnel et la profondeur de son approche. Il ne se contente pas d’un regard sensationnaliste : il s’attache aux visages, aux gestes, à l’humanité ordinaire qui survit malgré l’enfermement ou la maladie.
Sa méthode : être présent, observer longuement, gagner la confiance, puis photographier. Inlassablement il photographiera aussi la mer prolongeant ainsi cette exploration des univers clos et de la condition humaine. Dans la série et le film « La Boucane » sur une conserverie de poisson à Fécamp, il capte l’usure du personnel, les corps fatigués, les gestes quotidiens dans un environnement dur et peu montré habituellement. Là encore, Gaumy ne dénonce pas mais montre, cherchant la beauté dans le réel, même dans ses aspects les plus rugueux, éclairant la vitalité, les rires, les chants des femmes qui travaillent à cet endroit. Sa série sur les marins pêcheurs à bord de chalutiers est emblématique de son approche. Passant des semaines en mer, il documente au plus près une vie rude, rythmée par les éléments, où l’homme lutte pour sa survie et celle de son métier. Le noir et blanc intense de ses images, le grain et les cadrages parfois bousculés, traduisent la puissance contenue dans ces scènes. Rien d’exotique, juste l’épure d’un combat quotidien. En 1982, il est en Andalousie pour la almadraba, une pêche au thon ancestrale et spectaculaire. Un labyrinthe des bateaux oriente les poissons vers un filet central, « la chambre de la mort », où ils se trouvent piégés. Les pêcheurs peuvent alors descendre dans le filet et remonter les thons les plus gros, dont certains peuvent atteindre six cents kilos.
« Voici quinze ans que je photographie. Parfois des photos dures, des moments difficiles. Un jour les mélanger avec d’autres photos : des moments de rivières, de vents et de rivages. Ils sont du même monde. Cela viendra de soi. Je ne sais pas comment. Je veux partir en mer et cette envie déjà porte en elle ce germe. Il ne peut pas s’agir de faire un reportage. Il s’agit d’autre chose. Je ne sais pas vraiment. Il faudra raconter. Raconter simplement. Éviter l’imposture, le registre héroïque. Rester à hauteur d’hommes. »
Regrettant de ne pas avoir photographié les derniers terre-neuvas portugais, il pressent la disparition prochaine des chalutiers classiques à pont découvert et de leur équipage, qui travaille au plein milieu des éléments, quasiment dans la vague. Cela le pousse à s’embarquer plusieurs fois sur des chalutiers de haute mer. Malgré le mal de mer lancinant et les embruns qui brouillent son objectif, il s’attache à tout photographier : les manoeuvres du navire, les dangers et le gros-temps, les fous de Bassan qui tournoient et plongent en rafale lorsque le filet émerge, les hommes d’équipage et la palette de leurs émotions, la vie à bord lorsqu’ils ne pêchent pas, mais aussi les techniques de pêche et le matériel employé. Des photographies qui fixent, dans une forme d’urgence, la mémoire de ces chalutiers pour ne pas les voir sombrer dans l’oubli.
Il réalisera au fil du temps de nombreux autres travaux liés à la mer : souvenirs des pêches baleinières à Saint-Pierre-et-Miquelon, gommiers de Martinique, pêcheurs en Mauritanie et à Fukushima, huis clos d’un sous-marin nucléaire, le remarquer L’Abeille Flandre et les marées noires, plates-formes pétrolières et éoliennes en mer. Il ira jusqu’aux pôles accompagnant plusieurs expéditions internationales où, sans s’éloigner de l’humain, il explore les marques de son empreinte ou sa possible disparition. Il y développe une dimension plus contemplative où la nature domine. La forme devient plus libre, proche de la gravure ou du dessin, basculant du noir et blanc à la couleur. Cette évolution témoigne d’une recherche constante : comment représenter le réel sans le trahir ? Comment transmettre une expérience vécue tout en conservant une part de mystère ? Chez Gaumy, l’image ne donne pas à voir une vérité, mais invite à une méditation, un frottement avec le monde, à la recherche d’une justesse de ton, d’un moment suspendu qui résiste à l’usure du temps. Ce travail est un chemin de pensée et de regard, une quête de profondeur dans un monde saturé d’images. Ses photographies nous rappellent que voir est un acte, que témoigner est une responsabilité, et que le réel, dans sa rudesse comme dans sa beauté, mérite d’être regardé avec lenteur et respect.
« L’eau aura été mon échappatoire, une façon de rester fidèle à ma nature et en même temps la façon de m’affirmer, de me trouver. »
En complément de cette exposition, sont présentées des images issues de la collection du musée et présentées pour la première fois. Cette exposition révèle la manière dont la mer et les communautés de pêcheurs ont été perçues par les photographes du milieu du 19e siècle jusqu’au début du 20e. La démocratisation de la pratique de la photographie et la grande diffusion des images jouent un rôle déterminant dans la constitution de l’imaginaire collectif. Dans le domaine de la pêche, l’iconographie et les récits ont longtemps mis en avant la dureté du métier et l’importance de la communauté des marins pêcheurs. Le recul historique et les différents niveaux de lecture possibles d’une même photographie incitent aujourd’hui à se questionner sur le rôle des photographes, et sur les choix qu’ils ont faits pour mettre en lumière les gestes, objets ou situations représentatifs de la pêche soulignant la diversité des regards portés sur ce métier exigeant.

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- Jean Gaumy
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