
Dans les années 70, la situation environnementale américaine est catastrophique. Une mission photographique est chargé d’en dresser le constat.
En 1969 Richard Nixon vient d’être élu président des États-Unis. Lors de son discours de l’Union où il expose les grandes lignes de sa politique à venir, il consacre un long moment à la protection de l’environnement. Non pas qu’il soit un fervent écologiste, mais la contestation de la guerre du Vietnam bat son plein et la ségrégation raciale toujours présente dans le pays sont très clivants. Il voit dans la protection de l’environnement une opportunité pour rassembler l’opinion sur une cause commune sans devoir affronter les antagonismes des autres sujets. Dans cette orientation, sera créée l’Agence pour la protection de l’environnement qui va faire appel à une centaine de photographes pour faire l’état des lieux de la situation environnementale du pays. C’est le projet Documerica.
Deux événements à la fin des années 60 vont marquer les esprits américains. Tout d’abord, en janvier 1969, une explosion sur une plate-forme de forage pétrolier offshore entraîne une des plus importantes marées noires de l’histoire du pays, déversant 12 millions de litres de pétrole sur le sable blanc de la plage de la très chic ville de Santa Barbara en Californie.
Ensuite, le 22 juin 1969, la rivière Cuyahoga qui passe par Cleveland dans l’Ohio, devenue hautement inflammable à cause des importants rejets toxiques des usines environnantes, prend feu ! Le cours d’eau saturé de graisse et d’hydrocarbures s’enflamme à cause des étincelles produites par le passage d’un train. Ce n’était pas la première fois, loin de là, mais l’événement connut un large écho médiatique, alimentant ainsi une prise de conscience environnementale croissante qui va favoriser la création de l’Environmental Protection Agency (Agence pour la protection de l’environnement) en 1970 et l’adoption de la Clean Water Act en 1973. A cette époque, des dizaines d’années de développement sans régulation ont entrainé une pollution de l’air et de l’eau phénoménale à laquelle s’ajoute une dégradation des conditions de vie et la pauvreté qui ont un impact important sur la santé publique, les problèmes écologiques devenant des problèmes sociaux.
En novembre 1971, l’EPA annonce un grand projet photo documentaire pour enregistrer les changements et les dégradations de l’environnement américain. Ce sera Documerica qui verra la production de plus de 80 000 photographies par une centaine de photographes chargés de faire le recensement photographique de toutes les atteintes à l’environnement sur le territoire américain et il y avait de quoi faire. Le projet n’est pas sans rappeler celui de la mission photographique de la Farm Security Administration qui, de 1935 à 1942, avaient missionné des photographes comme Walker Evans, Dorothea Lange, Gordon Parks ou Arthur Rothstein, pour documenter les conditions de vie et de travail des Américains ruraux confrontés à la grave crise économique que connait alors le pays. Afin de mailler le territoire, chaque photographe se voyait confié une zone géographique généralement là où il vivait et travaillait et un domaine sur lequel il était déjà impliqué.
es premières missions ont été étroitement alignées sur les domaines de préoccupation proposés par l’APE: pollution de l’air et de l’eau, gestion des déchets solides, pesticides, bruit, santé, mais les photographes avaient une grande liberté créative et de choix de leurs sujets. Par exemple, Michael Philip Manheim a photographié les conséquences de la pollution sonore près de l’aéroport Logan de Boston, Jack Corn a documenté la vie des mineurs de charbon en Virginie-Occidentale et au Tennessee, confrontés à des maladies liées à l’exploitation minière, Bill Gillette s’est intéressé aux conséquences de l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles au Colorado, notamment l’infiltration toxique des installations minières d’Union Carbide. La mission prendra fin avec la première crise pétrolière, les pressions politiques de l’industrie et les retombées du scandale du Watergate qui feront passer les enjeux environnementaux au second plan et se terminera officiellement en 1978.
Aujourd’hui, l’EPA subit l’offensive destructrice de l’administration Trump. Après la nomination à sa tête d’un proche du président, l’agence a mis en place un plan de suppression de ses effectifs avec pour objectif d’atteindre les 65% et promet l’abandon de toutes les normes relatives aux gaz à effet de serre. Ne doutons pas que la volonté mortifère du climatosceptique en chef ne s’arrêtera malheureusement pas là. Make America Polluted Again !
- Documerica
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