
La galerie Leica Paris présente une exposition sous forme d’une conversation photographique entre passé et présent, dialogue entre une grande figure de la photographie et un photographe de la nouvelle génération. Une leçon de mémoire et de persévérance, rappelant la responsabilité fondamentale du photojournalisme face à l’Histoire.
Deux générations, deux esthétiques, mais une éthique commune, celle de l’humanisme ancré dans le réel. Thomas Hoepker, figure de Magnum disparu en 2024, et le photojournaliste Edouard Elias engagent un dialogue posthume, où l’Histoire, la mémoire et la résilience humaine se rencontrent. Ces deux hommes incarnent une approche du photojournalisme où l’image est à la fois un acte de témoignage et un porteur de parole humaine. S’ils se distinguent par leur parcours et leur style, ils partagent le même refus du sensationnalisme et la même éthique du regard : montrer sans juger, rendre visible sans trahir. Thomas Hoepker, témoin des grands faits de l’histoire contemporaine, a toujours adopté une posture de pudeur distanciée. Il a documenté les événements pour mieux en révéler les contradictions humaines, privilégiant une certaine prise de recul avec la réalité.
Edouard Elias, quant à lui, est dans une logique de témoignage immersif. Profondément marqué par sa propre captivité dans les geôles syriennes en 2012, il œuvre au plus proche des victimes et des populations civiles. Son approche est celle du ressenti qui permet de mieux raconter, favorisant les sujets au long cours et une écriture photographique puissante et réfléchie. Ce dialogue se matérialise à travers une sélection d’archives de Thomas Hoepker issues de la collection Leica proposées à Edouard Elias, les images se répondant pour créer une conversation au delà du temps et de l’espace. Trois photos emblématiques du 11 septembre à New York signés Hoepker résonnent avec les photographies prises par Elias en Syrie, jouant sur le noir et blanc et la couleur. Une autre correspondance saisissante est établie entre une image montrant des enfants jouant sur un mur à Berlin sur fond d’immeubles bombardés pendant la Seconde Guerre mondiale, et une autre d’Elias réalisé à Homs en Syrie. Dans les deux œuvres s’inscrit le cycle de la destruction et de la vie qui persiste malgré tout. En plus de ces rapprochements, Edouard Elias a choisi d’intégrer une toute nouvelle série baptisée « Syrie – Year 0 ». Réalisée en janvier 2025 après la chute du régime de Bachar Al-Assad, ce travail marque le retour du photojournaliste dans un pays en quête de vérité.
Il y arpente les décombres et les lieux de détention, des espaces hantés par les fantômes des victimes. L’auteur s’est concentré sur les traces du régime, les plaies béantes inscrites dans la pierre. Ce sont des « ruines statufiées », des totems monstrueux d’une guerre qui ne finit pas, révélant une architecture de la destruction à la fois physique et psychologique. Au milieu de ces vestiges, les civils poursuivent inlassablement leur quête : retrouver les membres d’une famille à jamais amputée.
Edouard Elias à propos de Thomas Hoepker:
« Il existe une élégance dans la photographie de Thomas Hoepker. Dans ses cadres, un sujet, à un moment qui peut sembler anodin de sa vie, des jeux d’enfants, une simple discussion d’amis, des personnes âgées dans un décors urbain. Mais lorsque nos yeux s’intéressent à l’arrière-plan, nous découvrons le mur de Berlin, l’horreur des attentats du 11 septembre ou bien cette simple inscription « IL DUCE » (surnom de Mussolini) en Italie. Pour Thomas, la vie ne semble s’inscrire que dans le contexte de la grande histoire. La photographie, comme l’écriture, repose sur un vocabulaire. Plus ce vocabulaire est riche, plus on peut en jouer, en détourner les règles, en inventer de nouvelles. Cette culture visuelle faite de lectures, d’héritages, de gestes techniques, permet de naviguer entre différents registres : du documentaire au symbolique, du factuel à l’allusif, de l’actualité au rappel de la répétition historique en brouillant l’espace et le temps. »
« En conversation : un dialogue photographique entre Thomas Hoepker et Edouard Elias »
Galerie Leica Paris jusqu’au 22 novembre 2025.
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