
Dimanche 11 octobre 2025, au lendemain de la dernière soirée du Prix Bayeux des correspondants de guerre, projection de « The Stringer » : le film qui suscite une vive controverse au sein de la communauté journalistique internationale. À voir prochainement sur Netflix.
« The Stringer » est une enquête visant à déterminer qui a réellement pris la célèbre photo connue sous le nom de « Terreur de la guerre » ou « La petite fille au napalm ». Cette image, prise en 1972 pendant la guerre du Vietnam, est gravée dans notre mémoire collective. Elle est considérée comme l’une des photos les plus marquantes de l’histoire moderne. Elle marque le moment où l’opinion publique américaine s’est largement retournée contre la guerre du Vietnam.
Au milieu d’une route où l’on voit des enfants terrifiés courir vers le photographe, se trouve une petite fille, entièrement nue, la peau brûlée par le napalm qui vient d’être largué sur son village, Trang Bang. On aperçoit le nuage de feu au loin, des soldats et même un photographe en train de changer la pellicule de son appareil, tous se dirigeant vers l’auteur de cette photo emblématique. La photo est créditée à Nick Ut, un jeune photographe sud-vietnamien qui travaillait pour l’Associated Press (AP) à Saïgon. Elle lui a valu le prix Pulitzer de la photographie en 1973 et une renommée internationale qui l’a accompagné tout au long de sa longue carrière.
« The Stringer » (Le Pigiste) a été présenté en avant-première au festival du film indépendant de Sundance en janvier 2025, aux États-Unis. Réalisé par le Vietnamien-Américain Bao Nguyen, produit par Fiona Turner et Terri Lichstein, avec comme producteur exécutif Gary Knight, célèbre photojournaliste et cofondateur de la Fondation VII.
Depuis le début de l’année, la profession est en ébullition.
Aux USA, les réseaux sociaux s’enflamment.
Le film part du principe que Nick Ut n’est pas le véritable auteur de cette photo. Avant même la première projection publique de « The Stringer », un groupe de journalistes chevronnés et très respectés, vétérans de la guerre du Vietnam, ainsi que Nick Ut, ont exigé que le film soit retiré de la sélection sans même l’avoir vu. D’autres ont contacté les employeurs des personnes soutenant le film, condamnant leur position et menaçant de rompre leurs relations commerciales à cause de cette affaire.
Gary Knight incarne dans le film le rôle principal de l’enquêteur, qui tente de déterminer si, oui ou non, Nick Ut est bien l’auteur de la photo. Et si ce n’est pas le cas, qui en est l’auteur.
Une rumeur circulait depuis plusieurs années, mais ce n’était qu’une rumeur. Personne n’avait pris le temps d’enquêter jusqu’à ce que Gary Knight reçoive, en 2022, un courriel de Carl Robinson, rédacteur photo à l’agence Associated Press (AP) à Saïgon en 1972. Carl Robinson lui proposait des informations concernant la fameuse photo et sa source. Cinquante ans après les faits, Carl Robinson était rongé par le remords. Alors qu’il rédigeait la légende et préparait la photo pour la transmettre au réseau mondial de l’AP, le légendaire Horst Faas, chef du bureau, lui aurait demandé d’attribuer la photo à un photographe du staff : Nick Ut. Carl Robinson n’a alors pas osé s’opposer à l’ordre de son patron.
Depuis la présentation du film au festival de Sundance, j’ai été attristé à l’idée que Nick Ut ne soit peut-être pas le véritable auteur de cette image emblématique. Toute son identité professionnelle est liée à cette seule image prise il y a cinquante ans. Aussi, dès le début de cette histoire et de la polémique, j’ai décidé de suspendre tout jugement sur la paternité de cette photo jusqu’à ce que je voie, moi-même, le film.
À Bayeux, à la projection ce dimanche en début d’après-midi, j’ai été étonné de ne voir que très peu de mes collègues journalistes. Il est vrai que le dimanche, c’est le traditionnel déjeuner d’adieu des membres du jury en bord de mer.
En visionnant le film, j’ai été soulagé de constater la sincérité et l’empathie avec lesquelles Gary Knight a mené son enquête. Visiblement, il a cherché à découvrir la vérité, non comme adversaire de Nick Ut, mais comme un collègue concerné, bien conscient du préjudice moral que son enquête pouvait causer à Nick Ut. Mais également conscient de l’importance, pour le véritable auteur, d’obtenir enfin la reconnaissance qu’il mérite. Une question de justice et d’éthique professionnelle.
Si Nick Ut n’est pas l’auteur de « Napalm girl», qui l’est ?
L’enquête exhaustive de Gary Knight le mène finalement à Nguyen Thanh Nghe. Lui, à cette époque, était chauffeur pour NBC et photographe indépendant. Il se trouvait sur la Highway One le jour où Trang Bang a été bombardé au napalm. Il a vendu les clichés de cette journée à l’AP pour 20 $, prix standard pour les pigistes à l’époque. Le témoignage de Nguyen Thanh Nghe dans le film est émouvant. C’est l’histoire d’un homme qui a été privé de ce qui lui revenait de droit pendant une grande partie de sa vie.
> « J’ai travaillé dur pour [cette photo]… mais c’est cet homme [Nick Ut] qui a tout récolté. Il a obtenu la reconnaissance. Il a reçu des récompenses. Il a été célébré au Vietnam. »
Pourquoi Nguyen Thanh Nghe n’a-t-il pas contesté le fait que Nick Ut soit crédité à sa place pour la photo ? Il explique dans le film qu’il avait abandonné le négatif et donc qu’il n’avait aucune preuve.
Le 15 javier 2025, l’AP a publié une enquête de 22 pages qui comprend les témoignages de sept personnes qui se trouvaient sur la route ce jour-là ou dans les bureaux de l’AP à Saïgon. Elles ont toutes déclaré à l’agence qu’elles pensaient que Nick Ut avait pris la photo.
« En l’absence de nouvelles preuves convaincantes du contraire, l’AP n’a aucune raison de croire que quelqu’un d’autre que Nick Ut ait pris la photo. »
Après la projection, j’ai discuté du film avec Gary Knight et la scénariste-productrice Fiona Turner, qui est également son épouse. Il est compréhensible que plusieurs témoins puissent croire que Nick Ut a vraiment pris la photo, mais aucun d’entre eux n’atteste l’avoir vu la prendre !
Dans le film, outre les nombreuses interviews, Gary Knight et son équipe ont fait appel à INDEX, une ONG d’investigation basée à Paris et spécialisée dans l’analyse médico-légale. À l’aide d’images satellites, de photos et de vidéos prises le jour même, ainsi que de modèles tridimensionnels, ils ont déterminé que Nick Ut n’aurait pas pu se trouver en position de prendre cette photo cruciale.
Lors de la séance des questions-réponses qui a suivi la projection, j’ai demandé à Gary Knight comment il caractériserait le refus de Nick Ut de reconnaître qu’il n’était pas l’auteur de cette photo. Est-ce simplement de la malhonnêteté ? Comment peut-il prétendre être l’auteur de cette image ? Pour ceux d’entre nous qui ont travaillé comme photojournalistes et qui accordent de l’importance au droit d’auteur, c’est incompréhensible. Gary Knight n’a pas su répondre. Comme il l’a dit, aucun d’entre nous ne peut savoir ce qui se passe dans la tête de Nick Ut.
Avant de voir cette démonstration dans le film, il me semblait impossible que Nick Ut ne soit pas l’auteur de « Napalm Girl ». Mais après la projection, je ne crois plus que ce soit le cas.
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