
Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme consacre une grande rétrospective à Denise Bellon, une photographe méconnue, pionnière du photojournalisme.
Elle s’appelle Denise Bellon, à ne pas confondre avec Denise Collomb. Ces deux femmes photographes, nées au tout début du XXᵉ siècle, étaient contemporaines ; la seconde a connu plus de notoriété que la première. Le mahJ a souhaité réparer cet oubli en présentant au public près de trois cents tirages, lettres et documents.
Denise Bellon est une femme séduisante, intrépide et rieuse. Elle a le goût de l’imprévu et du défi ; elle aurait voulu être exploratrice, raconte sa fille, la cinéaste Yannick Bellon. Le titre de l’exposition, « Un regard vagabond », lui va comme un gant. Son œuvre se caractérise par une curiosité toujours en éveil qui l’amène à rencontrer les milieux les plus divers : les Gitans de la Zone, vivant dans un bidonville installé sur les terrains entourant les anciennes fortifications de Paris, les gueules cassées de la Première Guerre mondiale ou encore les milieux culturels et artistiques de la capitale.
Née en 1902, Denise Bellon est la fille de Max Hulmann, un médecin juif alsacien réputé installé à Paris, et de Marthe Sichel. Après la séparation de ses parents alors qu’elle n’a que quatre ans, elle est élevée avec sa sœur Colette par leur mère. À l’école primaire de la rue de Villiers, dans le XVIIᵉ arrondissement, elle s’est liée d’amitié avec les sœurs Maklès, grâce auxquelles elle fréquentera plus tard le monde artistique : Rose, épouse du peintre André Masson, Sylvia, épouse de l’écrivain Georges Bataille, puis du psychanalyste Jacques Lacan.
Son mariage en 1923 avec le magistrat Jacques Bellon, rencontré sur les bancs de la Sorbonne, lui promettait une vie bourgeoise bien rangée, mais elle s’en affranchit en y mettant un terme à l’âge de vingt-huit ans pour vivre en femme indépendante et exercer un métier qu’elle apprend sur le tas : la photographie. Elle est la jeune mère de deux filles, Yannick et Loleh. Ce sont leurs petites bouilles qu’on reconnaît sur ses premiers travaux publicitaires.
Ses débuts sont influencés par l’esthétique de l’époque, la Nouvelle Vision, pendant de la Neue Sachlichkeit allemande. Dans la lignée du Bauhaus, ce mouvement artistique formaliste célèbre la modernité en proposant des points de vue décalés, en plongée ou en contre-plongée, renonçant aux cadrages frontaux des pictorialistes. Denise Bellon trouve son inspiration dans les motifs géométriques et les textures. Elle se rapproche par là des surréalistes, qui s’émerveillent de la banalité du quotidien.
En intégrant le Studio Zuber, elle adopte le Rolleiflex aux formats carrés et se consacre au reportage. Les membres du collectif — René Zuber, Pierre Boucher, Émeric Feher et Pierre Verger — fondent en 1934 une agence photo, Alliance-Photo, afin de diffuser leurs images. Ce nouveau modèle d’agence coopérative, où chaque photographe reste indépendant, préfigurera l’agence Magnum Photo.
La presse illustrée est en plein essor ; Denise Bellon travaille alors pour Match, VU ou Regard. Ce sont aussi des années de voyage : les Balkans en 1934, Casablanca en 1936, où elle traîne dans le quartier des prostituées en fixant une série de portraits crus sur sa pellicule, la Finlande et l’Afrique en 1939. Ici, ses photographies s’éloignent de l’imagerie traditionnelle coloniale en s’attardant sur des détails poétiques.
La Seconde Guerre mondiale la contraint à se réfugier en zone libre à Lyon avec son nouvel époux, Armand Labin, journaliste juif roumain rencontré en 1937. Dissimulant sa judéité, le couple y retrouve Pierre Boucher, lequel a tissé un réseau professionnel dans le journalisme. Armand Labin entre dans la Résistance et dans la clandestinité sous le nom de Jacques Bellon, pendant que la photographe documente la vie quotidienne de la ville sous l’Occupation : traboules obscures, distribution de soupe populaire.
À la Libération, Armand Labin fonde Midi Libre à Montpellier, tandis que Denise Bellon reprend son travail de photographe indépendante et se fait remarquer par plusieurs sujets. Elle couvre la réouverture de la Maison des enfants de Moissac, une institution qui a accueilli et protégé nombre d’enfants juifs entre 1939 et 1943. Son style s’est affirmé et ses images gagnent en force.
En 1947, elle séjourne à Djerba, d’où elle ramène un précieux témoignage sur la communauté juive de l’île. Les années d’après-guerre sont marquées par sa proximité avec les artistes. Pendant près de vingt ans, à la demande d’André Breton, elle documente les expositions internationales du surréalisme. Elle côtoie aussi le monde du cinéma : photographies de plateau ou portraits d’acteurs et de cinéastes sont son quotidien. On reconnaît les stars de l’époque : Danielle Darrieux, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, Marcel Carné et Jacques Prévert. Le cliché de la baignoire du fondateur de la Cinémathèque française, Henri Langlois, remplie de bobines de films, raconte en une seule image la passion de ce fou de cinéma.
Dans la dernière partie de sa carrière, Denise Bellon expérimente un peu la couleur, mais reste fidèle à son regard humaniste en noir et blanc et à son intérêt pour la ville et l’architecture. Denise Bellon ne révolutionne pas les codes esthétiques de la photographie ; sa vision reste somme toute classique, mais son parcours de femme accompagnant toutes les avant-gardes du XXᵉ siècle, son rôle actif dans la diffusion des images, force le respect. Femme de réseau et d’instinct, elle a su transformer une pratique solitaire en aventure collective.
Exposition Un regard vagabond.
au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), à Paris jusqu’au 8 mars 2026
- Denise Bellon
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