
Le 4 février 1985, « leur » Maurice meurt à Paris, François Mitterrand ouvre les ondes aux chaînes de télévision privées ; et, déjà, « le caillou » est en ébullition…

Maurice Siegel est mort, hier après-midi, à Paris… L’inventeur du journal parlé d’Europe 1, à qui le pouvoir injustement a dit, un jour, « 20 ans ça suffit ». Les plus anciens de la rue François-1er ont baissé la tête. Siegel, c’était leur père. Celui qui leur a tout appris.
Ils ont hissé les couleurs du poste frappées des trois mots essentiels de leur boss. Indépendance. Liberté. Professionnalisme. Et puis l’Europe 1 de Siegel a ressurgi, – une dernière fois -, mis en ondes par Olivier de Rincquesen : « Pas d’élégie, je crois que Monsieur Siegel n’aurait pas aimé », a dit de Rincquensen, presque timide, comme si l’ombre du patron le regardait. Et l’on est revenu au temps où Maurice Siegel usait ses fonds de culottes au lycée Janson de Sailly. Toute sa vie a suivi. La résistance, Le Populaire, Europe 1, VSD qu’il fonda après. Quelle vie ! Un trésor de la magnétothèque d’Europe 1 cette évocation.
Le jour n’était pas à raviver les vieilles querelles, on n’a pas insisté sur le rôle de Chirac et de Giscard qui ont viré le journaliste. De même que n’a pas été cité Jean-Luc Lagardère qui l’a remplacé. Ils sont tous venus dire ce qu’ils doivent à « leur » Maurice. Sylvain Floirat, le premier, en larmes. Emotion.
L’arrivée des télévisions privées
Europe 1 aura bien besoin de retenir les leçons de son fondateur pour négocier au mieux le virage des télévisions privées dont François Mitterrand donne le feu vert. Ils sont plus de cinquante affamés d’images à s’inscrire, en toute hâte, dans la compétition. On se croirait au départ du rallye Paris-Alger-Dakar quand les tout petits, les moins que rien toisent les majors tous puissants. Oubliés aujourd’hui le Canal 5 de Bessy, l’antène 1 de Fiszbin, TVL, le réseau autonomne de télévision…
Mais, en 1985, « l’année de tous les changements », chacun veut encore croire à sa chance. Ickx et Brasseur devaient remporter le Paris-Dakar 1985 dans leur Porsche, ce fut Zaniroli et Da Silva sur Mitsubishi. Alors…
Tous savent que, compte tenu des fréquences disponibles, les places sont rares. François Mitterrand ne l’a pas caché, mais le Président a aussi dit à Christine Ockrent sur Antenne 2 :
« Oui, il va y avoir des chaînes en plus du service public, de grandes chaînes nationales qui passeront des arrangements avec les chaînes locales. Je crois que, dans l’ensemble de la France, il doit y avoir place pour 80 ou 95 chaînes au total… »
De quoi exciter les appêtits. Rien qu’à Paris, Jacques Chirac enregistre plus de 20 demandes : les premiers par ordre de dépôt des candidatures : NRJ, UGC-Libération-RSCG, Europe 1… La rue François-1er est candidate à tout : réseau national ou station régionale, chaîne musicale ou télé généraliste. Hachette-Filipacchi, la CLT (RTL), Publicis sont également sur les rangs. Mais le plus rapide a dégainé est Robert Hersant. A la une de « son » Figaro, il annonce la création de « sa » télévision. Avec à sa tête trois « super-pros », Philippe Ramond, Jean-Marie Cavada et Patrice Duhamel. Boulimique le papivore veut aussi reprendre Canal plus dont chacun se plait à annoncer le naufrage prochain…
La Nouvelle Calédonie, déjà !
Cruel, L’Evénement du jeudi titre : « Au moins sur le Titanic, on coulait en chantant. » Les médias flambent. La télé du matin mène la vie dure aux radios, leur chipe près de deux millions d’auditeurs, ses reporters, en Nouvelle Calédonie, mettent à profit le décalage horaire pour expédier des reportages complets, sur la crise mélanésienne, à l’heure des journaux radios du matin. Et les Français qui grelotent par un froid sibérien découvrent, stupéfaits, sur leurs télévisions, une Nouvelle Calédonie estivale. Xavier Colin, présent pour Europe 1 à Nouméa doit tenir compte de cette primauté de l’image. Analyser plus que décrire. Mais l’essentiel de son temps, il le passe à débusquer le vrai du faux dans les informations nombreuses et contradictoires qui courent l’île. Ce qui n’est pas facile, surtout lorsque deux communautés s’affrontent, et que le moindre incident peut tout faire basculer.
Ainsi la fusillade d’Hienghène qui éclate sur la côte Est, le mercredi 5 décembre 1984, au soir, n’est connue que jeudi matin à 6h 30 à Nouméa. Selon une première information, des militants du FLNKS auraient d’abord incendié une maison isolée d’un européen. RFO parle de trois morts non identifiés à la suite d’un affrontement entre indépendantistes mélanésiens et colons européens autour d’un barrage routier. Peu à peu le nombre des victimes augmente, 5, 7, puis 9 morts. RF0 diffuse une seconde version selon laquelle neuf kanaks tués à Hienghène sont tombées dans une embuscade à la sortie d’une réunion.
Xavier Colin d’Europe 1, Jean-Charles Marchand de Radio Monte Carlo, Philippe Renltier de France Inter, ainsi que deux photographes conjuguent leurs efforts pour tenter d’en savoir plus. Ils empruntent ce jour-là tous les moyens de transport possible : avion loué, hélicoptère de l’armée, taxi, camion et même marche à pied pour se rendre jusqu’à Hienghène. « L’embusade ne faisait aucune doute, affirme Xavier Colin, les témoignages des hommes de la tribu de Tjibaou étaient éloquents. Leurs compagnons avaient été achevés de sang-froid. Le leader indépendantiste perdait deux de ses frères. »
L’arbre abattu et placé au milieu de la route pour forcer les deux voitures des kanaks à s’arrêter, est encore là, à l’arrivée des reporters, mais les corps ont déjà été retirés par l’armée. Leur enquête faite, il reste au petit groupe de journalistes à revenir à Nouméa. Sur la piste de l’aéroport chauffe le moteur du Transall de l’armée française qui ramène les corps. Une chance, ils connaissent le pilote qui accepte de les embarquer. Mais comme il est interdit de rester debouts, ils feront le voyage assis sur les cerceuils des kanaks tués. « Je n’étais ni fier, ni très à l’aise, raconte Xavier Colin, et j’ai commencé, juché ainsi, à monter mes bandes magnétiques. » Colin est arrivé, à Nouméa, avec ses confrères, en taxi de l’aéroport, cinq minutes avant que ne débute à Paris le journal de 12 h 3O d’André Arnaud.
Le « caillou » en ébullition devient désormais le nouveau feuilleton des médias.
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