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25ème Visa pour l’image: la fête au son du canon ?

logo_Visa-2013La 25ème édition du festival de photojournalisme  Visa pour l’image de Perpignan s’ouvre ce samedi 31 août et proposera jusqu’au 15 septembre, 23 expositions en entrée libre dont une grande rétrospective de Donald McCullin, le photographe de la guerre. Et justement, la guerre s’intensifie en Syrie…

« Une autre fois, comme j’accompagnais une patrouille, une rafale d’arme automatique a fauché les deux soldats qui me précédaient. J’ai plongé à terre, le visage dans la boue, mes appareils dans la poussière, et suis resté terré là, immobile, pendant vingt minutes où j’ai vu défiler toute ma vie. » écrit Donald McCullin dans son autobiographie « Unreasonable behaviour » (Ed. Delpire 2006)

Qu’on le déplore, ou qu’on l’accepte, la guerre est la grande affaire du photojournalisme depuis que la photographie existe. De la guerre de Sécession à celle de Crimée, de celle de 14/18 à celle de 39/45 en passant par les pires, les guerres civiles d’Espagne, de Chypre, du Biafra, d’Amérique centrale,  les reporters photographes ont toujours – ou presque – été là pour témoigner de l’horreur. Et ils ont, et continuent, de payer un lourd tribu au devoir d’informer.

En accueillant une grande exposition de  Donald McCullin l’invité d’honneur de cette 25ème édition, Jean-François Leroy le directeur du festival rend hommage à celui qui, à son corps défendant – son exposition est titrée: « La paix impossible », est la figure mythique du reporter de guerre.

(c) Haytham Pictures
(c) Haytham Pictures

 

Ce week-end, Visa pour l’image s’ouvre à Perpignan alors que les armées occidentales hésitent à intervenir dans la guerre civile qui ravage depuis plus de deux ans la Syrie. Plus de cent mille morts, des millions de réfugiés…   Et dans ce massacre, selon Reporters sans Frontières (RSF) 25 journalistes ont été tués en Syrie depuis mars 2011 et 24 sont actuellement « emprisonnés ».

En premier, nos pensées vont au jeune photographe Edouard Elias enlevé en compagnie du grand reporter d’Europe 1 Didier François le lendemain de leur arrivée en Syrie le 6 juin 2013.

Edouard Elias a débuté l’an dernier à Perpignan. Je l’ai rencontré à la traditionnelle fiesta de Paris Match qui clôture chaque année Visa pour l’image. Il arrivait de Syrie avec une clé USB contenant des photos qui allaient faire quatre pages dans Paris Match la semaine suivante. Ensuite Edouard Elias était retourné en Syrie avec Olivier Voisin… Il en était revenu avec son confrère mort. Mais, il a réalisé des photographies de Syrie qui ont fait le tour du monde diffusé par l’AFP ou Haytham Pictures, son agence.

Heureusement l’été nous a apporté deux bonnes nouvelles, celle de la libération de Jonathan Alpeyrie (Lire son récit), et la récente évasion de Matthew Schrier de l’enfer syrien.

Des expositions  et des projections qu’on ne voit nulle part ailleurs

Mise à part l’exposition de Donald McCullin, dont je reparlerai, 22 autres sont absolument à voir. Vous pouvez en avoir un aperçu avec le portfolio que Mediapart leur consacre. (Voir le portofolio).

Au programme : Abir Abdullah de l’agence EPA avec les incendies de Dacca, Éric Bouvet s’est reposé de la guerre en photographiant la tribu Burning Man, Sarah Caron prix Canon de la femme photojournaliste s’est intéressée aux femmes pachtounes, Rafael Fabrés a observé la pacification de Rio de Janeiro, Sara Lewkowicz de Getty Images a peint la violence conjugale, Pascal Maitre de l’agence Cosmos montre la magie de Kinshasa, Phil Moore de l’AFP est en plein dans l’actualité avec le conflit entre le M23 et les forces congolaises, le célèbre picture editor John G. Morris a sorti de ses cartons une journée en Normandie en 1944, Muhammed Muheisen d’Associated press fait le tour de trois ans de conflits, Michael Nichols du National Geographic  a saisi la vie des lions, Darcy Padilla de l’agence Vu poursuit son travail intimiste sur la misère, Andrea Star Reese a photographié des malades dans des institutions, foyers, écoles et hôpitaux en Indonésie, Majid Saeedi  de Getty Images nous parle d’Afghanistan, Vlad Sokhin de Cosmos s’est penché sur le sort des enfants d’Haïti, Angelos Tzortzinis nous montre les émeutes en Turquie, Alfred Yaghobzadeh ex-Sipa press a couvert la Kumbh Mela 2013 pour Smithsonian Magazine.

Enfin Sebastiano Tomada de Sipa press revient sur la Syrie comme Jérôme Sessini de Magnum avec son reportage sur Alep. Quant à Goran Tomasevic de Reuters, il livre une rétrospective de ses derniers reportages.

Terminons ce tour d’horizon des expositions par l’autre invité d’honneur du festival  Joao Silva du New York Times « Le 23 octobre 2013 marquera mon troisième alive day, date à laquelle j’ai échappé à la mort lorsqu’une mine antipersonnel afghane a explosé, sectionnant ma jambe gauche en dessous du genou, et ma jambe droite au-dessus. D’autres blessures, aussi graves mais moins visibles, m’ont obligé à subir des opérations pendant deux ans et demi. »

Depuis on attendait le retour de Joao Silva à Perpignan. Cette année il sera là pour Transmissions, le workshop animé par Jérôme Delay d’Associated press. Un Transmission exceptionnel puisqu’outre Joao Silva, Stanley Greene de Noor,  Jon Jones, directeur de la photo du Sunday Times Magazine et John G. Morris y participeront.

Autre temps fort du festival, les projections sur un écran de 24 mètres au Campo Santo. C’est pour moi l’incomparable « must » de Visa pour l’image. Et je vous en rendrai compte très largement, d’autant plus qu’elles débutent toujours par les images du jour. Et que l’actualité promet d’être au rendez-vous. Hélas.

La guerre, le sujet est inépuisable et sera au centre du colloque annuel (vendredi 6 septembre à 14h30. Entrée libre) dont le thème est : « Les défis psychologiques des journalistes couvrant les conflits et les catastrophes » Il sera question du syndrome de stress post-traumatique. La table ronde sera animée par Anthony Feinstein, professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Toronto), qui présentera les données recueillies au cours des dix dernières années sur la santé psychologique des reporters de guerre. Édith Bouvier, journaliste rescapée de Homs (Syrie), Jérôme Delay, photographe et responsable du bureau d’Associated Press en Afrique du Sud, Santiago Lyon, directeur de la photographie, Associated Press, bureau de New York entoureront Jean-Paul Mari, grand reporter au Nouvel Observateur qui a publié sur le sujet un excellent livre « Sans blessures apparentes » (Ed Robert Laffont 2008).

« Du passé faisons table rase »

« C’était il y a 24 ans…Perpignan  accueillait la première édition d’un tout nouveau – et tout petit ! – festival de photoreportage, Visa pour l’Image. Vingt-quatre expositions, déjà. Six soirées de projection. En fait trois, reprises deux fois chacune » écrit Jean-François Leroy le directeur du festival, dans son traditionnel éditorial.

« En ces temps lointains, nous n’avions pas d’ordinateurs. Les légendes étaient approximatives, au mieux, voire inexistantes, purement et simplement…/…Les magazines produisaient beaucoup, les agences étaient florissantes, les photographes pleins de talent travaillaient dans la joie et la bonne humeur. Et dans de bonnes conditions financières. Bref, c’était un autre temps. Un autre monde. Révolu. »

Le passé n’a pourtant pas été toujours rose pour tout le monde, ni tout le temps…  Deux anecdotes parmi mille, quand Patrick Chauvel,  en reportage pour l’agence Sygma, est très grièvement blessé en Amérique centrale, il n’a pas  d’assurance !

Quand en novembre 1978, Donald McCullin voit « son » journal le Sunday Times mis à mal par une grève des ouvriers du livre, il est aussi en colère que tous les photographes du  Chicago Sun-Times licenciés en mai dernier.

Bref, le passé, ce fameux « age d’or » du photojournalisme, ne fut pas aussi rose que les souvenirs des anciens, mais la nostalgie console agréablement.  Michel Setboun l’a bien compris avec sa série « 40 ans de photojournalisme » dont il signera cette année, vendredi  à 18h à La Poudrière, le tome sur l’agence Sygma, qui suit le « Génération Sipa » de l’an dernier (Ed. La Martinière).

Mais les faits sont têtus et les reporters blessés, tués ou « disparus », comme les faillites d’agences, de magazines ou les restrictions budgétaires ont de tout temps été le lot d’une profession qui a toujours dansé sur une corde raide.

Comment pourrait-il en être autrement ?

L’information ne génère que rarement des bénéfices. Et les hommes ou les entreprises qui se donnent mission de rapporter, de témoigner, de mettre en perspectives les évènements n’ont pour ambition financière que celle de leur prochain reportage, de leur prochain « coup », de leur prochaine édition…

Comme Jean-François Leroy, l’infatigable défenseur du photojournalisme, pour lequel cette 25ème édition doit être également une belle fête à la hauteur de la réussite internationale de Visa pour l’image. Merci à lui et ses équipes d’avoir toujours la « niaque » !

 

 Dernière révision le 26 mars 2024 à 4;57 par la rédaction