Photo collection de la famille – Tous droits réservés

Photographe devenu directeur du service photo du bureau parisien d’Associated Press, Guy Kopelowicz était très respecté dans la profession. Il a longtemps siégé à la Fédération française des agences de presse, à la Commission paritaire des publications et agences de presse, ainsi qu’au Comité de liaison qui gère la couverture des voyages présidentiels, où il apportait son expertise professionnelle. Cet amateur de bons vins et de jazz s’est éteint dimanche 26 octobre 2025.

« Je suis très, très triste… », me confie au téléphone Michèle Laurent, la veuve du photojournaliste Michel Laurent (1946 -1975), mort au Vietnam, et amie de Guy Kopelowicz. « C’était un grand, très grand ami. Je lui ai parlé au téléphone il y a trois mois. Nous nous téléphonions tous les trois mois depuis 50 ans. C’était non seulement un fidèle, un pro — alors que ça ne va pas toujours ensemble — mais lui, il avait les deux qualités. Et puis, un homme très généreux sous ses airs comme ça, sérieux… Très discret, toujours présent. Il m’a beaucoup aidée au moment de la mort de Michel ; je n’ai que de beaux souvenirs avec lui. »

« C’était un très bon éditeur photo. Il était connu et respecté dans la profession », a déclaré Bertrand Combaldieu, qui a succédé à Laurent Rebours, lui-même successeur de Guy Kopelowicz. À la tête d’AP Photo, c’est toujours un ancien photojournaliste qui prend la direction du bureau de Paris, et ce depuis la réouverture du bureau en 1944, après la libération de Paris.

« J’ai été basé à Paris pendant huit ans et j’ai partagé le bureau avec Guy avant de partir pour l’Afrique du Sud, il y a 20 ans ! », écrit Jérôme Delay. « Mon souvenir de Guy ? Comme on dit familièrement en anglais, c’était un tough boss [i], qui manageait le bureau de Paris comme un amiral de porte-avions : direct, efficace, mais compréhensif vis-à-vis de son staff. Et surtout, un énorme amateur et spécialiste de jazz et de grands crus de Bordeaux. Une immense personnalité de l’espace photo journalistique français des années glorieuses de notre métier. »

Paris, 31 octobre 2025 – Bernard Ferret rend hommage à Guy Kopelowicz lors de la cérémonie au Père Lachaise – Photo Jean-Michel Psaila / Abaca

« Depuis une semaine, jai reçu des messages venant des quatre coins du monde, du Canada en passant par Ankara, Londres ou Milan », a écrit Bernard Ferret dans le discours prononcé au Père-Lachaise à Paris ce vendredi après-midi pour la cérémonie d’adieu. Bernard Ferret, son adjoint mais aussi, et surtout, son ami de quarante ans, était entré à AP avant lui comme « belinographiste », puis éditeur.

« Aucune surprise dans tous ces messages, mais un lien commun : celui de la gratitude. Tous ceux qui ont eu la chance de côtoyer Guy, de progresser grâce à lui, savent ce que Guy leur a donné — lui, ce grand professionnel toujours prêt à aider, à former dans le métier de journaliste-photographe, qui a donné toute sa vie pour AP. Denise, son épouse, est bien placée pour le savoir. Ils lui sont tous reconnaissants de cette aide, de ses conseils qu’il a toujours su leur prodiguer. Tous, même moi — et surtout moi — qui ai pu, grâce à la confiance qu’il m’a accordée, le seconder pendant de nombreuses années et découvrir son humanité. »

Une vie au service du photojournalisme

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Né à Paris le 28 octobre 1939, Guy Kopelowicz a vu sa vie bouleversée à 16 ans par les tensions entre l’URSS et les alliés occidentaux. Le 27 juillet 1955, son père meurt à 46 ans. Il est l’une des 58 victimes du Constellation d’El Al, abattu par deux Mig-15 au-dessus de la Bulgarie. Le vol, venant de Londres via Paris, et avait pour destination Tel Aviv. Il aurait dévié de sa route pour une raison inconnue.

Dans l’après-guerre à Paris, le jazz est la reine des musiques. À 18 ans, le jeune Kopelowicz devient pigiste texte et photo pour Jazz Hot (1957–1958) et Jazz Magazine (1958–1960), ce qui le pousse à entamer des études au Centre de formation des journalistes (CFJ).

« Mais à l’époque, on n’avait pas de sursis quand on faisait le CFJ », me confiait-il en 2021 lors de notre deuxième interview par téléphone. « Je suis entré au CFJ en 1959 et, en 1960, j’ai été appelé à l’armée. Pas moyen d’y échapper. J’ai passé deux ans et demi de service militaire, dont deux ans en Algérie. Je suis rentré d’Algérie l’été 1962, au moment où la guerre s’est terminée là-bas. J’ai essayé de continuer le CFJ, mais ça ne m’intéressait plus de faire des études. J’ai cherché du travail. À l’époque, dans la presse, la priorité allai » aux journalistes qui rentraient d’Algérie, c’est-à-dire essentiellement aux Français d’Algérie, aux « pieds-noirs ». J’ai fait des petits boulots dans des petites revues, puis j’ai postulé à l’AFP, à AP News, à AP Photo… J’ai attendu plusieurs mois. Au printemps 1964, j’ai eu, en même temps, des réponses favorables de l’AFP et d’AP Photo. J’ai été tenté par AP Photo. Je dois dire qu’entre-temps, j’avais également travaillé quelques mois à l’agence photo Keystone avec Alexandre Garai. Je faisais les légendes des photos pendant presque une année rue Royale. »

En août 1964, Guy Kopelowicz est embauché par Michael Nash (1937 – 2009), l’historique directeur d’AP Photo Paris en poste depuis la Libération. Il arrive au 21 rue de Berri, dans l’immeuble dont l’imprimerie du Herald Tribune occupe le rez-de-chaussée. Il y avait alors cinq photographes staff : Jean-Jacques Lévy, Michel Lipschitz, Jacques Marqueton, Pierre Godot et Joseph Babou.

« Au tout début, je faisais les légendes pour les tirages photo qui partaient tous les jours aux différents abonnés de l’agence par courrier. Il n’y avait qu’une vingtaine d’abonnés qui les recevaient par téléphoto. AP était l’agence la plus importante pour la photo en France. L’AFP n’avait pas un réseau téléphoto aussi développé que ceux d’AP et UPI. »

Très vite, Guy Kopelowicz est happé par l’actualité des années 60, où la guerre du Vietnam bat son plein. Mais les photos passent rarement par Paris : elles étaient acheminées par téléphoto vers Tokyo ou New York, selon les disponibilités des lignes téléphoniques.

« À l’époque, les transmissions de photos étaient limitées par le temps qu’il fallait pour transmettre une photo N&B. Si la ligne était correcte, il fallait un quart d’heure. On transmettait surtout des photos en N&B. On utilisait rarement les transmissions couleur parce que ça prenait énormément de temps. Il fallait transmettre le document en trois fois : le cyan, le rouge et le jaune, si je me rappelle bien. Dès qu’il y avait une petite coupure, il fallait recommencer, donc ça prenait un temps très long. Évidemment, plus tard, quand Internet a commencé à se développer, à AP, on était parmi les tout premiers à transmettre les photos par ce nouveau moyen. Ça a été une révolution. »

Les années 70 voient l’arrivée sur le marché des agences Gamma, Sygma, Sipa, mais pour Guy Kopelowicz, le travail reste le même : « Ça n’a pas été vraiment une concurrence. Comme ils ne travaillaient pas en téléphoto, les ventes se partageaient entre AP et UPI. » En 1985, Harry Dunphy, directeur d’AP France, écrit à Michel Guerin à propos d’un article dans Le Monde que le chiffre d’affaires d’AP Photo est de « 483 millions de francs (152 457 K€), comparé aux 70 millions de francs (22 095 K€) de l’agence Sygma. »

Les années 80 marquent le début

d’une nouvelle ère pour les « agences filières »

Paris, 31 octobre 2025 – Amis et collègues venu rendre hommage a Guy Kopelowicz au Père Lachaise. Photo Jean-Michel Psaila : Abaca
De gauche à droite : Michel Euler AP photographer, Bernard Ferret former deputy chief photographer, Bertrand Combaldieu chief photographer, Jean-Michel Comte former head of the French AP News service, Laurent Rebours ex chief photoragper photographer, Christophe Ena AP photographer and Laurent Emmanuel former AP photo editor.

« Dans les années 60, les agences filières, comme on disait, c’était AP, UPI et AFP. Ensuite, il y a eu un accord entre AP et AFP. Reuters a pris la suite de UPI et a commencé à intervenir. Je crois que c’était en 1984. Pendant la guerre du Liban en 1982, j’étais au Moyen-Orient, à Beyrouth précisément », se souvenait Guy Kopelowicz à 81 ans. « J’ai eu un coup de fil d’Horst Faas, directeur pour l’Europe, qui m’a annoncé qu’il allait y avoir un accord entre AFP et AP. Mais il n’y a pas eu de grands changements immédiatement. Les changements sont vraiment intervenus au début des années 2000, quand l’AFP a vraiment lancé son service international en photo. »

Dans la dépêche d’AP annonçant le décès, Tony Hicks écrit :

« Figure respectée dans le monde de la photographie parisienne, Kopelowicz a joué un rôle clé dans la couverture par AP de certains des événements les plus importants de son époque, notamment l’insurrection de Paris en 1968, la prise d’otages des Jeux olympiques de Munich en 1972, plusieurs Jeux olympiques, la visite du pape Jean-Paul II à Lourdes en 1983, la réunion historique de réconciliation du président français François Mitterrand et du chancelier allemand Helmut Kohl en 1984 à Verdun. »

Interrogé sur les photographes qui l’ont marqué, Guy Kopelowicz, déjà handicapé par la maladie de Parkinson, se rappellait de Jacques Langevin, qu’il a embauché, de Laurent Rebours, venu de Sipa Press, et de :

« Paul Roque, qui a été gravement blessé au moment du conflit à Chypre en 1985. Il a perdu un œil et un bras en voulant aider un collègue, un photographe, qui venait de sauter sur une mine… Et, bien sûr, Michel Laurent, c’était un très grand copain à moi. On était voisins, on habitait à 100 mètres l’un de l’autre. Le soir, on rentrait ensemble. Il y a également Michel Lipschitz, qui est un très bon ami. Jean-Jacques Lévy, pour qui j’avais une grande admiration, quelqu’un de très intéressant, qui est mort malheureusement il y a une dizaine d’années. Ce sont les gens qui m’ont beaucoup marqué, mais si vous me rappelez, il me reviendra d’autres noms. »

À ce moment de l’interview, alors que je sens qu’il fatigue, je m’excuse et veux interrompre l’entretien ; mais il me répond :

« Non, non, ça m’intéresse. Un des problèmes que j’ai avec ma maladie de Parkinson, c’est que je suis un petit peu handicapé pour faire certaines choses. Je regarde Internet sans problème, mais travailler sur Internet, pour moi, ce n’est pas très bon… Mais ne vous inquiétez pas, ce n’est pas un problème. Ça me fait toujours plaisir de parler d’AP Paris. J’ai travaillé pendant plus de 40 ans. J’en ai de très bons souvenirs. »

Terminons sur une note joyeuse, car Guy Kopelowicz n’était pas homme à se plaindre. Bernard Ferret, son adjoint et ami, a raconté cette anecdote lors de la cérémonie :

« Une simple anecdote vous dira tout sur l’homme que Guy était, sur sa capacité de réaction et sa volonté de ne jamais lâcher. Nous sommes aux Jeux de 1976 à Innsbruck et sommes sur le chemin du retour, partageant le même compartiment couchettes. À la frontière suisse, Guy descend pour acheter des tablettes de chocolat. Le voyant revenir avec ce bien si précieux, il voit mon envie et me propose d’aller m’en acheter, alors que je suis au fond de mon lit. Alors qu’il redescend, le train repart… sans lui. Nous sommes en 1976 et le téléphone portable n’existe pas, mais Guy, si. Grâce à un contrôleur des chemins de fer suisses, il trouve le moyen de prendre un autre train qui nous dépasse. Une heure plus tard, dans une autre gare helvète, Guy remontait à bord et m’offrait mes tablettes de chocolat. »

La rédaction de L’oeil de l’info adresse de chaleureuses condoléances à sa famille, à ses amis et collègues; et les remercie pour leurs aides.

Vous pouvez entendre la voix de Guy Kopelowicz dans le podcast 

Michel Laurent Le dernier photographe mort au Vietnam

[i] Un “tough boss” peut être vu comme quelqu’un qui pousse son équipe à se dépasser.

 

Michel Puech