Claude Gassian, Patti Smith, Paris, 1976

Voilà plus d’un demi-siècle que Claude Gassian arpente et photographie les scènes musicales du monde entier. Les baby-boomers se souviennent de ses photos publiées dans les revues de référence comme Best et Rock & Folk, sans oublier – dans les années de rêve – celles parues dans Libération, qui offrit une belle place à la musique dans ses colonnes.

Les amateurs de la mouvance rock et de photographies lui doivent les meilleures images de toutes les icônes du rock des années 1970-1980, de Patti Smith (avec qui il publie un livre photo Patti Smith Horses – Paris 1976, avec des images inédites, Gallimard, 35 euros) à Prince, en passant par les Rolling Stones, The Cure, Bob Dylan, les frères Gallagher, Madonna, mais aussi Serge Gainsbourg, Alain Bashung, Vanessa Paradis, Jean-Jacques Goldman ou Mylène Farmer.

« Je suis venu à la photo avant tout pour être dans la musique, ma première passion. J’ai appris sur le tas, je suis totalement autodidacte, je n’ai fait aucune école de photo », confiait-il récemment dans un entretien à Laure Narlian de France info.

Pourtant, Gassian n’a jamais cédé à la photo officielle, celle des press junkets chronométrés imposés par les attachés de presse des maisons de disques. Il n’a pas non plus planqué dans les backstages pour surprendre les musiciens et chanteurs dans le bruit et la fureur. Comme il l’a souvent précisé, son univers musical et photographique n’a pas été celui du son, mais du silence.

Et, l’on pourrait ajouter, celui de la patience en attendant « l’instant décisif » théorisé par Cartier-Bresson, mais que Gassian transforme en durée. Il fait des repères, observe la lumière, sonde l’espace. Une patience qui lui a permis de nouer des liens privilégiés avec les artistes et de gagner leur confiance. À force d’être à leurs côtés tout en étant invisible ou, du moins, en se faisant oublier, Gassian élimine les paillettes en allant à l’essentiel.

Au fil des concerts et des rencontres personnelles pour des commandes, il a réussi à capter une forme de vérité et de fragilité à travers un cadrage millimétré, le plus souvent sublimé par un parfait noir et blanc. Il suffit de regarder les photos de Patti Smith au cimetière du Père-Lachaise, de Madonna appuyée contre un mur parisien, de Mick Jagger seul sur une chaise vide ou de Keith Richards au regard inquiet derrière une vitre. Gassian regarde souvent ailleurs, mais toujours là où il faut.

« Dès le début j’ai travaillé avec un boîtier noir et blanc et un autre en couleur », confie-t-il à Laure Narlian de France info

« Il fallait décider si ce moment-là convenait mieux au noir et blanc ou à la couleur, ou si je faisais un petit peu des deux, si je doublais. Mais mes photos en noir et blanc étaient toujours meilleures. Lorsque je prenais mon boîtier noir et blanc, l’intention n’était pas la même. J’avais l’impression que le cadrage était plus précis. C’était plus exigeant. Il fallait que je fasse une belle photo, que ce soit quelque chose de plus ressenti, de plus personnel. »

L’exposition Ailleurs exactement, mise en scène par le commissaire Thierry Raspail, permet aussi de découvrir les différentes approches photographiques de Gassian. Outre les portraits des artistes, on découvre quatre autres « ensembles » : les « Tracés électriques », où se croisent des fils semblables à des tableaux aux noirs profonds ; les « Pas », images aux ombres mystérieuses et fascinantes, difficiles à identifier ; les « Autoroutes » américaines, floues et bleutées, qui évoquent le passage du temps aux airs d’Edward Hopper ; et les « Diptyques », qui font dialoguer compositions et montages de photos prises à des années d’écart. « Gassian trace un fil tenu entre l’image et l’imagination », souligne Thierry Raspail qui ajoute :

« Le temps est son matériau, pas l’instantané. Traces, contrastes et composition sont ses outils. Il utilise la photographie pour ses qualités picturales, exclusivement. »

Claude Gassian, qui à 76 ans reste toujours aussi curieux pour photographier le monde et ses contours, confie qu’il lui reste dans ses tiroirs une quantité de photos encore en sommeil. « Très souvent je tirais deux, trois photos dans l’urgence pour un magazine, ou pour simplement voir ce que j’avais fait et ensuite je passais à autre chose », dit Gassian, qui, à l’époque, ne voulait pas tirer de planches contact et choisissait ses photos sur négatif. « En tout cas, j’ai de quoi m’occuper pour les trente prochaines années ! »

Exposition

Claude Gassian – « Ailleurs, exactement »
Jusqu’au 31 décembre 2025 – Site web : https://www.rabouanmoussion.com/fr
Galerie Rabouan Moussion, 11 rue Pastourelle, 75003 Paris

Daniel Psenny
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