« Les jeunes ne le savent pas et ne le sauront pas, mais dans notre cœur nous savons ce qu’ils nous doivent ». Le mot envoyé des États-Unis par Bernard Esclapez à Christian Chamourat [1] vient avec raison rappeler l’importance de Marc Garanger dans la reconnaissance du métier de photographe en France.
Esclapez a raison car, au-delà de l’importance de l’œuvre saluée à sa juste valeur, le « droit à la mémoire » impose de ne pas éclipser les combats qu’il a menés pour défendre et faire reconnaître le statut des photographes à travers les différentes associations dans lesquelles il a milité, qu’il a administrées et quelquefois présidées des années 1980 à 2011.
Tout commence au milieu des années soixante-dix au sein de l’Association Nationale des Photographes Professionnels (ANPP) qui deviendra ANPPM Association Nationale des Photographes de Publicité et de Mode (ANPPM) où des photographes comme Georges Tourdjman, Henri Mardycks ou Jean-Claude Dewolf organisent, une fois par an à Royaumont des rencontres destinées à « élever le niveau créatif des adhérents » en les confrontant avec des peintres, des cinéastes, des philosophes …
Parallèlement, l’Association Nationale des Journalistes reporters et Cinéastes (ANJRPC), sous la férule de photographes comme Roger Pic, Henri Cartier-Bresson ou Jean-Pierre Leloir défend les droits des photographes. Tandis qu’au sein de l’Association Nationale de Reporters photographes illustrateurs (ANRPI), les photographes illustrateurs défendent également leurs droits. Les revendications deviennent vite communes et, c’est cette époque charnière qui vit la création de l’AGESSA dont Marc Garanger sera l’un des premiers affiliés en 1977.
Avec en appuis Christian Chamourat et Bernard Esclapez, Marc Garanger a livré avec ces associations des combats revendicatifs, avec manifestations et défilés avenue de l’Opéra pour faire modifier l’assiette des cotisations sociales et abolir la taxe professionnelle. Pour faire abolir cette taxe injuste et inepte datant de Napoléon, époque où la photographie n’existait pas encore, il lui faudra attendre deux décennies !
Toutes ces revendications menées avec le soutien de toutes les associations, démontrèrent que pour exister face aux pouvoirs publics il fallait être unis. Ils furent donc à l’origine des regroupements qui, passant par la FAPC, aboutirent à l’Union des Photographes Créateurs (UPC) puis à l’Union des Photographes Professionnels/Auteurs (UPP) qui, avec 1400 membres certaines années, représentera la photographie professionnelle dans la majorité des domaines de l’image.
Brouillée par des jeux d’influence, voire d’intérêts, la difficile reconnaissance d’une politique en faveur de la photographie initiée par Michel Guy tomba vite en désuétude. Et lorsque, lors des rencontres d’Arles, je proposai à Jack Lang d’organiser des États généraux de la photographie, Marc Garanger fut encore au premier rang pour soutenir cette initiative.
Il ne faudra surtout pas oublier ce combat décisif qui aboutit à la fameuse loi Lang du 3 juillet 1985 avec son article 14, relatif aux droits d’auteurs, qui reconnaissait enfin le photographe comme un auteur à part entière.
À la suite de ce fameux article 14, Marc Garanger s’attela à la conception et à la réalisation de ces fameux barèmes de cession de droits d’auteur qui ont fait référence dans la profession avec la commission dite de 87, chargée de fixer le barème à points. Barèmes qui ont maintes fois servi de référence au cours de procédures judiciaires.
En 1987 alors que les relations entre les organisations professionnelles ayant, pour le dire vite, pignon sur rue et « les créateurs » étaient pour le moins tendues, sinon parfois vouées à l’invective, il participa activement à leur rapprochement au cours des Journées de l’Image Professionnelle (JIP) à Fontvieille. Rapprochement qui conduira même ces associations et groupements à partager les mêmes locaux quelques années plus tard.
Enfin, engagée dès ses premières actions, sa défense des droits d’auteur trouvera son aboutissement, après une première initiative infructueuse, en 1999, avec la création de la Société des Auteurs des Arts visuels et de l’Image Fixe (SAIF), société privée de gestion des droits d’auteur dont il fut administrateur de 1999 à 2011.
Exhéréder Marc Garanger de toutes ces actions et de tous ses combats, c’est, pour ceux qui l’ont connu, affadir cet homme entier, toujours enclin à rendre service sans se laisser marcher sur les pieds.
Volontiers provocateur aussi lorsque lors d’une visite des usines Kodak à Rochester il laisse volontairement traîner les emballages des films Fuji utilisés pour son reportage. Ou lorsque de retour d’Afrique il rend hommage aux ancêtres en vidant lentement son verre sur les épaisses moquettes de chez Maxim’s.
En hommage à ce magnifique reportage sur les funérailles de Palmiro Tagliotti qui lui vaudra son Prix Niépce en 1966 et me conduira pendant de nombreuses années à photographier les mouvements sociaux, je me devais, pour que « les plus jeunes le sachent » de reconstruire l’entièreté de ce personnage hors norme.
Ne serait-ce que pour perpétuer à sa mémoire le culte des ancêtres.
Note: [1] Si j’associe Christian Chamourat et Bernard Esclapez à Marc Garanger c’est parce que bien qu’officiant dans des domaines différents de la photographie et d’obédiences politiques diamétralement opposées, ils ont constitué une équipe qui a su mettre la défense d’un profession au dessus de toute mise en valeur personnelle, assumant à tour de rôle les présidences et vice-présidences. Après les Associations tous trois continuèrent à défendre les intérêts des photographes, Marc, nous l’avons vu à la SAIF, Bernard et Christian au sein de l’AGESSA dont l’un assurera pendant douze années la présidence de la commission professionnelle des photographes, l’autre la présidence du conseil d’administration.
Il faudrait écrire l’histoire de ces associations qui ont au fil des ans, presque depuis la révélation de l’invention, construit le statut du photographe et imposé sa reconnaissance. Mais si on lit tout ce que presse ou réseaux sociaux ont retenu des luttes, des efforts, du temps consacré par Marc Garanger à la cause, il faut se persuader que cela ne semble intéresser personne. Après la seconde guerre mondiale tout a commencé, selon les notes recueillies précieusement par Bernard Esclapez, avec la création par René Giton dit René Jacques, vers 1946 d’une section photographes au sein de l’Association des Graphistes Publicitaires.Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:28 pm GMT+0100 par
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Vers 1965 quand je me suis inscrit à l’ANPP, cette association était animé par un couple extrêmement dynamiques: Claude et Denise Anger.
Pendant plusieurs années après la mort de Claude ( écrasé dans un accident d’auto par sa valise SINAR ); Denise animera l’association. J’ai le souvenir des réunions animées qui avaient lieu au studio de Claude rue Georges Sand ou avenue de Villiers à la Maison de la Publicité.
Jean Claude DEWOLF