Exposition

Tout doit disparaitre
Exposition de Jean-Marie Donat

© Jean-Marie Donat

S’il est devenu un peu banal de s’intéresser à la photographie vernaculaire [1], Jean-Marie Donat, collectionneur et éditeur, est un cas à part.

Partant du fonds qu’il accumule depuis de nombreuses années, il nous raconte ici, avec la complicité experte d’Audrey Hoareau, des histoires où le nombre et la juxtaposition font sens et dont la révélation se fait au fil d’un examen d’autant plus minutieux que les petits formats forcent à s’approcher pour en découvrir les détails.

Cette exposition présente près de 1 000 images (et 1 500 en projection) comme autant de marqueurs historiques et sociologiques auquel l’agencement en séries donne une pertinence toute particulière. Rien d’anodin dans la thématique choisie en cette période de Noël qui est celle de la consommation de masse, de l’accumulation de marchandises, de la compulsion possessive.

Réunies sous un titre qui évoque l’anéantissement, ces photos sont étranges, maladroites ou savoureuses et peuvent prêter à sourire, mais n’en restent pas moins une juste charge contre l’aliénation marchandisée même quand elle se présente sous une apparence jouissive ou libératrice.

Articulée en quatre épisodes, la visite commence par l’inventaire de ces objets culte du 20e siècle comme la télévision ou l’automobile, autel cathodique pour l’une, symbole d’une pseudo liberté pour l’autre. Le premier objet s’est incrusté dans l’intimité devenant quasiment un membre de la famille ou une obsession comme le fait de photographier très régulièrement les présentateurs météo. Aussi, ces images de personnes posant devant la voiture qu’ils viennent d’acheter et dont la similitude des poses est frappante.

Cela nous parle de notre rapport à la photographie, de comment on se représente dans des mises en scène répétées où le rôle de la fille accessoire posant sur le capot est la « cerise sur le gâteau » de la possession masculine. Sans oublier également l’american housewife, pas encore au bord de la crise de nerfs, posant fièrement avec les ustensiles de son asservissement qui, parait-il, libèrent la femme.

Passons ensuite à l’accumulation dont le supermarché et McDonald’s sont des temples où la multiplication ne se limite pas aux pains. L’ambiance est au superlatif, big is beautiful, avec des photomontages de légumes géants et ces morceaux de viande présentés comme autant de nouveau-nés sur les fonts baptismaux. Coca-Cola est aussi de la fête, démonstration flagrante que ce logo est omniprésent dans nos paysages urbains et le résultat d’une stratégie qui insinue la marque dans nos cerveaux.

Cette quête d’un bonheur individuel et consommable se poursuit dans un syncrétisme mêlant sacré et profane : Jésus superstar, Père Noël libidineux, entassement de paquets cadeaux au pied du sapin et David de Michel-Ange en plastique.

On terminera le parcours avec d’abord, comme il se doit, car « In God we trust », le dieu dollar exhibé, célébré ad naseam, signifiant et signifié du rêve américain, envoûtant totem des casinos, chimérique fantasme de fortune. Et enfin on pourra s’arrêter devant une projection aussi frénétique que notre actuel zapping numérique et qui reprend des duos d’images de la série What The Fuck, collecte d’images venant des réseaux sociaux et de sites internet.

Alors, plutôt que de courir les magasins, il faut se précipiter pour aller voir cette exposition, lecture de notre société et véritable œuvre de salut public à l’heure où notre planète succombe à nos modes de production et de consommation.

Gilles Courtinat

 

Tout doit disparaitre, regard sur la société de consommation

exposition de Jean-Marie Donat, commissariat Audrey Hoareau

Jusqu’au 30 janvier 2022 au Cent Quatre, Paris

https://www.104.fr/fiche-evenement/tout-doit-disparaitre.html

Le site de l’artiste : http://jeanmariedonat.com/

Note

[1] Photographie vernaculaire : genre de photographie sans intention artistique préalable, principalement produite par les photographes amateurs mais comprenant aussi les photographies scientifiques, militaires, policières, médicales, les clichés ethnographiques, les vues aériennes, les images servant de documentation pour les artistes, les assurances ou les architectes, la photo d’entreprise, de catalogues, etc.

Gilles Courtinat