Ce stringer est il le véritable auteur de la « Napalm girl », le film de la Fondation VII l’affirme. Capture d’écran Neflix

Depuis le 28 novembre 2025, la diffusion sur Netflix du film « The Stringer » contestant que Nick Ut a réalisé la célèbre photographie « Napalm girl » pour l’attribuer à Nghé, un pigiste d’Associated Press (AP), a relancé la polémique. Sur les réseaux, les « pour » et les « contre » s’affrontent qu’ils aient vu ou non le documentaire.

Dès son apparition au festival de Sundance aux USA, et la naissance de la controverse, la première chose qui me soit venue à l’esprit est qu’Horst Faas (1933 – 2012) avait pu attribuer à Nick Ut le travail d’un autre photographe, un simple pigiste, un de ces stringers qui vendaient leurs films contre 20 $. Une pratique courante à l’époque et pas uniquement au Vietnam.

Perpignan 1er septembre 2011 – Dernier Visa pour l’image de Horst Faas.
Photographie Geneviève Delalot

Je n’ai croisé que deux fois Horst Fass, cette légende du photojournalisme ; une fois en février 2011 à l’occasion d’un débat de vétérans du Vietnam au Centre d’Accueil de la Presse Étrangère (CAPE) à Paris ; et une autre fois en septembre 2011 à Visa pour l’image. Les deux fois, l’homme m’a paru antipathique. Un homme rigide, grandi dans une Allemagne nazie où l’on éduquait les enfants pour devenir des chefs. Et puis, pour un podcast sur Michel Laurent, « le dernier photographe mort au Vietnam », Guy Kopelovitch, qui fut directeur photo d’AP à Paris, m’avait confié au magnétophone qu’il s’était fâché avec Horst Faas à propos du Pulitzer du massacre de Dacca [1]. Le plus célèbre prix a été attribué conjointement à Horst Faas et Michel Laurent, alors que les « bonnes photos » étaient de Michel Laurent. Pour le coup, avait-il précisé, c’était facile d’identifier les photos de Michel Laurent, il travaillait au 24 mm, une optique qu’Horst Faas n’utilisait jamais.

La faute de Carl Robinson

Carl Robinson dans le burau d’AP à Saigon – Document Netflix

Donc au début de la polémique, j’ai pensé qu’Horst Faas pouvait être le premier coupable, mais à mes yeux, il y en avait un autre : Carl Robinson, celui par lequel le scandale est arrivé, l’éditeur photo de l’époque dit qu’il a tapé la légende et attribué « The Napalm girl » à Nick Ut sur ordre d’Horst Faas. Pour un journaliste, ne rien dire face à une usurpation est une faute professionnelle et une collaboration à un mensonge.

« J’ai porté cette histoire vraie sur ma conscience pendant plus de 50 ans. Des montagnes russes émotionnelles de ma propre complicité et de culpabilité. Les nuits mettaient une éternité à s’endormir. Je me sentais mal à chaque fois que je voyais la photo. » a écrit Carl Robinson en février 2025 [2]

Je veux bien croire qu’à l’époque, en « contrat local », il n’avait guère de protection pour contredire Horst Faas qui, selon tous les témoignages, était autoritaire, sûr de lui et n’acceptait pas la contradiction. Mais, une fois viré d’AP – pour une raison ignorée – Carl Robinson a eu cent occasions d’affronter son ex-patron ! Même dans ses mémoires d’ailleurs, il ne dit rien de cette histoire ! Et puis cinquante ans après, quand Horst Faas et tous les gars du labo sont morts, voilà qu’il écrit à Gary Knight et décharge à peu de frais sa conscience. Un peu facile, non ?

The Fondation VII

Perpignan 2011, Visa pour l’image – Jean-François Leroy et Gary Knight à l’époque ou ils étaient sur la même ligne photo-journalistique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. – Photo Geneviève Delalot

Il se trouve que Gary Knight a fondé en 2001 l’agence VII à Visa pour l’image ; et que cette agence, comme ses consœurs, a eu bien du mal à vivre. L’agence VII a donc été reprise par la Fondation VII qui vend des stages sous le nom Seven Academy pour devenir « photographe de guerre ». La Fondation VII produit également des documentaires sous la houlette de Fiora Turner, productrice de « The Stringer » et épouse de Gary Knight. La dame a semble-t-il flairé la bonne histoire et on l’a dite une redoutable businesswoman. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a réussi à faire un évènement médiatique. Au point que Netflix a acheté les droits de diffusion. Joli coup !

Je veux bien croire que Gary Knight ait eu à cœur la bonne intention d’établir la vérité sur cette photographie iconique en l’attribuant au « stringer » Nghệ Nguyễn Thành, alors qu’elle est toujours la paternité de Huỳnh Công Út, dit Nick Ut, pour Associated Press (AP). Or le film est à charge. Personne ne témoigne pour Nick Ut dans « The Stringer ». Tous les témoignages affirment que Nghé a pris la photo, et c’est parfois très troublant quand, au fil du déroulement du film, on se rend compte qu’à l’époque tous les Vietnamiens avaient l’air au courant : « Nick n’a pas fait la photo. » Hier encore, un ancien fixeur a confié que oui, il savait qu’elle n’était pas de Nick.

Pentax or not Pentax

Et puis, dans le film, Nghệ Nguyễn Thành paraît un vieil homme sympathique, très heureux qu’on lui reconnaisse enfin la paternité de cette image. Sa femme, ses enfants abondent dans le sens qu’il a été profondément attristé de ne pas être reconnu comme l’auteur de la « Napalm girl ». Le film en fait des tonnes dans ce sens, mais hein… C’est un film, il faut le vendre et convaincre le public. C’est le jeu de beaucoup de documentaires.

Pour convaincre, la Fondation VII a fait appel à l’ONG Index qui a produit une reconstitution en 3D, qui, comme toutes les reconstitutions, a pour objectif d’apporter la vérité, en tout cas une vérité, car la réalité ne se reconstitue pas. Dans le dernier rapport d’AP, après vision du film, l’agence note qu’il y a des trous dans la chronologie … Tous les instants de la progression des enfants ne sont pas photographiés ou filmés. Les enfants ne courent pas en ligne droite et, les journalistes bougent très vite pour chercher le bon angle. C’est une scène de guerre, ne l’oublions pas.

Ce dernier rapport d’Associated Press [3] livre une conclusion troublante puisqu’il semble que la photo a été prise non par un Leica, mais par un Pentax. AP écrit :

« L’analyse de caractéristiques distinctes, ainsi que les dimensions du film d’une douzaine d’appareils photo, a amené AP à penser qu’il était peu probable que la photo ait été prise avec un Leica. L’AP a également conclu qu’il était probable, mais pas certain, que la photo ait été prise avec un appareil photo Pentax. »

Puis en conclusion :

  • « Quelles appareils Nick Ut transportait-il ce jour-là ? Il a déclaré dans plusieurs interviews qu’il portait deux appareils Leica et deux appareils Nikon.(ndlr : sur aucune image on le voit avec un Pentax)
  • Pourquoi aucun autre cadre (frame) du même rouleau de film que la célèbre photographie n’a-t-il été découvert ?
  • Pourquoi l’AP n’a-t-elle trouvé aucune correspondance entre la célèbre image et tout autre négatif dans les archives de Nick Ut ? »

Une expertise technique plus approfondie doit être menée  – et publiée – sur ce négatif, qui par ailleurs présenterait une déchirure dans le ciel.

Quoi qu’il en soit, disons-le tout net, ce film est « grand public », il en a tous les ingrédients : suspense et émotions soutenues par les musiques. Il est agréable à voir pour quelqu’un qui n’est pas du métier. Il présente toutes les apparences d’une enquête sérieuse malgré les nombreuses lacunes et l’absence de contradicteur.

Et puis il y a un discours sur le colonialisme américain au Vietnam, bien dans l’air du temps, avec sa part de vérité : oui, les stringers étaient exploités par la presse internationale. Mais pas qu’au Vietnam, partout dans le monde et même ici en France où il était courant de faire de la « récup », de la « raflette ». Autre époque, autres mœurs et pas grand-chose à voir avec le colonialisme, plutôt avec le racisme. Les stringers d’Asie étaient des « nègres jaunes » pour trop d’occidentaux.

En finale, la Fondation VII fait une bonne affaire et, avec la polémique, un « joli » buzz en troquant une victime, Nghé, contre une autre Nick Ut.  Horst Faas repose en paix.  Carl Robinson a soulagé sa conscience, et espère dormir en paix. Pas sûr ! Quant au journalisme, il n’en sort pas grandit.

Notes

[1]  Le massacre en 1971, par l’État pakistanais, son armée et des milices islamistes, d’une grande partie des Bengalis qui peuplaient la partie est du Pakistan a été couvert par Horst Fass et Michel Laurent. Ecouter le témoignage de de Guy Kopelowicz enregistré le 15 mai 2015.

[2]  Citation in Substack.com, une plateforme américaine fondée en 2017, conçue pour permettre aux auteurs, journalistes et créateurs de publier des newsletters directement envoyées aux abonnés – Extrait daté du .8 février 2025 https://substack.com/inbox/post/156718784

[3]  Enquête sur les allégations concernant la photographie « Terreur de la guerre » https://apnews.com/project/terror-of-war/

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Michel Puech
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