Vue depuis une camera sur sa moto d’Andriy Filatov, correspondant de guerre pour l’agence Russia Today, ciblé par un drone FPV ukrainien dans la région de Donetsk, 25 juillet 2025.

Depuis les premiers photographes de guerre durant le siège de Rome par l’armée française en juin 1849 jusqu’aux plus récents conflits du Mali (2012), du Mozambique (2017) ou d’Ethiopie (2018), le photographe pouvait approcher très près des lignes ennemies. Depuis l’apparition des drones au Soudan et en Ukraine en 2023 et encore plus depuis l’utilisation massive des drones FPV depuis l’été 2024 sur la ligne de front russo-ukrainienne, une aire de près de 30 000 km² le long du front est devenue « zone de non-droit journalistique ». (Seconde partie)

Les premiers journalistes victimes de frappes ciblées de drones sont au Moyen-Orient en 2024. Le 11 juillet 2024, Mirad Mirza, journaliste de TV irakien est tué par une frappe de drone sur sa voiture à Tal Qasab dans le Sinjar irakien. Ses deux collègues sont blessés. Le 23 août, la journaliste turque Gülistan Tara et la camerawomen irakienne Hero Bahadin décèdent d’une frappe de drone à Said Sadiq dans la province de Sulaymaniyah au Kurdistan irakien. Le 19 décembre, la journaliste syrienne Cîhan Bilgin et son collègue Nazim Daştan sont tués par une frappe de drone sur leur véhicule alors qu’ils couvraient des combats.

Le 24 mai 2025, le journaliste palestinien Hossam Shabat travaillant pour Al-Jazeera est tué dans son véhicule par une frappe de drone lors d’un reportage à l’hôpital de Beit Lahia. L’armée israélienne a revendiqué l’assassinat ciblé du journaliste, affirmant qu’il était un tireur d’élite du Hamas mais sans en apporter le moindre début de preuve. Très récemment, la liste des médias victimes a bondi. D’abord avec la mort le 25 août du photojournaliste palestinien Rasmi Jihad Salem, du journal Al-Manar, frappé par un drone alors qu’il rentrait chez lui après un reportage. Puis le 3 octobre, en Ukraine cette fois, c’est le photoreporter français, Antoni Lallican de l’agence Hans Lucas, qui est tué par un drone alors qu’il portait son gilet PRESS. Son homologue ukrainien grièvement blessé, George Ivanchenko, a dû être amputé d’une jambe. Tous deux étaient avec la 4e brigade blindée ukrainienne lorsqu’ils ont été pris pour cible par un drone FPV russe près de la ville de Druzhkivka, pourtant à 15 kilomètres du front. Le 15 octobre, c’est le journaliste Abdul Ghafor Abed de la Radio Television Afghanistan (RTA) qui meurt lors d’une attaque de drone alors qu’il couvrait des affrontements armés le long de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Cinq jours plus tard, en Ukraine à nouveau, Ibrahim Naber, rédacteur en chef au journal allemand Die Welt et deux de ses collègues, le producteur ukrainien Ivan Zakharenko et le cameraman Viktor Lysenko, sont blessés par un drone FPV. Les deux soldats qu’ils interviewaient ont été tués. La séquence ayant été filmée, elle a été diffusée à la télévision allemande le 27 octobre. L’équipe de reportage se trouvait alors à environ 25 kilomètres du front sur une position de défense aérienne ukrainienne dans l’oblast de Donetsk. Puis le 23 octobre, deux reporters ukrainiens, Alyona Hramova et Yevhen Karmazine de la télé ukrainienne Freedom, sont tués par une frappe de drone russe à Kramatorsk. Leur collègue, Oleksandr Kolytchev, est grièvement blessé. Il y a encore quelques semaines, la ville de Kramatorsk, à 20 kilomètres du front, était considérée comme relativement sûre. Mais mois après mois, les ingénieurs russes développent des drones FPV capables de couvrir des distances de plus en plus longues.

En 2023, ce qui n’est tout de même pas si vieux, Ibrahim Naber avait pu opérer à Backhmut à seulement 1,5 km des lignes russes. Aujourd’hui plus un photoreporter ne prendrait un tel risque. D’ailleurs certains médias occidentaux commencent à demander à leurs reporters de ne plus s’approcher à moins de 30 kilomètres des lignes russes. Aujourd’hui, il est quasiment impossible d’atteindre une position d’infanterie, soit 2000 mètres du front. Certains médias continuent pourtant à s’approcher pour documenter. Le 8 novembre, Christian Verschütz, journaliste autrichien et son collègue espagnol accompagnent une mission humanitaire de Proliska quand ils sont visés par un drone FPV alors qu’ils sont dans la région de Kostyantynivka dans l’oblast de Donetsk. Par chance, le drone – qui est un drone à fil optique équipé d’une roquette à charge creuse – s’écrase sur le capot avant de leur fourgon et non sur le pare-brise avant. Ils ne sont pas blessés car, voyant le drone foncer sur leur véhicule, ils se sont éjectés du véhicule deux secondes avant la frappe. « Dès que nous l’avons vu, nous avons arrêté la voiture et il s’est mis en mouvement. Nous avons sauté de la voiture et c’est à ce moment-là qu’il a attaqué. » a raconté au media en ligne Suspilne, Oleg Tkachenko, le responsable de la mission humanitaire.

La reporter ukrainienne, Diana Butsko, du media Hromdaske, racontait déjà en octobre 2024 au media Women In Media que lors d’un voyage à Chasiv Yar, (également dans la région de Donestk), elle se souvient avoir dû courir d’arbre en arbre tous les dix mètres à cause de la forte concentration de drones dans la zone. « Là, pour la première fois de ma vie, j’ai eu très, très peur. Les drones volaient sans cesse et l’artillerie tirait. Mais cette peur est passagère. On l’entend, on s’inquiète, on a peur, mais ensuite, on trouve toujours le moyen de créer. Le travail continue et on réalise qu’il faut produire du nouveau contenu. Cette peur finit par s’estomper. » Diana Butsko avoue néanmoins que lorsqu’elle se rend à moins de 20 kilomètres de la ligne de front, elle hésite à porter le badge de presse car cela la rend visible aux yeux des soldats russes. Elle évite également d’utiliser une voiture sérigraphiée. Il est également de plus en plus fréquent que les personnels militaires en charge de la presse interdisent toute approche. Cela m’est arrivé à la mi-janvier 2025 quand j’ai voulu entrer à Beryslav, ville au bord du Dniepr à l’est dans la région de Kherson, à seulement 4,5 km des dronistes russes. Alors que l’officier du check-point (qui ne révélera pas son nom conformément aux protocoles militaires) jugeait qu’il « fallait que la presse puisse faire son métier », Viktoriya P., ma référente presse, en a décidé autrement.

Dans un article publié le 12 novembre, Olga Rudenko, rédactrice en chef du media en ligne The Kyiv Independent, écrit :

« Alors que la ligne de front est de plus en plus infestée de drones et devient mortelle pour les journalistes, nous trouverons le moyen de continuer à vous révéler la vérité sur cette guerre. »

Effectivement, sous la menace des drones qui deviennent de plus en plus nombreux, toujours plus sophistiqués et capables de distances sans cesse augmentées, il est nécessaire de vite réinventer le photoreportage car si un journaliste peut interviewer par téléphone, les reporters photo et vidéo doivent être physiquement présents sur le terrain. Sous peine de voir se développer des zones de non-droit journalistique. Se réinventer ? Faut-il dorénavant agir seul et non plus en équipe pour être moins repéré ? Ou alors agir avec des drones opérés par des photoreporters ?

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Thierry Birrer
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