
The Washington Post a publié, le 10 décembre sur le web et le 18 sur le print, dans sa rubrique OPINIONS un texte de David Burnett que nous reproduisons ci-dessous avec l’autorisation de l’auteur et traduit en français par Dominique Dechavanne de l’agence Contact Press Images.
Le film The Stringer n’entame pas ma conviction : c’est bien Nick Ut qui a pris cette photo.
L’un des réalisateurs du film justifie essentiellement l’existence de ce documentaire par un besoin de vérité, même si cette vérité doit se révéler gênante, une vérité qu’en tant que journalistes, nous devons respecter comme l’exige notre métier.
The Stringer, diffusé sur Netflix depuis novembre présente l’enquête menée par Gary Knight sur l’origine de l’inoubliable photo de 1972 communément appelée “The Terror of War“ mais plus connue sous l’appellation “Napalm Girl“ (La petite fille au Napalm). Cette image terrible montre Phan Thi Kim Phuc, 9 ans, courant nue vers l’objectif en criant de terreur et de douleur — elle avait arraché elle-même ses vêtements brûlants — en compagnie d’autres enfants bombardés au napalm par erreur par les forces sud-vietnamiennes [dommage collatéral]. Le photographe d’Associated Press Nick Ut a gagné un prix Pulitzer avec cette photo, mais le film estime qu’une autre personne, un photographe freelance du nom de Nguyen Thang Nghe en est le véritable auteur, inexplicablement spolié de ses droits par un photo-éditeur d’AP qui décida de la créditer à Nick Ut.
En tant que journalistes, nous devons toujours respecter la vérité. Je fais partie avec une poignée de confrères, des journalistes encore en vie qui ont assisté à cette scène ce jour-là quand la frappe au Napalm a causé tant de victimes civiles et engendré la fameuse photo. J’ai décidé de ne pas participer au film car je craignais que ses réalisateurs ne travaillent qu’à conforter une conclusion établie dès avant sa réalisation. (Certaines de mes photos — adressées à Gary Knight en toute bonne foi et innocence dans un esprit de confraternité — ont été utilisées dans le film sans mon autorisation et sans m’être créditées, donnant le sentiment inexact que je partageais le point de vue du réalisateur). C’est la vérité de ce que je retire d’un film censé rechercher la vérité.
Je me souviens parfaitement de ce moment : quelques minutes après la frappe, je me trouvais à l’extérieur du village avec Ut et le reporter freelance Alex Shimkin quand nous avons vu le premier des enfants fuyant vers la route en passant par le cimetière. J’étais occupé à mettre un nouveau rouleau de film dans mon Leica, un appareil extraordinairement difficile à charger si l’on ne rabattait pas l’amorce du film, ce que je ne faisais jamais.
Mon attention était surtout tournée vers mon boîtier, mais je me rappelle clairement la réaction d’Ut et Shimkin quand ils ont aperçu les victimes. Sans hésiter, ils ont couru sur la route, bien avant les autres journalistes à l’exception du freelance de United Press
International qu’on peut voir sur la droite de l’image lorsqu’elle n’est pas recadrée (il est lui aussi en train de recharger son appareil).
A cet instant, aucun autre journaliste n’était présent sur cette route. La course de Ut et Shimpkin les avaient séparés des autres. Et je suis pleinement convaincu que c’est dans la minute ou les minutes qui ont suivi, lorsque les enfants ont atteint la route, que la photo “The Terror of War“ a été prise.
Peu de temps après, en quelques minutes, le groupe disparate des autres journalistes qui étaient alignés le long de la route a commencé à s’approcher de l’endroit où les victimes étaient rassemblées. Ce qui a été filmé et photographié par la suite, a été pris après la fameuse photo. Parmi mes images des villageois traumatisés et des journalistes, on peut voir Nghe, mais il n’est jamais devant, là où se trouvaient Ut et Shimkin.
Est-ce que j’ai réellement vu Nick Ut prendre la photo ? Evidemment non. Quand on travaille dans une situation de vie ou de mort, on est concentré sur ce qu’on voit pour pouvoir le photographier et on ne regarde pas ce que font les autres.
Ce qui a suivi, le retour à Saigon et le développement des films, est bien connu. Dans “The Stringer“ Carl Robinson affirme que Horst Faas, le chef du bureau d’AP lui a demandé d’écrire le nom de Nick sur l’enveloppe contenant le négatif et sa légende. Dans notre monde, il peut y avoir 2% de chances que les histoires les plus extravagantes soient vraies, mais ce cas précis me semble sujet à caution. Ce qui est certain c’est que quand la photo a été tirée et transmise au monde entier, Faas a félicité Nick à sa manière si particulière, en disant avec son accent inimitable : “You did good job today Nick Ut“ (tu as fait du bon boulot aujourd’hui Nick Ut). C’est mot pour mot ce qu’il a dit.
Heureusement, Phuc a survécu mais a dû subir des années de traitements médicaux pour soigner ses brûlures. Elle a aujourd’hui 60 ans et vit au Canada. Faas est mort en 2012 et ne peut donc répondre à ces allégations. Nghe continue d’affirmer qu’il est l’auteur de l’image soutenu par Carl Robinson qui n’en a jamais parlé avant le décès de Faas. Après avoir mené sa propre enquête, Associated Press n’a trouvé aucune raison de retirer le nom de Ut du crédit de la photo. Ut s’est dit satisfait des conclusions d’AP. « Cette histoire a été très pénible pour moi et a causé bien des souffrances » écrit-il dans un communiqué. « Je me réjouis que tout ait été mis au clair ».
Même satisfaction de mon côté. Bien sûr, cinquante ans après, nous sommes limités par les techniques des médias de l’époque, qui n’avaient pas de time code et qui ne nous donnent que des versions incomplètes et fragiles de ce qui s’est passé et quand ça s’est passé. Mais certains événements demeurent vivaces dans les mémoires, ce qui est mon cas pour Trang Bang, j’ai toujours l’impression que c’est arrivé hier.
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