Le photojournaliste Yan Morvan, son éditeur La manufacture des livres et le Nouvel Observateur ont été condamnés pour la publication du portrait d’un jeune homme réalisé avec son consentement en 1987 ! Une fois de plus les tribunaux préfèrent « le droit à l’image » plutôt que celui de l’information.
Publié dans le Club Mediapart le vendredi 26 juillet 2013
Ce 26 juillet 2013, le Tribunal de grande instance de Paris ordonne à Pierre Fourniaud des Editions La Manufacture des livres « de cesser la diffusion de l’ouvrage de Yan Morvan intitulé Gangs Story comportant en pages 12 et 265 (ndlr : pour ceux qui l’ont acheté à la suite de notre précédent article) la photographie de Mathieu B, à compter du huitième jour suivant la signification de la présente ordonnance. » La cour précise qu’au delà de quinze jours, tout retard sera pénalisé de 500 euros par jour ! Dans sa grande générosité la Cour autorise la reprise de la diffusion « après cancellation de ladite photographie. »
Le Nouvel Obs est condamné à retirer de la diffusion la photo sous astreinte de 500 euros par jour et à payer à Mathieu Buquet dit « Petit Mathieu », une provision de 2000 euros « à valoir sur la réparation du préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à l’image ».
Yan Morvan et la Manufacture des livres sont également condamnés à 5000 euros et aux dépens.
L’appel de ce jugement est à l’étude par le service juridique de Reporters Sans Frontières.
Petit Mathieu à l’œil sur Yan Morvan !
L’addition est salée pour Yan Morvan et Pierre Fourniaud. Le livre Gangs Story a fait le buzz sur le Net, mais s’est vendu à environ 3000 exemplaires. Yan Morvan a donné de nombreuses interviews, et le milieu des gangs de toutes sortes, que Yan Morvan immortalise depuis 40 ans, le connaît. Tout se sait, et il était fatal que « Petit Mathieu » eut vent de la sortie du livre. Ce n’est pas la première fois qu’il attaque le photographe en justice. Il a déjà fait le même coup en 2001 avec Gang, le livre précédent publié par les Editions Marval.
Son argument ? Simple : la publication de son portrait par Yan Morvan, réalisé lorsqu’il avait 15 ou 16 ans lui nuit. A l’époque, il milite dans un groupe d’extrême droite et comme on peut le voir sur la photo, affiche sa sympathie pour les Waffen SS. Aujourd’hui, il a 43 ans et est conseiller en communication et revendique son droit à sa propre image. Il revendique l’oubli.
De son côté, Yan Morvan revendique haut et fort sa liberté de photojournaliste. La photographie a été faite avec l’accord du photographié. Cette photo est un constat, comme toutes celles de Gangs Story. Au delà d’un « Beau livre », Gangs Story est une étude, un ouvrage de référence pour les sociologues et autres experts de la banlieue. Il est aussi, et c’est ce qui a fait son succès sur le Net, un album de famille pour les jeunes de banlieue. Un bouquin respectueux des femmes et des hommes cités, qui raconte aux jeunes, pour certains, l’histoire de leurs pères, oncles ou grands frères.
Ni haine, ni amour, ni complaisance avec ses sujets de reportages, c’est comme cela que travaille Yan Morvan. J’ajouterai, avec l’obstination d’un breton pur jus. Il croit en la liberté de la presse, et en republiant cette photographie déjà condamnée, il savait, comme son éditeur, les risques pris. Mais ils ont préféré le droit d’informer à celui de l’image. Courageux pour un journaliste et un éditeur, indépendants tous les deux.
La loi Guigou sur le droit à l’image conduit les tribunaux à sanctionner les photographes. Résultat, les photographes professionnels n’appuient plus sur le bouton qu’avec crainte.
Solution ? Faire signer une décharge par les photographiés ! L’assurance d’une photographie posée, peu naturelle mais surtout non conforme à la vérité de l’instant.
D’un côté on s’extasie sur le « magic déclic » des grands maîtres de la photographie du XXème siècle, de l’autre on contraint les photojournalistes d’aujourd’hui à faire des images stéréotypées, arrangées… En outre, les photographies d’archives comme celles de Yan Morvan, se voient toutes susceptibles d’entraîner des poursuites. Le portrait de « Petit Marcel » date de 1987.
Pour peu que l’étudiant à lunettes sur une barricade de la libération de Paris se reconnaisse, et Henri-Cartier Bresson se retrouverait devant la XVIIème chambre !
Ridicule et dangereux pour l’Histoire.
Michel Puech
Si vous voulez soutenir Yan Morvan, n’hésitez pas à lui commander un tirage du portrait de « Petit Mathieu ». Le Tribunal a quand même refusé d’accéder à la demande du plaignant d’obtenir le négatif. On peut donc collectionner les épreuves barytées !
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