Jonathan Alpeyrie, photojournaliste de l’agence Polaris enlevé le 29 avril dernier en Syrie, libéré le 20 juillet dernier, est arrivé mercredi 24 juillet à Paris. Il a été détenu 81 jours par des éléments de la rébellion syrienne. Témoignage.
Selon Reporters sans frontières (RSF), ils sont au moins quinze journalistes « disparus » en Syrie. Mercredi 24 juillet, dans la soirée, la nouvelle de l’arrivée de Jonathan Alpeyrie à l’aéroport Charles de Gaulle est diffusée sur Facebook. Peu de gens connaissent alors la situation de Jonathan Alpeyrie. Depuis son enlèvement, sa famille avait demandé un embargo à tous les journalistes. Embargo qui a été respecté.
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Article publié dans Le Journal de la Photographie du jeudi 1er aout 2013
- Article publié dans le Club Mediapart le vendredi 2 aout 2013
Dimanche dernier, Jonathan Alpeyrie m’a accueilli sur la péniche d’un ami aux portes de Paris. Il semble détendu et affiche en apparence une bonne mine. Tout va bien ? Oui dit-il, mais tout au long de son récit, on comprend que si physiquement il n’a pas trop souffert, psychologiquement sa captivité l’a profondément marqué. Voilà son témoignage, une exclusivité qu’il a partagée avec Régis Le Sommier de Paris Match.
« Tout commence à Yabroud où je suis arrivé quinze jours auparavant. Je travaille sans problème. Je suis avec les rebelles, avec l’opposition, celle qui s’appelle l’Armée Libre, l’ASL. J’ai des contacts sur place. Je suis seul. Je travaille toujours seul. C’est une zone très peu couverte et dangereuse, proche de Damas.
C’est mon troisième voyage en Syrie, prévu pour durer une dizaine de jours. J’ai de très bons contacts au Liban qui ne me demandent pas d’argent.
J’ai été trahi et vendu par mon fixeur.
J’en suis persuadé, et les services français également.
Le 29 avril, les rebelles me déclarent : on va aller voir un autre groupe de combattants sur la ligne de front sud proche de Damas, dans une katiba de l’ASL… C’est là qu’ils me tendent un piège. On monte dans un 4×4, l’officier de la katiba, mon fixeur et deux soldats. On descend une route jusqu’à un checkpoint où des hommes cagoulés me sortent de la voiture, me font mettre à genoux et font semblant de m’exécuter.
Ils me mettent un bandeau et tirent un coup de feu à côté de ma tête…. Ils me vident les poches, me prennent tout, me malmènent… Ils savent qui je suis, donc ils ne me torturent pas comme ils font d’habitude. Je suis menotté, bâillonné… Ils veulent me faire peur, me briser, pour que je ne m’échappe pas. Ils m’ont séparé des autres et là, ma captivité commence.
Je me retrouve dans une maison où je passe trois semaines attaché, menotté sur un lit avec cinq, six soldats et deux barbus, des islamistes… Ce n’est pas Al Qaïda mais ce sont des barbus avec la lèvre supérieure rasée. Le secteur est bombardé sans arrêt, avec des attaques des Mig et des hélicoptères.
Un jour, un jeune soldat, un fou qui me fait peur, veut m’exécuter parce que je n’ai pas demandé l’autorisation pour aller aux toilettes. Il me met son fusil mitrailleur sur le front… Mais, les autres le stoppent immédiatement et l’éloignent.
Au bout d’une semaine, le chef de l’unité et des gens de la police rebelle locale m’interrogent d’une façon assez musclée. Ils m’accusent d’être de la CIA. Ils m’insultent, me traitent de menteur. Trois fois, ils reviennent à la charge. La dernière fois, ils me montrent des couteaux qu’ils aiguisent en m’expliquant qu’ils vont m’égorger.
Le groupe qui me détient est militairement très actif. Il y a beaucoup de passages, mais je suis toujours caché, au secret, dissimulé par un rideau. »
Une maison avec piscine sous les bombes
« Au bout de trois semaines, ils me changent d’endroit, et m’emmènent dans une maison à 500 mètres, pas loin de leur quartier général. Là, je suis enchaîné à une fenêtre. Et au bout de huit jours, l’atmosphère est plus détendue. Ils m’ autorisent à circuler dans la maison, entourée de murs. J’ai plus de liberté. Il y avait une vue superbe sur la vallée de l’ouest, vers le Liban. Peu à peu, je parle avec les soldats, je les aide même à faire la cuisine.
Un jour, ils m’ont obligé à leur apprendre à se servir d’un détecteur de métaux. Pourquoi ? Dans la région il y a beaucoup de vestiges archéologiques. Avec ce matériel ils fouillent et trouvent des pièces anciennes qu’ils revendent à Beyrouth pour acheter des armes et du matériel. Nous sommes allés en chercher près d’un vieux mur, vieux paraît-il de 4000 ans. On a trouvé quelques pièces.
Un autre jour, ils veulent que je leur apprenne à se servir de matériel russe. Je pense que c’est un piège, je leur ai confirmé que je ne connaissais pas le russe. Je suis toujours sur mes gardes. Mes geôliers sont très fourbes. Ils me mentent en permanence.
J’étais certain de mon exécution. Ce qui me faisait aussi très peur c’est la longévité de la captivité. Combien de temps allais-je rester là ? Comme je n’avais rien à faire, je faisais des plans dans ma tête, des plans d’évasion… Mais je finissais par m’endormir, épuisé.
Il y a eu aussi des moments comiques.
Dans une des conversations j’avais mentionné que j’étais doué en natation, un matin, ils me demandent d’apprendre au chef à nager. Ils remplissent la piscine d’eau glacée et je me retrouve dans l’eau avec le chef barbu pour le soutenir dans ses efforts pour ne pas se noyer !
De temps en temps, ils s’amusent à me mettre un fusil sur la tempe. Ils font ça comme une blague… Ca ne l’est pas pour moi !
Je reste deux mois dans cette maison, qui est sans cesse attaquée. Une jour, l’infanterie du Hezbollah arrive à moins d’un kilomètre de la maison. Ils sont repoussés, mais la situation se complique sérieusement. Non seulement je suis captif sans savoir combien de temps cela va durer, mais en plus je m’imagine pouvoir être tué dans un bombardement.
Notre maison et leur quartier général, sont constamment bombardés à coup de roquettes. Quatre coups. Ça se rapproche… ça s’éloigne. Ils règlent leurs tirs et ils savent ce qu’ils visent. Ça tombe à 100 mètres, à 20 mètres…
Donc psychologiquement c’est très dur. Je pense à tout, à l’évasion, au suicide.
J’ai subi des bombardements en Afghanistan, en Tchétchénie, en Géorgie, dans tous les conflits que j’ai couverts, mais là, ce n’était pas pareil, je suis captif et donc une cible. »
Une libération via Damas !
« La libération… Je ne peux pas donner tous les détails : les gouvernements français et américain préfèrent ne pas communiquer. Ce que je peux dire, c’est que j’ai des contacts au Liban, et que ces contacts ont de très bonnes relations en Syrie. Ces contacts savent très vite où je suis et par quel groupe islamiste je suis détenu… Ils tiennent ma famille informée. Mon père passe trois mois à mentir à tout le monde. Très peu de gens sont au courant de ma captivité.
Je ne connais pas tous les détails de ma libération. C’est un proche du régime, un parlementaire et un homme d’affaires syrien important qui cherchait Edouard Elias et Didier François… Par hasard il est tombé sur moi.
Le groupe rebelle a dit : on a un journaliste français. Alors ils me filment… 48 h après ils m’ont relâché à Yabroud, où il y avait un chef local. Ils discutent. Tout à coup, apparaissent deux mecs habillés comme les fameux chabilas. Là, je pense que je viens d’être vendu au régime…
Il faut dire que dans cette zone, il n’y a pas de front, beaucoup d’espions et de tous bords… Ils m’embarquent dans une voiture. Je craque car je suis sûr que je vais finir dans une geôle du régime syrien. Les hommes me rassurent, m’affirment que je n’ai pas à m’inquiéter, que je suis libre et que je vais … à Damas ! Evidemment je n’ai pas confiance !
A 500 mètres de l’autoroute Damas-Homs qui est aux mains du régime, ils me forcent à changer de vêtements. Ils me donnent une fausse carte d’identité et m’intiment l’ordre de me taire au checkpoint. On arrive à Damas sous les bombardements. Il y a des explosions toutes les trente secondes. Ils m’amènent dans une grande villa luxueuse dans le quartier chic de Damas. Un quartier qui n’a pas été touché par la guerre, c’est le quartier général de cet homme d’affaires qui a une armée de 300 chabilas.
Là, il y a un libanais dont je ne peux pas dire le nom. Ils commencent à parler…
Je reste avec quelques gardes, on regarde la télé… Ils me donnent des vêtements et un téléphone. J’appelle un ami pour qu’il prévienne ma famille. Dans Damas, ils me promènent, et au bout d’un moment, l’homme d’affaires m’affirme qu’il a organisé mon départ vers le Liban.
Il envoie une voiture avec des hommes à lui, les poches pleines de billets. La première voiture part, et nous démarrons une heure après. On passe tous les checkpoints. A la frontière, mes accompagnateurs me cachent dans le coffre. Arrivés au Liban, ils me conduisent dans un appartement à Beyrouth et ne veulent pas que je sorte. Je m’échappe pendant qu’ils fument. La femme de ménage veux m’arrêter…. J’ appelle par téléphone l’ambassade de France. Deux gendarmes viennent me chercher… C’est fini.
Je reste à l’ambassade quatre jours, le temps que l’on me refasse mes papiers car je n’ai plus rien. Les gens de l’ambassade sont très efficaces. C’est incroyable de passer de ma captivité à l’ambassade des pins, qui est une espèce de palais ottoman. Et je suis rentré à Paris, en « first class » grâce à Air France, où quelques amis, ma famille et la DGSE m’attendent.
Le fond du problème c’est que la rébellion perd la guerre. Le gouvernement a réorganisé efficacement son armée. Les rebelles sont désespérés. Pour eux, avoir des otages comme moi est une opportunité. Ils sont désespérés et se moquent de leur réputation internationale. Ils kidnappent pour l’argent.
Mon enlèvement n’avait d’autres raisons que financières. Dès qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient, ils m’ont relâché. Même avant d’être pris en otage, je n’ai jamais pensé que c’était une bonne chose de médiatiser les enlèvements. Ça rajoute de la valeur à l’otage… Et puis que tout le monde sache ça apporte quoi ? Ca n’aide pas. La presse pense que si on n’en parle pas, on oublie. Mais ce n’est pas vrai si la famille, les amis et la cellule de crise travaillent pour libérer les otages.
J’ai hâte de reprendre le travail. La guerre ? J’ai fait quinze zones de conflits depuis 2004…. La guerre ? Je vais l’oublier pour l’instant. La Syrie ? C’est fini pour moi. La baraka, je ne l’aurai pas deux fois. Je vais reprendre le reportage. J’ai commencé depuis un certain temps un travail sur les femmes musulmanes aux US.»
Au bout de 45 minutes, Jonathan Alpeyrie s’est tu. Il avait toujours le même air calme et serein qu’au début de cet entretien. Il me répète qu’il est convaincu que de parler des otages est une erreur. Il n’a accepté de parler en exclusivité qu’à Régis Le Sommier de Paris Match et au Journal de la Photographie sous réserve que nous publions en même temps que l’hebdomadaire français.
Jonathan souhaite reprendre son travail le plus vite possible, mais s’il espère récupérer son ordinateur et son téléphone, il n’en est pas de même pour ses deux boitiers Nikon D 300s et leurs objectifs… Un fabriquant fera-t-il un bon geste pour que le photojournaliste se remette au travail le plus vite possible ?
Propos recueillis par Michel Puech
Biographie de Jonathan Alpeyrie
(source son site personnel http://www.jonathanalpeyrie.net/ – Le site son agence : http://www.polarisimages.com )
Né à Paris en 1979, Jonathan Alpeyrie a déménagé aux États-Unis en 1993. Il est diplômé du lycée français de New York City en 1998, avant d’aller à l’Université de Chicago pour étudier l’histoire médiévale. Jonathan a commencé sa carrière pour des journaux locaux de Chicago au cours de ses études de premier cycle. Il a fait son premier essai de photo en 2001 lors d’un voyage dans le Caucase du Sud.
Après avoir obtenu son diplôme en 2003, il est allé au Congo pour travailler sur divers essais qui ont été observés et pris en charge par Getty images, et a signé un contrat de contributeur au début de 2004.
Jonathan a travaillé comme pigiste pour diverses publications et de sites Web tels que Le Figaro magazine, American Photo, Africa International, le voyageur Royaume-Uni, et divers journaux de New York et de Los Angeles.
Aujourd’hui, il est photographe pour Polaris Images, avec qui il a signé en Novembre 2009. Il a également travaillé en tant que photographe de mode à New York durant ces deux dernières années, avec ELLE et divers designers locaux.
La carrière de Jonathan Alpeyrie, qui s’étend sur une dizaine d’années, l’a emmené dans plus de 25 pays, il a couvert 9 zones de conflit, surtout en Afrique de l’Est, dans le Caucase du Sud, le Moyen-Orient et en Asie centrale. Un livre de photographies sur les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale avec les Editions Verve est aussi en préparation et devrait sortir l’année prochaine.
Les photos de Jonathan Alpeyrie ont été publiées dans des revues telles que Paris Match, Aftenposten, le magazine Time, Newsweek, Wine Spectator, le Boston Globe, Glamour, BBC, World magazine, Popular Photography, le New York Times, VSD, American Photo et ELLE.
Lire également l’article de Régis Le Sommier dans Paris Match et la vidéo ci dessous
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