Hommage

Philippe Jarreau
Une passion : l’info !

©Vincent Leloup / Collectif Presse
©Marie Dorigny

 

Après André Sas, le Journal du Dimanche perd un deuxième rédacteur en chef photo ! Philippe Jarreau (1958-2020), c’est une carrière de quarante ans au service de l’information photographique.  Il a été retrouvé mort à son domicile le mercredi 13 mai 2020. Personnage controversé, car forte personnalité, c’était un passionné pour qui la difficulté d’informer visuellement était un stimulant.

Grâce à ses amis, A l’œil peut lui rendre hommage en publiant les textes lus lors de ses obsèques au cimetière du Montparnasse ce mercredi 20 mai 2020. Aux adieux d’Olivier Margot, rédacteur en chef de L’Equipe, de Patrice Trapier, grand reporter et directeur adjoint du JDD, d’Alain Genestar ancien directeur du JDD aujourd’hui fondateur de Polka Magazine, s’ajoute le témoignage de Vincent Leloup fondateur de Collectif Presse, de Divergence images et de Rendez-Vous Photos. Qu’ils soient ici tous remerciés. A l’œil s’associe à la douleur de la famille de Philippe Jarreau.

MP

 

Philippe Jarreau, un ami de quarante ans par Vincent Leloup

(c) Collectif Presse

Je l’ai connu à la fin de l’année 1980, début 1981, quand Jacques Torregano l’a amené dans notre projet d’agence  Collectif Presse ». Il a été photographe jusqu’à la fin de 1983. J’ai un souvenir précis du 31 décembre 1983 où nous fêtions tous ensemble la fin de l’année mais Philippe couvrait l’occupation de l’usine Simca-Talbot. La police est intervenue et est rentrée dans l’usine. Il était le seul photographe présent. Il n’y avait pas de télévisions. Il nous appelait sans arrêt car il vendait ses photos aux télés !

J’ai le souvenir aussi de son travail sur Georges Marchais. Il voulait absolument le faire dans son bureau, mais il n’y est pas arrivé. A vrai dire, il ne se considérait pas comme un bon photographe et quand nous avons fermé Collectif Presse, il n’a pas voulu récupérer ses photos qui sont parties à la poubelle. Le passé ne l’intéressait pas. D’ailleurs j’avais retrouvé un contact et un négatif de ses photos de Georges Marchais. Je lui ai rendu et il les a immédiatement perdus. J’ai conservé deux tirages que j’ai refusés de lui rendre. Je lui ai fait des scans. C’est l’avenir qui l’intéressait. Après 1983, il est devenu rédacteur en chef de « Collectif Presse ». En fait, l’information l’intéressait plus que la photographie.

C’était un passionné d’info, je n’ose pas dire de scoop mais plus tard au JDD il adorait faire la nique à Paris Match. Il a été très important pour moi. Il m’a obligé à faire des choses que je ne faisais pas beaucoup, comme partir à l’étranger.

On avait l’impression qu’il ne dormait jamais. Un jour, où il y avait eu une catastrophe ferroviaire, iI me téléphone à une heure du matin pour que je parte à Argenton-sur-Creuse. Je lui dis que je dors et que je n’ai pas de voiture. Un moment après, il me rappelle, il avait trouvé un taxi pour m’emmener et lui ramener les pellicules !

Il n’était pas toujours facile pour les photographes. Parfois, il téléphonait et sans dire bonjour, te lançais : « t’as que ça ? ». Il était toujours à l’affût de l’info, à la recherche du coup, même si c’était un scoop sur Sarkozy par exemple. Pourtant il n’était pas de droite, jeune, il était passé par la Ligue Communiste Révolutionnaire !  Avec les photographes, il avait ses têtes. Moi, en quarante ans, il m’a toujours fait travailler où qu’il soit sauf pendant sa courte période Gamma et Sygma. Il aimait bien pousser des photographes. A Collectif Presse il avait fait démarrer Patrick Baz, après au JDD, il a fait débuter ou aidé des femmes photographes comme Elodie Grégoire ou Sandrine Roudeix.

Depuis trois ans, nous donnions des cours de photojournalisme à l’Ecole française de journalisme (EFJ). Ce n’est pas une école photo, nous voulions seulement leur faire prendre conscience du photojournalisme, leur donner des pistes pour comprendre et chercher les photos d’actualité. Pour les étudiants, on s’appelait « bad cop » et « good cop ». Ça ne le gênait pas d’être « bad cop » !

Dès que j’ai eu l’idée de  Rendez-Vous Photos j’essayais de le joindre et je n’y arrivais pas. En fait, il venait d’avoir son cancer. Il fumait énormément, à l’époque de « Collectif », des Celtique ! Mais, dès qu’il a été mieux, il nous a rejoints et nous avons travaillé ensemble jusqu’à la fin. Que ce soit pour Rendez-Vous Photos ou à l’EFJ, il voulait toujours le mieux.  Il était extrêmement exigeant et pouvait être très cassant.  Philippe Jarreau c’est une sorte de puzzle. Chacun en connaissait dix pièces et ignorait les 90 autres pièces. Il a été retrouvé mort mercredi 13 mai en début d’après-midi.

Vincent Leloup

Lettre à d’Artagnan d’Olivier Margot, rédacteur en chef de L’Equipe

©Marie Dorigny

Philippe Jarreau nous a appris à voir sans regarder. Quand il choisissait une photographie et nous l’expliquait, quelque chose se créait autour de lui. Il ne riait plus, il ne souriait pas, il nous ouvrait un monde, le sien.

Nous nous sommes rencontrés au milieu des années 1980. Nous avons formé un petit groupe d’amoureux fous de la presse écrite, cet absolu du travail en communauté. Et c’était comme si la vie recommençait. Il y avait là Patrice Trapier, Ghislain Loustalot, Sophie Laurent Lefèvre et moi-même. Nous étions des mousquetaires, quatre naturellement, nous étions tous des d’Artagnan. Nous avions de bons maîtres, Alain Genestar, Jean Schalit, Jean Cavé

Avant que la vie peu à peu nous sépare, j’ai été très proche de Philippe Jarreau, son imperméable, son rire de ciel bleu, ses méditations soudaines quand le rejoignaient toutes les teintes de gris.

Je me rappelle notre voyage à Rome pour la nouvelle année. Philippe et Lise Sarfati, compagne d’alors, Dominique, mon épouse, Elsa, notre fille. Le 1er janvier, nous avions déjeuné en bras de chemise à la Villa Médicis, dans une lumière de paradis. Nous étions jeunes et Rome était à nos pieds.

Je me souviens d’un week-end d’hiver dans une maison glacée, qu’occupaient Philippe et Lise non loin d’Orléans. À court d’argent, Philippe avait passé un accord économique avec EDF, pas cher du tout puisque sans chauffage quand il faisait froid.

Son rapport à l’argent était extravagant, entre Arsène Lupin dont il avait la belle allure, et le rêve éveillé de tout claquer l’espace d’une nuit, pour la beauté du coup.

Longtemps, Philippe Jarreau ne s’est pas couché de bonne heure. Sa disparition, qui n’en est pas une, fait de lui un peu plus encore et pour toujours quelqu’un d’autre.

Olivier Margot

 

Un dandy de grand chemin par Patrice Trapier, directeur adjoint du JDD (1987-2016)

©Marie Dorigny

Directeur de la photo du Journal du Dimanche de 1995 à 2010, Philippe Jarreau s’est éteint en début de semaine, à l’âge de 61 ans. Il avait des manières d’un autre siècle, une élégance de tweed et de velours enveloppée d’un brouillard de cigarettes, un goût pour le Bombay Sapphire et l’habitude de vouvoyer les dames. Un dandy certes mais prêt aux aventures de grand chemin, filatures et planques, tout pour rapporter et publier « l’histoire en photos ».

Philippe Jarreau s’était fait les dents jeune à la maquette de Paris Match avant de cofonder en 1981 l’agence Collectif puis de suivre les routes de Jean Schalit, inventeur en chef de nouvelles formes de presse écrite. Jarreau a ensuite débarqué au JDD à la demande d’Alain Genestar, directeur déjà passionné par la photo, bien avant Polka. Il s’agissait de donner une signature visuelle à un journal en mutation. Mission accomplie !

Philippe Jarreau aura célébré le photojournalisme jusqu’à la dernière heure à travers ses cours et le site RDV Photos imaginé par Vincent Leloup. Pétri d’humour et de mauvaise foi, hanté par les tourments du XXe siècle, cet ashkéno-séfarade aura eu le temps de lire Mauthausen, le chef-d’œuvre de Iakovos Kambanellis, avant de prendre congé, d’une pirouette de chat.

Patrice Trapier

Philippe Jarreau, notre Calvero par Alain Genestar, fondateur de Polka Magazine

A tout ce qui a été dit sur Philippe, décrit en jolis mots par ses amis, en d’Artagnan, en Dandy, en joyeux compagnon de bouclage et d’après bouclage, en fumeur de Gauloises et meilleur ami du Gin Bombay avec la reine Victoria sur la bouteille bleue, en passionné fou de la photo, je voulais ajouter non plus des mots mais un mouvement. Un mouvement de son corps. En fait une sorte de transe ou plutôt de danse.

Cela se produisait surtout en bouclage quand il arrivait vers nous avec une photo qui lui plaisait. Et là, son corps se mettait à bouger, animé d’une vibration étrange et impatiente. L’imaginer aujourd’hui me fait penser à Calvero. Vous savez c’est le clown triste de Chaplin dans les « Feux de la Rampe ». A la fin de son fameux sketch du dompteur de poux, il est piqué dans son pantalon et traverse la scène en se trémoussant frénétiquement à chaque piqûre.

C’était son dernier spectacle. Calvero est mort en coulisses en regardant danser sa ballerine. Et dans la salle le public applaudissait.

Applaudissons notre Calvero …

Alain Genestar

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Dernière révision le 26 mars 2024 à 5;50 par la rédaction