Pascal Maitre est un talentueux photojournaliste, un coloriste virtuose et un excellent connaisseur de l’Afrique où il s’est rendu de très nombreuses fois. En 2020, il a obtenu le Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière en partenariat avec l’Académie des Beaux-Arts pour son projet « Les Peuls. Du retour de l’identité au risque djihadiste ».
Dans sa note d’intention, Pascal Maitre écrivait :
« Le peuple peul compte 35 millions d’individus, du Sénégal au Niger, du Tchad au Soudan. Les Peuls ont en partage une langue, le pular, et un particularisme transfrontalier, le pulaaku, qui représente une manière stricte et codifiée d’« être Peul », sorte de code d’honneur partagé. Le bétail en général et les vaches en particulier demeurent un des piliers de la culture peule, ainsi qu’une puissante foi en l’Islam. Les Peuls ont, de tout temps, été des pasteurs nomades, ce qui explique leur présence dans de nombreux pays de la bande sahélienne. (…)
La croissance démographique et le réchauffement climatique fragilisent la situation de ce peuple millénaire, traditionnellement pasteur. Les pâturages se réduisent, leur mode de vie est bouleversé, et la pression économique se fait de plus en plus forte.
Pour une partie des populations peules, la radicalisation djihadiste est perçue comme une solution. Elle entraîne une augmentation du rythme et de l’intensité des conflits entre communautés nomades peules et cultivateurs Dogons, Bambaras et Mossis. Les combats font des milliers de morts et des millions de déplacés chaque année.
Mon projet sur les Peuls documentera d’un côté le mode de vie et les traditions peules, alors qu’elles sont en train de disparaître, et de l’autre l’attrait d’une partie de ces populations vers le djihadisme, qui risque de faire du Sahel une zone encore plus instable qu’elle ne l’est déjà. Plus que jamais, le peuple peul est aujourd’hui à un tournant de son histoire, et c’est ce tournant que je souhaite photographier. »
Entretien avec Pascal Maitre
« … il y a un grand grand malentendu avec la France. »
– Présentez-nous votre exposition
L’exposition, pour une meilleure compréhension de la situation par les visiteurs, est divisées en trois parties. Tout d’abord les traditions et les Peuls avec leurs animaux parce que c’est pour eux important.
Ensuite la vie quotidienne puis le conflit et ses conséquences. Il y a des légendes sous les photos mais aussi un texte explicatif dans chaque salle et un autre à l’entrée, de Luc Desbenoit, ancien grand reporter à Télérama, présentant mon travail.
Enfin surtout, il y a un texte de Bréma Ely Dicko, un sociologue et chercheur malien, Peul lui-même, qui remet en contexte. Et on a aussi une carte où sont positionnés les endroits où j’ai travaillé, mais aussi tous les groupes djihadistes qui sont dans cette zone. Comme c’est complexe, c’était essayer de ne pas perdre les gens dans le problème. Et puis il y a une vidéo où là, je parle un peu plus du contexte général et comment on en est arrivé là. Donc avec tout ça, je pense que les gens peuvent un peu s’y retrouver.
– Pourquoi avoir choisi cette région ?
J’ai fait un gros sujet pour le National Geographic sur le Sahel il y a deux ou trois ans et je travaille depuis un moment dans cette zone. L’avantage, lorsqu’on y va régulièrement, c’est qu’on parle évidemment avec les gens et on voit monter le problème tout doucement. A un moment donné, je me suis dit que j’aimerais faire ce sujet pour un magazine et d’ailleurs j’avais commencé avec Le Figaro Magazine avant d’avoir ce prix. Mais je voulais aller plus en profondeur et j’ai donc fait cette proposition pour le Prix de la photographie Marc Ladreit de Lacharrière. C’est ce que j’avais envie de faire en pensant que malheureusement ça n’allait aller qu’en s’aggravant.
– Quel était votre projet ?
Au départ, mon hypothèse, mon intention, c’étaient les Peuls, de la tradition jusqu’au djihadisme. Parce que parmi les djihadistes, surtout ceux du centre du Mali, il y a beaucoup de Peuls. Toute la complexité c’est qu’à un moment donné l’État malien n’a pas voulu s’occuper de ce problème et les Français non plus parce qu’ils étaient sur la partie nord Touareg.
Donc la politique suivie au départ, ça a été d’armer des miliciens d’autres groupes comme des Dogons, essentiellement des Bambaras et des Mossis au Burkina. Et la machine s’est mise en route, c’est-à-dire que si, par exemple, les djihadistes Peuls attaquaient des villages Dogons pour voler, après il y avait vengeance sur les populations civiles peuls par les milices des Dogons.
On parle de grands massacres, genre 160 morts. Et après, ça recommençait, nouvelles attaques des djihadistes pour venger les leurs et depuis deux à trois ans c’est terrible, ça ne fait qu’augmenter et tout doucement on arrive à une stigmatisation des Peuls. Par exemple, au Burkina Faso il y a deux mois, il y a eu toute une campagne sur WhatsApp qui scandait : « Tuez les Peuls ! Tuez les Peuls ! Tuez les Peuls ! ».
– Comment voyez-vous l’avenir de cette région ?
Si on prend le Mali, les Français se sont retirés à la suite des deux coups d’État militaires et la venue des mercenaires de Wagner, c’était la ligne rouge qui a fait que l’on est parti. On voit qu’il y a de plus en plus de civils tués dans cette zone après le départ des soldats Français et à cause de la brutalité de Wagner. Donc ça continue.
Au Burkina Faso, il y a 40% du pays qui sont tenus par les djihadistes et ils sont juste à la frontière du Mali. Donc pour l’instant, ça reste terrible et on voit que la situation est en train de se dégrader. Les conflits s’arrêtent toujours, mais à quel prix ?
Et il y a un grand grand malentendu avec la France. Je ne parle pas des politiques mais des populations qui pensent qu’on aide les djihadistes en leur fournissant des armes. C’est vraiment ancré dans les mentalités et quand on se met à leur place on peut comprendre qu’ils se disent : voilà, ça fait dix ans que l’armée française est là, avec 5000 hommes, des avions, des drones et en plus le renseignement américain. Et d’année en année, c’est allé de pire en pire.
Donc si tout ce monde-là n’arrive pas à régler le problème, c’est qu’il y a un intérêt à ce que ça dure. Et donc, pour que ça dure, ils doivent soutenir les djihadistes. Et aussi, si les Français veulent que ça dure, c’est qu’ils ont peut-être des intérêts vis-à-vis des ressources du pays. C’est vraiment ancré dans les esprits. Les gens voient toute cette armada contre des types qui sont en claquettes sur des motos et c’est tout. Le malentendu est profond et ce climat anti-français a aussi été très entretenu par les militaires maliens.
Propos recueillis par Gilles Courtinat
Exposition
Les Peuls du sahel Photographies de Pascal Maitre
Commissariat Sylvie Hugues
Jusqu’au 4 décembre 2022
Pavillon Comtesse de Caen 27 Quai de Conti 75006 Paris
Ouverture du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures.
Ouverture exceptionnelle le jeudi 3 novembre de 11 heures à 20 heures et le mardi 8 novembre de 12 heures à 18 heures
https://www.academiedesbeauxarts.fr/exposition-de-pascal-maitre-peuls-du-sahel
Lire
La Revue des Deux Mondes consacre un hors-série à Pascal Maitre pour son projet « Peuls du Sahel » disponible sur www.revuedesdeuxmondes.fr et en librairie.
Le site de Pascal Maitre
Crédit photos :
SAUF LA 04
© Pascal MaitreDernière révision le 9 octobre 2024 à 9:59 am GMT+0100 par
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