Revue de presse

Image & identité
Un monde flou, flou, flou

« Un monde fou, fou, fou » de Stanley Kramer, sortie en 1963

Dans « Un monde fou, fou, fou, fou », une comédie farfelue de Stanley Kramer sortie en 1963, Smiler Grogan, un cambrioleur tout juste sorti de prison, est accidenté sur une route californienne alors qu’il allait récupérer les 350 000 dollars qu’il avait cachés dans un parc.

Avant de mourir, il confie son secret aux automobilistes qui se sont arrêtés pour lui porter secours. Une course s’engage alors pour retrouver le pactole du défunt (1). L’histoire rocambolesque menée par la plupart des acteurs comiques de l’époque – comme Spencer Tracy, Mickey Rooney, Peter Falk, Buddy Hackett, Phil Silvers, Sidney Caesar, Jerry Lewis, et même un Buster Keaton – est un franc succès populaire.

Le Parisien et Libération du mardi 28 novembre 2023

C’est en voyant deux premières pages de deux quotidiens français parus aujourd’hui mardi 28 novembre que je me suis rappelé le film de Stanley Kramer. Dans une des scènes les plus loufoques, l’indice de l’emplacement du trésor est aussi gros que le nez de Pinocchio ou de Cyrano, au milieu du visage… mais personne de ceux qui le cherchent ne le remarque ! Libération a choisi de flouter le visage des trois otages franco-israélien dans une image en couverture, une capture d’écran de la chaine Al-Arabya, contrairement au « Parisien », qui lui, a publié trois photographies de chacun des otages en gardant leur visage net. Je me mets à la place d’un individu se trouvant face au présentoir des quotidiens d’un vendeur de journaux et de regarder les deux couvertures en même temps !

Dans sa livraison datée 29 novembre 2023, le journal Le Monde à lui choisis, avec une certaine élégance et beaucoup de doigté, une photographie des Forces de Défense Israéliennes diffusée par l’AFP,  qui montre sans rien dévoiler; puis en intérieur, pour la suite de l’article, une photographie d’un autre otage libéré avec le visage à demi escamoté. En l’absence de lois claires et surtout n’entrant pas en conflit avec d’autres, le choix d’une photographie qui permet de se plier à la préservation de la vie privée, tout en satisfaisant au droit d’informer, sans froisser le détenteur du droit d’auteur. C’est la preuve que le problème n’est pas insoluble.

Image et identité

Si ces deux journaux ne sont pas d’accord sur le fait de montrer ou non les traits du visage de ces mineurs, en revanche, ils sont d’accord pour dévoiler leur nom et prénom. À quoi tient l’identité d’un individu ? Ses caractéristiques faciales, son patronyme ou les deux à la fois ? En quoi et de quelle manière contribue-t-on à préserver l’identité d’un être humain si on dévoile son patronyme complet ? C’est flou !

Certaines situations sont vraiment ambiguës, voire absurdes. Le journaliste est dans l’obligation de masquer les images afin de se plier aux réglementations strictes qui ne prends pas en compte les cas particuliers. Benoît Duquesne, présentateur de « Complément d’enquête » sur France 2, raconte ce cas d’école :

« Nous avons récemment diffusé une émission traitant des disparitions de mineurs : nous avons dû « flouter » le visage d’une adolescente ayant fugué alors même que ses parents nous montraient sa photo en espérant la retrouver ! » (2). C’est fou !

C’est encore le droit à l’image qui revient au-devant de la scène. Ce droit est consacré par l’article 9 du Code civil français, institué par la loi du 17 juillet 1970 : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». La vie privée et l’intimité des particuliers sont protégées. Toute personne dispose, sur son image ou sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion ou à la divulgation de son identité. Dans la pratique, cette revendication peut s’opposer au droit à l’information qui prime dans la majorité des cas au droit de l’image. Sinon, il ne serait plus possible de réaliser des reportages d’actualité en photo ou en vidéo. Dilemme éthique et déontologique que la rédaction des médias se doivent d’affronter à chaque fois que des gens, hors personnalités publiques qui sont un cas à part, sont mis malgré eux sous les projecteurs de l’actualité.

Encore un écran capturé

A-t-on consulté l’auteur des images avant de manipuler leurs oeuvres ? Rappelant que l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en effet au profit de tout créateur un droit au respect de l’œuvre, c’est un des attributs du droit moral de l’auteur. À gauche de l’image de couverture de « Libération », on peut lire la mention « Capture d’écran d’Al Arabiya ». J’ignore ce que disent les textes de lois à propos de ce cas précis. Une capture d’écran, doit-elle se plier elle aussi à la législation à propos de la photographie ?

Cet article a été publié en premier le 28 novembre 2023 sur le site de l’auteur.

Notes

Dernière révision le 26 décembre 2023 à 11;57 par la rédaction

Hamideddine Bouali
Les derniers articles par Hamideddine Bouali (tout voir)