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« Skip the photo shoot »
ADOBE MET LE FEU

© Tatsuya Tanaka

Le développement de l’IA générative d’image suscite bien des craintes et des interrogations chez nombre de photographes quand à l’avenir de leur métier.

L’inquiétude est montée d’un cran récemment quand Adobe a utilisé sur le site web américain de la société l’argument, pour le moins maladroit, « Skip the photo shoot » (ndlr : Sautez la séance photo) à propos de la fonction Generate Background (ndlr : générer un arrière-plan) de l’application Firefly.

Message clair en direction des clients habituels des producteurs d’images que l’on pourrait traduire par :

« Ne vous cassez plus la tête à faire appel à un pro, faites le vous-même et, en plus, faites des économies ».

Rien de très étonnant en fait, l’outil a été conçu initialement pour automatiser le process de la chaine de production image. On peut également se demander si Adobe considère encore les utilisateurs professionnels habituels comme un groupe suffisamment large pour rester profitable et ne chercherait pas à agrandir sa clientèle potentielle en s’adressant ouvertement à l’utilisateur final.

Ça en a quand même agacé plus d’un dont le photographe Clayton Cubitt qui a posté sur X:

« En tant que photographe, je suis heureux d’avoir donné à Adobe des dizaines de milliers de dollars pour qu’il se mette à vendre «Sautez la séance photo».

L’American Society of Media Photographers (ASMP), organisation professionnelle regroupant 6 500 membres, a publié une lettre ouverte qualifiant cela d’attaque contre la profession.

« Adobe, vous pourriez imaginer que demander à vos utilisateurs de «Sauter la séance photo» comme vous l’avez fait dans une récente série de publicités, serait un moyen intelligent de promouvoir vos nouveaux outils dans Photoshop, mais au contraire, cette campagne témoigne d’un rejet choquant de la photographie et des photographes qui ont consacré leur vie à la création (…) Adobe devrait examiner attentivement la façon dont il décrit la photographie et les photographes et déterminer si vous soutenez cette industrie ou si vous souhaitez contribuer à sa destruction. »

Interrogé sur le sujet, Adobe a répondu :

« Chaque changement technologique massif offre des opportunités de proposer de nouvelles innovations à nos clients, et nous nous efforçons d’exploiter la puissance de l’IA générative pour amplifier la créativité et l’expression humaines, et non pour la remplacer (…) Ces dernières innovations donnent aux professionnels des outils qui éliminent les tâches banales, afin qu’ils soient libres de se concentrer sur la concrétisation de leurs visions plus facilement et de travailler de manière plus productive. »

Depuis, la formulation litigieuse a été supprimée. Peut-être pas de quoi rassurer la profession pour autant.

Ansel Adams-Style landscape

(Paysage dans le style d’Ansel Adams)

Visuels à la manière d’Ansel Adams sur le site Adobe Stock

Comme si cela ne suffisait pas, l’entreprise vient à nouveau de se faire taper sur les doigts début juin, cette fois-ci à propos d’images produites par l’IA et diffusées sur sa plateforme Adobe Stock. Ce sont les ayant droits d’Ansel Adams qui lui ont reproché de vendre des images réalisées à la manière du célèbre photographe. Difficile de le nier puisque cela s’accompagnait de la mention Ansel Adams-Style landscape (Paysage dans le style d’Ansel Adams). Pourtant les conditions imposées aux contributeurs de cette banque d’image interdisent spécifiquement le contenu « créé à l’aide de descriptifs contenant des noms d’autres artistes ou créé à l’aide de requêtes destinées à copier un autre artiste». Certes, les visuels incriminés n’étaient vraiment pas à la hauteur, mais Adobe, ayant bien compris que ça sentait le roussi, a réagit très vite en supprimant immédiatement le contenu litigieux, se fendant d’une réponse en pure langue de bois:

« Merci d’avoir signalé ce contenu qui va à l’encontre de notre politique de contenu en matière d’IA générative. Nous sommes heureux que notre équipe ait pu supprimer le contenu. N’hésitez pas à nous contacter directement via Instagram ou en message privé pour entrer en contact directement dans le futur. »

 

Pas sur que cela ait complètement satisfait la succession Adams qui a déclaré avoir depuis août 2023 et à plusieurs reprises contacté directement Adobe à ce sujet ajoutant:

« Nous n’avons aucun problème à ce que quiconque s’inspire des photographies d’Ansel. Mais nous nous opposons vigoureusement à l’utilisation non autorisée de son nom pour vendre des produits de toute nature, y compris des produits numériques, et cela inclut les résultats générés par l’IA, que son nom ait été utilisé comme requête ou qu’un modèle ait été entrainé à partir de son travail. En supposant que vous souhaitiez être pris au sérieux concernant votre prétendu engagement en faveur d’une IA éthique et responsable, tout en démontrant du respect pour la communauté créative, nous vous invitons à devenir proactifs face aux plaintes comme la nôtre et à cesser de faire porter la responsabilité sur les artistes individuels pour contrôler en permanence notre propriété intellectuelle sur votre plate-forme, selon vos conditions. Il est grand temps d’arrêter de gaspiller des ressources qui ne vous appartiennent pas.»

Visuel généré par IA sur le site Adobe Stock

Le vice-président d’Adobe Stock, Matthew Smith, a précédemment déclaré au media The Verge que la société modère généralement tous les actifs Adobe Stock avant qu’ils ne soient mis à la disposition des clients, en employant une « variété » de méthodes qui incluent « une équipe expérimentée de modérateurs qui examinent les soumissions » et que la mesure la plus forte que l’entreprise puisse prendre pour faire respecter les règles de sa plate-forme était de bloquer les utilisateurs qui les enfreignaient. De nombreuses images artificielles répondant aux requêtes Gaza ou Ukraine (pas toujours signalées IA) encore présentes sur leur site, même accompagnées de la mention «L’usage éditorial ne doit être ni mensonger ni trompeur », fait quand même peser un doute sur ces déclarations.Dernière révision le 21 juin 2024 à 6;21 par la rédaction

Gilles Courtinat


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