
Promis, juré, craché, l’expérience de vidéosurveillance algorithmique, qui avait été déployée à l’occasion des Jeux Olympiques en France, devait s’arrêter le 31 mars 2025. Mais, sans réelle surprise et malgré des résultats très mitigés, les parlementaires ont validé un rapport du Sénat qui proposait une prolongation de deux ans supplémentaires faisant peser une réelle menace sur les libertés individuelles.
Mise à jour le 25/04/2025: le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions de la loi sur la sécurité dans les transports. Parmi elles, celle, controversée, visant à prolonger l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) dans l’espace public et celle visant à «permettre le recours à la contrainte par des agents privés».
Déjà, de quoi s’agit-il ?
Cette technologie combine la captation d’images provenant des caméras situées sur la voie publique avec des logiciels de détection automatisée pilotés par intelligence artificielle et censés détecter les comportements désignés comme anormaux. Sont ainsi mentionnés les objets abandonnés, la présence ou l’utilisation d’armes, le non-respect par une personne ou un véhicule du sens de circulation, l’intrusion d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite, la présence d’une personne tombée au sol, les mouvements de foule, une densité trop importante de personnes et les départs de feux. 47 expérimentations ont été effectuées par la préfecture de police de Paris, la RATP, la SNCF ainsi que la ville de Cannes et il ressort, à la lecture du rapport, que les résultats sont bien loin d’être convaincants. Sous le titre « Un bilan opérationnel contrasté » les rapporteurs avouent que « l’expérimentation ne permet pas de porter un jugement définitif sur l’opportunité du recours à la vidéoprotection algorithmique. En particulier, les résultats paraissent trop limités et parcellaires pour justifier la pérennisation de ce dispositif comme son abandon. » Bref, ça a coûté dans les 8 millions d’euros, on ne sait pas si ça marche, mais on continue malgré tout malgré un manque évident d’efficacité. Alors même que différentes recherches menées préalablement sur le sujet avaient montré que la vidéosurveillance était très peu efficace. Une étude commandée par la gendarmerie française parue en septembre 2021 concluait que sur 1 936 enquêtes étudiées, cette technologie avait joué un rôle dans la résolution de 22 affaires (1,13%). Belle performance non ? Notons également que Nice est une des villes les plus vidéosurveillées en France, ce qui n’a pas empêché l’attentat du 14 juillet 2016, alors que le terroriste était allé une dizaine de fois en repérage avec son camion sur la promenade des Anglais, un axe interdit aux poids lourds et très équipé en caméras. D’autres expériences menées en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas avaient également conclu que ces dispositifs ne changeaient rien à la sécurité de nos concitoyens, ce qui reste, malgré tout, l’argument cache sexe pour nous vendre la chose. Ne doutons pas une seule seconde non plus que les fabricants de matériel, de solutions informatiques et autres prestataires, qui pratiquent de longue date l’exercice, ont fait un sérieux lobbying auprès des autorités et des politiques très à l’écoute de leur discours sécuritaire. Sans oublier que tout cela a un coût pour notre portefeuille. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2011, le coût annuel de fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance, se montait en moyenne à 7 400 euros par caméra et par an. En 2023, un rapport parlementaire estimait à 90 000 le nombre de caméras de surveillance de la voie publique ce qui représente aujourd’hui, compte tenu de l’inflation, d’un budget total de plus de 840 millions d’euros par an payé par l’État et les collectivités, donc le contribuable.
Vous êtes filmés, souriez ?
On se souvient qu’en 2021, le projet de loi « sécurité globale » fort liberticide avait ramené pas mal de monde dans la rue avant d’être en partie retoqué par le Conseil Constitutionnel. Le texte était assez gratiné, proposant la surveillance massive par drones, l’interdiction de la diffusion des images de forces de l’ordre, le recours accru à des sociétés de sécurité privées et à la vidéosurveillance. Mais aujourd’hui, l’annonce tombe dans une relative indifférence générale peut-être justifiée par l’ambiance internationale morose du moment couplée à un sentiment d’insécurité grandissant, thème sur lequel les médias d’extrême droite ont depuis longtemps bâti leur fonds de commerce. Un peuple qui a peur est un peuple qui se tient sage. Pourtant, nous sommes là typiquement dans le cas du vieux syndrome de la grenouille dans l’eau bouillante. Si l’on plonge subitement une grenouille dans de l’eau chaude, elle s’échappe d’un bond. Alors que si on la plonge dans l’eau froide et qu’on porte très progressivement l’eau à ébullition, la bestiole s’engourdit ou s’habitue à la température pour finir ébouillantée. Sans garanties formelles, ce genre de situation de surveillance généralisée qui s’installe dans nos vies porte en soi un potentiel de contrôle de la population dont nous avons déjà un exemple assez regrettable en Chine. Mais les élus, tous bords politiques confondus, rechignent à s’emparer du sujet pour le contester, voire y adhère, de peur de perdre une partie de leur électorat dans un contexte politique général nettement si ce n’est extrêmement droitier. Comme l’indiquait en 2024 Amnesty International, la vidéosurveillance algorithmique ouvre la voie à des technologies encore plus intrusives comme la reconnaissance faciale pouvant insidieusement devenir la norme, problème qu’il serait plus que temps de nous soucier en tant que citoyens.
Un récent article du journal Le Monde à propos de la captation illégale des visages lors de compétitions sportives apporte un éclairage supplémentaire à ce problème. « Depuis au moins un an, les visages de plusieurs centaines de milliers de Français ont été illégalement soumis à un système de reconnaissance faciale, selon les informations et les constatations du Monde. Par son ampleur, il s’agit très vraisemblablement de l’usage le plus important en France – dans l’espace public – de cette technologie particulièrement sensible et décriée. Les personnes concernées ont participé, en tant que coureurs ou simples spectateurs, à des événements publics, principalement des courses à pied. Parmi elles figurent des milliers de mineurs. » (Le Monde du 19/03/2025)
Amnesty International
Human Rights Watch
Le rapport du Sénat
Dernière révision le 25 avril 2025 à 7:17 am GMT+0100 par Gilles Courtinat
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