Jeudi 27 janvier 2011, au cimetière du Père-Lachaise à Paris, a eu lieu l’enterrement du reporter photographe Lucas Dolega.
Il fait un froid de cimetière en hiver. La veille, au Caire, l’air est torride. La même chaleur qu’en Tunisie : celle des émeutes. L a police égyptienne, comme la tunisienne, comme toutes les polices du monde, vise les photographes et les cameramen en priorité. Elles ne négligent pas les autres journalistes, mais les preneurs d’images ont une sorte de priorité.
La veille, mercredi 26 janvier, c’était un photographe de l’agence Associated Press qui a été atteint au visage par une pierre lancée par un policier. Bilan : pommette droite fracturée et appareil photo détruit.
Lucas Dolega n’a pas eu la même chance ce vendredi 14 janvier. Des policiers l’ont assassiné.
Il est mort du tir tendu de grenade lacrymogène de l’un d’entre eux. Il était aussi parfaitement identifié comme membre d’un groupe de photojournalistes, que la justice peut identifier les assassins sur les photos du carrefour mortel.
C’est pour Lucas que nous sommes plusieurs centaines rassemblés devant le crématorium du cimetière du Père Lachaise. Pour Lucas, pour sa famille et pour dire aussi que ça suffit. Le nombre des journalistes tués en mission ou blessés par les « forces de l’ordre » est intolérable.
« Lucas qui avait choisi le photojournalisme pour témoigner de ce qui se passait autour de lui est mort à 32 ans en portant sa mission » a sobrement, mais avec émotion et chaleur, déclaré, en allemand et en français, Madame le pasteur.
Autour de Nathalie Donnadieu, sa compagne, ses parents, sa famille, ses amis, mais aussi une cinquantaine de reporters photographes freelance ou membres des agences internationales de presse et, une foule d’anonymes.
Les photographes, reporters de guerre, se pressent épaule contre épaule, la mine grave et les yeux complices. Cette foule est trentenaire. C’est celle d’une nouvelle génération de photojournalistes. Dans le deuil, ils sont abasourdis mais pragmatiques. Il y a des regards furtifs sur les smartphones. Ce soir, demain, ils repartent en Egypte, en Tunisie, en Haïti où dieu seul sait où le diable va les envoyer témoigner de la monstruosité humaine.
Ils repartent, trop souvent à leurs frais, trop souvent pour des soldes de misère. Ils vont jouer leur vie, pour protéger la nôtre. Il faut que le public comprenne cela. Il faut que les patrons des médias cessent de les traiter comme des mercenaires au chômage.
Lucas était l’un d’eux, un anonyme parmi d’autres, l’une de ces signatures verticales le long des photos. Un nom à lire à la loupe en se faisant un lumbago.
Tout à coup, voici un vrai talent dans la lumière quand lui disparaît dans la chambre noire. Il retrouve Gerda Taro, Robert Capa, Gilles Caron, Michel Laurent, Christian Poveda et tant d’autres membres de notre staff de légende.
Merci Lucas.
Michel Puech
Enterrement de Lucas Dolega publié in La lettre de la photographie le 31 janvier 2011
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Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:16 pm GMT+0100 par
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