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Bayeux: Prix des correspondants de guerre

Ben Jawad, Libya © Yuri Kozyrev / Noor (1er Prix PHOTO)
Ben Jawad, Libya © Yuri Kozyrev / Noor (1er Prix PHOTO)

La 18ème édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre a été largement consacrée aux « printemps arabes » : Tunisie, Egypte, Lybie, Yémen, Syrie… « Les printemps arabes ont fait l’actualité de tous les médias depuis le début de l’année. On a tous été concernés par ce vent de liberté qui a soufflé et a été voulu par les populations opprimées. Passer à côté aurait été une erreur », explique Patrick Gomont, maire de Bayeux, et coorganisateur du festival avec son ami et complice Jean-Léonce Dupont, Président du conseil général du Calvados

Dès jeudi dernier, les murs de Bayeux ont témoigné de ce mouvement avec une exposition de quinze images en grand format sélectionnées par le photographe Laurent Van der Stockt (commissaire de l’exposition et de la projection). Plusieurs soirs de suite, une projection de plusieurs centaines d’images avait lieu sur la façade d’une maison. L’idée était excellente, mais la réalisation technique péchait un peu. Plusieurs photographes remarquaient qu’un défaut de parallélisme entre le projecteur et la façade ne mettait pas autant en valeur leur travail qu’ils l’auraient souhaité. Péché de jeunesse d’une initiative pourtant à renouveler.

Une soirée était également entièrement consacrée aux « printemps arabes » sur le thème « Médias et nouveaux médias : moteur des soulèvements arabes ? ». Un débat riche fut animé par Jean-Marc Four (France Culture) avec notamment Claude Guibal (Radio France et Libération), François-Xavier Trégan (RFI, Le Monde, Radio Suisse Romande, Le Soir), Delphine Minoui (Le Figaro), Patrick Baz (AFP), Rémy Ourdan (Le Monde), Mohamed Krichen (Al-Jazeera) et Sofiane Belhaj (blogueur tunisien).

Il faut souligner que cette 18ème édition était particulièrement copieuse. Côté expositions, Véronique de Viguerie, lauréate l’an passé montrait son « Nigeria, la guerre du pétrole », Titouan Lamazou « Africaines des Grands Lacs ». Stanley Greene a réalisé une « installation » faite de photographies, de vidéos à propos de son livre « Black Passport ».

Autre grand moment, la projection en avant-première européenne du film « Hell and Back again » réalisé par Danfung Dennis qui avait reçu un prix en télévison l’an passé. Ce film long-métrage réalisé entièrement avec un appareil photo amène le spectateur sur le front afghan. Un sujet qui n’a pas laissé indifférent l’ex-otage Hervé Ghesquière, membre cette année du jury.
« Hell and Back again » est à la fois un reportage sur le front, mais également un documentaire sur l’un des soldats de la patrouille suivie par Dennis Danfung. « Ce n’est que quelques mois après mon séjour en Afghanistan que j’ai appris qu’il avait été blessé » a déclaré dans une interview vidéo en direct le jeune journaliste envoyé en Afghanistan par le NYT. « Je suis donc allé le voir, et il m’a permis de filmer son intimité. » Des scènes terribles où l’on voit les traces indélébiles que laisse non seulement dans les chairs mais aussi dans les esprits l’intervention américaine. Même si, personnellement comme de nombreux autres français, j’ai trouvé que cette vision de la guerre en Afghanistan n’était pas flatteuse pour le gouvernement américain, Stanley Greene, lui n’y a vu que « propagande ».

Au-delà du sujet, Patrick Chauvel qui travaille pour Dennis Danfung en filmant avec un appareil photo muni d’un « fish-eye » a expliqué durant le débat que ces nouvelles techniques permettaient de « raconter l’Histoire autrement ». « Je cherche toujours à vous emmener avec moi. » a-t-il dit au public très nombreux qui se presse à toutes les soirées. La salle contient mille personnes et c’est complet tous les soirs.

La dernière soirée était consacrée aux remises des nombreux prix (Voir le palmares sur le site du Prix Bayeux-Calvados). Une soirée quelque peu gâchée par un animateur plus digne d’animer des ventes promotionnelles dans un supermarché qu’une soirée consacrée à récompenser des correspondants de guerre. Nombreux étaient ceux qui dans le public professionnel avaient la nostalgie de l’époque où Jean-Paul Mari du Nouvel Observateur les animait !

Alors que 1700 collégiens et autant de lycéens participent à la sélection d’un lauréat pour le Prix de la Fondation Varenne, cet animateur a cru bon d’humilier le malheureux lycéen désigné par ses camarades pour le représenter sur scène. Lamentable.

Cette année, les débats ont été particulièrement vifs sur plusieurs prix (radio, télévision) mais le prix pour la photo a été attribué deux fois à Yuri Kozyrev de l’agence Noor. 1er prix des professionnels, 1er prix du public ! Après son Visa d’or pour le même travail sur ce qu’on nomme les « printemps arabes », on peut dire que le co-fondateur de Noor est bien récompensé. J’ai personnellement regretté que le jury présidé cette année par Mort Rosemblum n’ait pas récompensé une ou un jeune photographe. Ils sont nombreux à prendre beaucoup de risques pour peu d’argent comme devait le faire remarquer Alain Mingam dans un débat « Alerte ! » qui fut lieu de discussion sur la situation économique… Mais le débat ne devait durer qu’une heure. Il y eut beaucoup de frustration dans la salle.

« Maintenant, les journalistes ne sont plus respectés en tant que tels. Sur tous les conflits de la planète ce sont devenus des cibles, des monnaies d’échanges » constatait Patrick Gomont, maire de Bayeux. J’ajouterai qu’ils sont aussi devenus taillables et corvéables à merci par de trop nombreux médias, qui par ailleurs, parfois, s’indignent dans leurs colonnes du sort fait au photojournalisme.

Le métier de « rapporteur de guerre » comme aime à l’appeler Patrick Chauvel est pris entre deux fronts : celui de la guerre qu’il couvre et celui de leurs relevés de banque. In fine, ils sont toujours « dans le rouge » !

Michel Puech
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ContributeursDernière révision le 12 mars 2024 à 12;09 par Rédaction d’a-l-oeil.info