A peine un an après sa reprise par deux « money maker », l’agence Sipa se retrouve dans la tourmente créée par une série de dépôts de bilan des filiales de la seconde agence de presse allemande DAPD. Pendant que l’un des actionnaires joue les filles de l’air, 127 salariés et des dizaines de millions de photos dansent sur un fil.
Article publié dans l’édition du 12 nov 2012 du Journal de la Photographie
Vendredi 9 novembre 2012, en début d’après midi à Paris, le conseil d’administration de l’agence Sipa Press a enregistré la démission de son Président Ulf Schmidt-Funke et de sa Vice-présidente, Katharina Doerk, tous deux nommés il y a un an par Martin Vorderwülbecke de la Holding Media DAPD.
Ces démissions sont intervenues en l’absence de Martin Vorderwülbecke et de Peter Low, les deux protagonistes de la reprise de la célèbre agence, fondée par Göksin Sipahioglu et devenue la propriété de la société Sud Communication du groupe pharmaceutique Pierre Fabre.
Après la soudaine mise en règlement judiciaire, le 2 octobre dernier, à Berlin, de l’agence DAPD et de huit de ses filiales sur vingt-six, toute la profession craignait de grosses difficultés pour Sipa, sauf les actuels dirigeants opérationnels qui, officiellement, se pensaient à l’abri. La maison « mère » de Sipa press, DAPD News Wire Service AG n’étant formellement pas touchée…
En septembre dernier, lors de Visa pour l’image, tout occupé à annoncer le lancement, sous le nom de Sipa News, d’un fil d’actualité texte et photo concurrent de celui de l’AFP, Olivier Mégean, Président de la Holding SIPA, ne voyait alors aucun nuage à l’horizon.
Il a rapidement déchanté et a été totalement surpris, comme l’ensemble des personnels de l’agence, par l’annonce des mises en redressement judiciaire des filiales du groupe Media Holding DAPD. Il faut rappeler que plusieurs cadres autour d’Olivier Mégean, comme son adjoint Erik Monjalous ou Jean-Luc Testault rédacteur en chef ont quitté l’AFP, pour venir à Sipa relever un défi extrême: concurrencer l’AFP, leur ancien employeur !
Ce lundi 12 novembre à 16 h (Paris), Olivier Mégean devrait s’adresser au personnel de Sipa pour lui expliquer que les actionnaires sont aux abonnés absents, et esquisser un plan pour assurer le financement de l’agence à court terme. Il y a aujourd’hui cent-vingt-sept salariés à payer chaque mois ! On a beaucoup embauché ces derniers temps boulevard Murat : plus de trente personnes !
Olivier Mégean a néanmoins réagi assez rapidement aux nouvelles en provenance d’Allemagne. Il s’est rendu vendredi 26 octobre à Munich pour rencontrer Peter Löw qui reste le seul actionnaire en piste dans le groupe DAPD, Martin Vorderwülbecke ayant démissionné – ou été démissionné – de toutes ses responsabilités le 18 octobre dernier.
L’entrevue à Munich n’aurait pas été très positive. Peter Low n’a rien su dire sur l’avenir de Sipa… Il aurait tenu des propos très durs sur son ex-associé Martin Vorderwülbecke.
La charge de cavalerie de deux « money maker »
Comment en est-on arrivé là ? C’est la question que se posent tous les professionnels de la presse. En dépit de la complexité d’un dossier où le nombre des filiales dépasse l’entendement, essayons d’y voir clair en reprenant la chronologie des évènements.
2004, la liquidation judiciaire de l’agence de presse Deutscher Depeschendienst (DDP) héritière en 1989 de l’Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst (ADN), agence de l’Allemagne de l’Est, offre l’opportunité à Peter Löw et Martin Vorderwülbecke d’entrer sur le marché de la presse.
Jusqu’à ce jour Peter Löw et Martin Vorderwülbecke ne sont connus en Allemagne que par leur société BluO qu’ils ont cofondé en 2008 avec Markus Zöllne. BluO International Restructuring est un fonds d’investissement qui « cherche à investir dans une classe d’actifs qui promet un rendement élevé et un risque modéré ». (sic) Il est basé au Grand Duché du Luxembourg et opère depuis Munich.
Dans ce trio, Martin Vorderwülbecke est le plus intéressé par la presse pour des raisons qui ne semblent rien avoir à faire avec le journalisme ou la rentabilité économique. « Une agence de presse ne peut pas fonctionner sous la pression d’entreprises, ni la nécessité de faire des bénéfices. » nous déclarait-il en août 2011 après la reprise de Sipa Press « Une agence de presse ne gagne pas d’argent. Nous avons fait une agence de presse pour préserver la liberté de la presse. Nous voyons que les grandes industries, les grands groupes possèdent la presse en France, or c’est une situation un peu menaçante. Les grands dirigeants sont proches de l’establishment… Et nous, nous pensons que la presse doit être indépendante.» Un discours vraiment étonnant dans la bouche d’un homme du « capital-risque », ultralibéral catholique.
En décembre 2009, les investisseurs de BluO profitent de la restructuration de l’agence américaine Associated Press ébranlée par la crise de 2008. Ils reprennent l’activité du service en langue allemande d’Associated Press Deutschland qui comprend des bureaux à Francfort, à Berne et en Autriche. Ils fermeront rapidement les bureaux autrichiens.
En septembre 2010, la fusion des agences DDP et d’AP Deutschland donne naissance à l’agence DAPD. De nombreux procès vont alors émailler la vie de cette société. Procès avec l’AFP accusée d’utiliser les fonds de la République française pour financer son travail sur le marché allemand. Procès avec l’agence DPA, première agence allemande et principale concurrente de DAPD. Procès pour obtenir le marché des ambassades et des ministères allemands… Ce serait trop long d’entrer dans les détails, mais que ce soit par voie judiciaire ou par voie de presse, les dirigeants – en particulier Martin Vorderwülbecke – sont très agressifs. Ils le sont aussi dans le domaine commercial, n’hésitant pas à « casser les prix » pour s’implanter.
En juillet 2011, DAPD reprend les activités de Sipa Press. Licenciements de personnel, restructuration et lancement de LA grande idée : faire de Sipa une agence concurrente de l’AFP en intégrant un service texte. Ça tombe bien, le fil français d’Associated Press est en vente depuis des années… La négociation est longue.
En mars 2012, DAPD prend le contrôle d’AP France rebaptisée Sipa News ; et celui de la société DioraNews (Sipa Média) qui fournit du texte principalement à des opérateurs de téléphonie mobile. Avec l’arrivée de plusieurs cadres venus de l’AFP, l’embauche de journalistes, le projet cher à Martin Vorderwülbecke peut voir le jour : « nous souhaitons que Sipa ne soit plus uniquement une agence photos mais une agence de presse complète fournissant textes et photos, comme l’AFP. Et actuellement, nous rencontrons une bonne écoute de la presse régionale française, des radios et télévisions, mais pas encore de la presse nationale… » nous déclarait-il.
A la mi-septembre, Löw et Vorderwülbecke donnent une grande fête à Berlin pour trois cents invités d’honneur, y compris plusieurs ministres allemands, car la politique intéresse beaucoup ces gens là. « Il ya deux ans, personne n’aurait cru possible ce qui existe ici aujourd’hui » déclare Peter Löw aux invités. « Nous avons une agence complète, qui rivalise avec ses concurrents ». Tous le monde est fier et content, mais ça ne va pas durer.
La cavalerie se noie dans la Bérézina
Mardi 2 octobre 2012, le rêve se fracasse sur la réalité !
A Berlin, devant le personnel médusé, les deux propriétaires de DAPD annoncent qu’ils ne peuvent pas se permettre de continuer à mettre un million d’euros par mois dans l’affaire, et qu’une procédure d’insolvabilité a été engagée auprès du tribunal de Berlin-Charlottenburg pour huit filiales de la holding DAPD !
Wolf von Fecht, avocat du cabinet Metzeler de Düsseldorf – dans un role équivalent d’un administrateur judiciaire – a donc en charge de trouver d’ici la fin de ce mois de novembre une solution pour les huit sociétés : Dapd nachrichtenagentur GmbH, Dapd nachrichten GmbH, Dapd Korrespondenz und Recherche GmbH, Dapd International Service GmbH, Dapd Sport GmbH, Dfd Foto Service GmbH, Dapd video GmbH et News and Medien Service Exklusiv GmbH…
Dans une interview exclusive au site Newsroom, Wolf von Fecht déclare le 10 octobre : «La recherche d’un investisseur est un objectif clair et nous avons la liberté nécessaire pour atteindre activement des clients potentiels. » ajoutant qu’il n’est pas impossible que Martin Vorderwülbecke et Peter Low soient amenés « à se retirer complètement » de l’affaire.
Jeudi 18 octobre 2012, adieu Vorderwülbecke !
« A la demande des investisseurs » et pour éviter des « confusions », le holding DAPD change de nom. Il devient HQTA AG et Martin Vorderwülbecke quitte ses fonctions remplacé par le suisse Caspar Schilgen auparavant directeur du développement et bras droit de Peter Löw qui reste le seul actionnaire en poste.
Le lendemain, par voix de petite annonce, HQTA AG cherche un comptable et un conseiller fiscal… avant d’annoncer la fermeture de ses bureaux en suisse romande. Sept journalistes sont licenciés. Un bien mauvais présage pour les activités françaises.
Sipa sur un fil
Olivier Mégean, président de Sipa et Mete Zihnioglu, directeur général de Sipa Press sur le stand de l’agence à Visa pour l’image 2012 (c) Geneviève DelalotIl y a un an et demi, quand Martin Vorderwülbecke et Peter Löw prenaient possession de l’agence du boulevard Murat et du confortable chèque de Pierre Fabre pour l’en débarrasser, les professionnels du marché de la photo de presse étaient déjà très sceptiques.
Le milieu se remettait à peine des émotions suscitées par la faillite du groupe Eyedea (Gamma, Rapho, Keystone) et par le soudain dépôt de bilan de Corbis-Sygma. Deux affaires, qui, soit dit en passant, ne sont pas totalement classées.
Aujourd’hui, à l’heure où Newsweek arrête sa parution papier, où le grand quotidien régional français Sud-Ouest licencie et, où les rumeurs vont bon train sur l’avenir de Paris Match, le « trou d’air », selon les mots d’Erik Monjalous, dans lequel se trouve Sipa est plus qu’inquiétant.
Pourtant Sipa press continue à diffuser 7000 à 8000 photos/jour, tandis que Sipa News produit 300 dépêches/jour pour ses quinze clients (ceux d’AP-France) et les vingt-huit actuellement prospectés en test plus ou moins gratuit. Ce service – l’idée géniale de Martin Vorderwülbecke – représente un investissement donc un besoin de financement évalué par la direction de Sipa à trois millions d’euros pour les prochains dix-huit mois. Qui va les donner ?
Les trois sociétés Sipa Press (soixante salariés), Sipa News (trente-cinq salariés), Sipa Media (quinze salariés) sont coiffées par la holding Sipa présidée par Olivier Mégean. Laquelle société holding Sipa a pour maison « mère » HQTA AG (ex DAPD Media Holding) dans laquelle ne resterait que Peter Low avec le fonds d’investissement BluO. L’ennui c’est que Peter Low « ne sait pas quoi faire » et que dans les bureaux de BluO à Munich « il n’y a plus personne »…
Bien qu’officiellemnt HQTA AG (ex DAPD Media) n’est rien à voir avec BluO, il est clair que cette société luxembourgeoise est la clé de voute financière du duo des « Money maker ». Et c’est peut-être là que se trouve la source de tout les problèmes actuels.
Sur le site de BluO, un communiqué nous apprend que « Le BluO Management est heureux d’annoncer qu’à compter du 1er Novembre 2012, la nouvelle restructuration fonds BluO 2 Holding SA est lancée.. »
Restructuration ou liquidation de BluO ? Poursuite de l’investissement allemand ou désengagement ? Reprise de HQTA AG par une télévision allemande ? Par d’autres médias ? Il semble que de Hambourg à Munich en passant par Berlin et le boulevard Murat tout le monde soit en plein brouillard.
Reste un problème urgent : qui paiera les prochains salaires ?
Dernière révision le 23 janvier 2024 à 7:49 pm GMT+0100 par la rédaction
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