De 1965 à 1971, Henri Huet a couvert la guerre du Vietnam, réalisant d’incroyables images qui ont largement inspiré les cinéastes d’Hollywood après avoir fait les Unes des journaux du monde entier. Jusqu’au 8 mai 2015, à Saint-Malo, une exposition présente plus de 70 clichés de cet exceptionnel photojournaliste.
Samedi 11 avril 2015, Claude Renoult, le maire de la ville de Surcouf et de Jacques Cartier, inaugure l’exposition « Vietnam 1965-1971 » du photographe Henri Huet. Monsieur le Maire est ému. Il s’agit d’un enfant du pays.
Enfin presque, car le photographe est né en 1927 à Dalat au Vietnam d’une mère vietnamienne et d’un père breton natif de Roz-sur-Couesnon. C’est donc de cette côte bretonne qu’est parti à l’aventure en Asie, Gilles Huet, son père. C’est là qu’il envoie son fils à l’école et qu’il y passera sa jeunesse et la guerre.
Qui plus est, ce samedi, dans l’assemblée réunie dans cette tour Bidouane, poste avancé des remparts de la ville, il y aussi une partie des familles d’Henri Huet. A commencer par la commissaire de l’exposition, Hélène Gédouin, éditrice de profession, auteur de deux livres sur le photographe.
« Il se trouve qu’Henri et moi, nous avons des liens familiaux » raconte Hélène Gédouin « Un été où je me reposais à Saint-Malo, on m’a montré des photos qu’Henri Huet avait faites pendant la guerre du Vietnam, et là, j’ai réalisé qu’au-delà de la légende familiale, Henri était un très grand photographe. C’est à partir de là que je me suis plongée dans son fonds photographique. »
« En 2006, au moment de l’exposition à Visa pour l’image avec Horst Faas, nous avons fait un livre Henri Huet, j’étais photographe de guerre au Vietnam . C’était une expérience extraordinaire. Nous avons rencontré énormément de collègues de Henri Huet, des photographes mais aussi des journalistes. »
« Ce livre et cette exposition ont été réalisés grâce au travail de Chuck Zoeller d’Associated Press qui s’est passionné pour les archives de la guerre du Vietnam, et en particulier pour celles de Henri Huet. Il a exhumé des archives d’AP à New York, des photographies oubliées, il a scanné et légendé beaucoup d’images. » Associated Press, l’agence pour laquelle a travaillé Henri Huet est représentée au vernissage à Saint-Malo par son directeur de la photo à Paris, Laurent Rebours, un breton !
« C’est toute ma jeunesse qui remonte à la surface » s’exclame le maire qui a bien connu le grand-père d’Hélène Gédouin avant d’ajouter « Nous avons tous en tête des photographies d’Henri Huet ».
Et, il a raison. Bien sûr tout le monde n’a pas vu à Perpignan, en 2006, l’exposition au Festival international de photojournalisme Visa pour l’image, ni celle en 2011 à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) à Paris. Mais tous ceux qui ont plus de 60 ans, ont vu des photographies de Henri Huet dans la presse de l’époque. Henri Huet a travaillé essentiellement pour Associated Press qui diffuse largement ses photographies dans les journaux du monde entier. Et, beaucoup de plus jeunes les ont découvertes dans des livres d’histoire.
La guerre du Vietnam, fut, comme le rappelait récemment sur Arte la femme de l’activiste Rudi Dutschke (1940-1979) « la grande affaire des années soixante ». C’est dans le creuset des manifestations contre cette guerre que la génération des baby-boomers, révoltée par la vision des photographies publiées, a bousculé l’ordre établi des sociétés occidentales.
Retour au Vietnam
C’est en 1933 que Gilles Huet, le père d’Henri, envoie ses quatre enfants en Bretagne chez des cousins qui vont les élever. Une période difficile qui commence pour ces métis plongés brutalement dans une société bretonne qui a peu à voir avec leur vie à Dà Lat. De plus, le pays est en guerre, c’est bientôt l’occupation nazie avec toutes les conséquences que l’on connaît. Henri Huet est un élève indiscipliné mais un grand sportif. La guerre finie, il suit des cours aux Beaux Arts de Rennes mais il a la nostalgie du Vietnam.
3 janvier 1949, il s’enrôle dans l’armée, seul moyen pour lui, désargenté, de retrouver son père. Il demande à être photographe et pense rester deux ou trois ans en Indochine, comme l’on dit alors. « Dans les livres de classe, on a l’habitude de représenter l’Indochine par un haricot allongé, par un dragon dont l’épine dorsale serait la cordillère annamitique ou encore par un paysan qui porte un fléau sur son épaule, un balancier avec deux charges égales de chaque côté. Et c’est un beau pays, certes, mais quand la guerre s’y met, c’est un sale pays qui en veut à votre peau. » écrit Albert Maloire dans une biographie de Paul Corcuff (1), l’un de ces photographes et cinéastes de l’armée française qui a couvert la guerre d’Indochine au côté des Pierre Schoendoerffer, Jean Pénaud, Daniel Camus, Georges Kowal (2)…
Henri Huet est affecté en mars 1950 à la base aérienne de Cat Lai à quelques kilomètres de Saigon. Il écrit « J’étais seulement là pour prendre des photos. Porter une arme n’était pas mon affaire. ». Il quitte d’ailleurs rapidement l’armée, en 1952, et s’installe à Saigon où il trouve un emploi de photographe pour faire mariages et baptêmes !
Un temps il s’occupera de la plantation de son père qui a été expulsé du pays, sera même photographe à la Présidence et couvrira à ce titre la visite de Richard Nixon. On le dit alors le meilleur photographe de la ville.
Six pages dans Paris Match
Le 1er novembre 1963, un putsch fait tomber le gouvernement de Diem. Henri Huet est dans la rue, fait des photos. Elles seront publiées sur six pages dans f c’est le début de sa carrière de photographe de presse. Quelques mois plus tard, il est embauché par Neil Sheehan qui dirige le bureau de l’agence United Press International (UPI). C’est là qu’il commence à enchaîner les missions sur le front. Les archives photo d’UPI seront rachetées par Reuters, puis par Corbis, et restent aujourd’hui encore à explorer.
Quand les troupes américaines débarquent en masse en février 1965, il rencontre Eddie Adams qui travaille pour Associated Press, et deviendra un ami. « Chaque fois que je me trouvais sur le terrain, dans différentes batailles et opérations au Vietnam, pensant avoir l’exclusivité, il y avait toujours un autre photographe et c’était Henri Huet » racontera Eddie Adams.
Ce dernier ne tardera pas à trouver préférable de faire embaucher ce concurrent vraiment très efficace. Associated Press, l’une des plus vieilles agences de presse mondiales a, à Saigon, la réputation d’être la mieux informée. Les reportages photographiques sont sous la coupe d’Horst Faas (1933-2012), l’un des plus brillants photojournalistes de cette époque. Durant les années de cette guerre, AP totalisera six Prix Pulitzer, la plus haute distinction en matière de journalisme.
Le bureau d’AP, qui comptera jusqu’à une trentaine de personnes, est un nid de talentueux reporters. Outre Eddie Adams, Peter Arnett (Pulitzer 1966) et Horst Faas (Pulitzer 1965), il y a, parmi d’autres, John Wheeler et Nick Ut, l’auteur de la célèbre photo de la petite fille nue et brûlée fuyant un bombardement au napalm. Parmi les photographes qui couvrent cette guerre, il y a alors une femme, la première, Dickey Chapelle (1919-1965). Henri Huet photographiera son corps alors qu’elle vient d’être tuée, un éclat lui ayant sectionné la carotide… Une des photos les plus difficiles à faire confiera-t-il plus tard.
Life et la Robert Capa Gold Medal
«Henri était partout » racontera Bob Poos, son ami et journaliste d’AP. Fin janvier 1966, l’opération Masher, la bataille d’An Thi, va donner l’occasion à Henri Huet de faire l’une de ses plus célèbres photos qui sera en Une du prestigieux magazine Life. Mais à quel prix !
La dépêche d’Associated Press précise « Pendant 24 heures, les deux hommes (Henri Huet et Bob Poos) ont vécu sous un déluge de feu ». Tant est si bien, que saignant des oreilles et du nez à cause des déflagrations,
Henri Huet dira à son compagnon : « Bob, je ne crois pas que nous allons nous en sortir. » Outre la Une de Life, Henri Huet recevra la Robert Capa Gold Medal en avril 1967. Il est le premier français honoré par cette prestigieuse distinction convoitée par tous les photojournalistes.
Des blessures, puis le crash
Mais le 22 septembre 1967, ce qui devait arriver depuis quinze ans qu’il couvrait le conflit, arriva. Projeté à terre par une explosion, Henri Huet est blessé aux jambes par des éclats. « Dans mon malheur, j’ai un sacré pot » écrit-il à sa famille en annonçant sa convalescence en France.
Les années passent, la guerre dure et, il est de plus en plus évident que les américains ne la gagneront pas. Les Vietcongs sont ravitaillés par la fameuse piste Ho Chi Minh qui, côté Laos, longe la frontière. En 1971, les américains décident d’envahir le Laos en envoyant les troupes sud-vietnamiennes. Le général Hoang Xuan Lam, qui commande les forces armées, ne veut pas de journalistes sur cette opération, alors que la presse internationale est présente. Finalement il se ravise et décide que quatre journalistes pourront utiliser un hélicoptère de presse. Montent à bord Larry Burrows, 44 ans, de Life, Henri Huet, 43 ans, d’AP, Kent Potter, 23 ans, d’UPI et Keisaburo Shimamoto, 34 ans, de Newsweek….
« Il semblait incompréhensible qu’Henri Huet ait disparu. Il a fallu des heures à nos esprits pour enregistrer cette froide vérité » racontera Richard Pyle qui a succédé à Horst Faas comme chef du bureau d’Associated Press à Saigon.
Michel Puech
Pratique
Exposition Henri Huet à la Tour Bidouane
Passage de la Poudrière à Saint-Malo
Ouvert tous les jours de 10 à 12 h et de 14h à 18h
Entrée libre
Bibliographie
- Henri Huet « J’étais photographe de guerre au Vietnam » de Hélène Gédouin et Horst Faas – Ed. Chêne Hachette livre 2006
- Henri Huet – Photo Poche préfacé par Hélène Gédouin – Actes Sud
Notes
- In Flashes dans la bataille d’Albert Maloire – Editions Louvois 1957
- In Filmer et photographier la guerre de Marc Charuel – Spectacle du monde n°609 mars 2014
Dernière révision le 21 août 2024 à 12:00 pm GMT+0100 par
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