A 82 ans, le photojournaliste Christian Simonpiétri, l’un des associés fondateurs de l’agence de presse Sygma est mort dans la nuit du vendredi au samedi 25 février 2023 à Calvi, en Corse, l’ile de ses racines ou il s’était retiré.
« Quand la vie ne tient qu’à un fil, c’est fou le prix du fil ! » Daniel Pennac
C’était l’an passé, en juin 2022, au moment de la mort de Jimmy Fox, Christian Simonpietri me confia « Le plaisir que j’avais avec Jimmy Fox, c’est qu’il aimait bien mon travail. » Christian me cita alors Daniel Pennac en guise épitaphe, « c’est ma citation favorite. »
Le prix du fil… Christian Simonpietrile connaissait, lui qui luttait stoïquement contre le crabe depuis 2004. Il avait vu tant et tant de jeune gens mourir au Vietnam et ailleurs. « Je ne peux plus voir mes photos du Vietnam » disait-il. Pour Flashback, la rétrospective que lui avait consacré Jean-François Leroy à Visa pour l’image en 1999 il avait dû regarder ses images.
« Encore une fois. La mort en face ? »
Quand je l’interrogeais sur tel ou tel fait marquant de sa vie, ou de celles des agences, il avait peine à se souvenir. Ne disait jamais de mal de personne et répondait toujours sur la vie du métier, plutôt que sur la sienne. Il était réservé Christian. Un gentleman. Un délicat. Un jour au téléphone il me dit : « quand je te parle, après, il y a des histoires tristes qui me reviennent… » Gentillesse, élégance… Que tous s’accordent à lui reconnaitre. Il était aimé, et c’était un séducteur, style vieux rocker des années 60. D’ailleurs, il aimait la musique, les Rolling Stone, les Doors…
Sa vie professionnelle débute au Vietnam. Il est l’un des brillants et légendaires reporters de cette guerre américaine contre le communisme.
Le Vietnam, sa grande affaire…
Disons plutôt, pour lui faire plaisir, la Cochinchine française, Saïgon ou il est né le 24 juin 1940 ; et, ou François Simonpiétri, son père, avait fondé avec trois compatriotes corse la Compagnie Saïgonaise de Transport. Mais les affaires du corse de père ne sont pas nécessairement passionnantes pour le fils. En 1950, à dix ans, à la suite du divorce de ses parents, il quitte Saïgon pour Nice chez sa tante et étudie au Lycée Stanislas. A la mort de son père, retour à Saïgon où il reprend l’affaire. Il s’ennuie dans ce métier.
En 1965, les américains arrivent au Vietnam et, avec eux une « bande de cinq ou six bargeots » dont Larry Burrows. Mais il y a aussi Tim Page, Henri Huet, Catherine Leroy, Sean Flynn, Michael Herr, Eddie Adams… Il sympathise avec « une grand bonhomme, avec des lunettes », Larry Burrows de LIFE qui lui demande de l’aider par sa connaissance du pays. Au bout de quelques jours comme « fixeur », Larry lui donne un de ses Nikon et lui dit : « Vas y ! ».
A cette époque, « On pouvait aller partout avec les américains » dit Christian Simonpietri. « On partait le matin, on n’était pas sûr de revenir le soir ».
Grâce à un confrère, Jean-Pierre Moscardo [1] qui le recommande à Cécilia Lebel et à « Madame Holmes » il diffuse ses reportages par l’agence Holmes-Lebel, une petite agence parisienne où se côtoient Anna Obolensky, Pierre Blouzard, Claudine Maugendre etc.
« J’ai couvert la guerre pour eux depuis Danang vers 1965. Mais je n’ai pas récupéré toutes mes archives notamment, le voyage de De Gaulle au Cambodge et, des photos de Michelle Ray future Madame Costa-Gavras. Je l’avais emmenée en 1967 sur tous les terrains au Vietnam ; et puis, j’avais aussi des photos de l’Inde… [2]» me dit il, alors que j’enquêtais sur l’agence Holmes Lebel. Mais les photos qui lui manquaient, c’était surtout, celle qu’il avait faites de Michèle Rey. Il l’avait connu au lycée Stanislas à Nice. Ils étaient dans la même classe. A Saïgon, il l’avait retrouvé, par hasard, dans les bureaux de l’AFP.
« Chaque fois qu’il se sentait en forme, il repartait à Khe Sanh. On est au Vietnam en 1968, les Américains y occupent un camp retranché dans une cuvette. On se croirait à Dien Bien Phu. Impossible d’y rentrer ou d’en sortir sauf par la voie des airs. Mais un appareil sur deux est touché par le feu de l’ennemi à l’atterrissage ou au décollage. Pour Christian Simonpietri c’est « un spectacle photographique ». Il aura ce mot incroyable : « C’est fou de le dire, mais c’était une vraie partie de plaisir pour moi ! ». écrit Hubert Henrotte in Génération Sygma[3] de Michel Setboun. La guerre ne plait pas à Christian Simonpietri, mais il aime beaucoup l’aventure… C’est Henri Bureau qui l’oblige à venir parler avec Hubert Henrotte en 1968
En 1971, il est Pakistan ou il assiste à une scène macabre : des soldats indiens vont tuer sous ses yeux et ceux de Michel Laurent d’Associated Press cinq civils les mains attachées, qualifiés de « collaborateurs ». Une de ses photos qu’il ne voulait plus voir. Dans l’interview qu’il a donné à Luc Mondoloni pour « Avec ou sans filtre », on le voit détourné la tête face à cette image[4].
De Gamma à Sygma
Trois ans après la disparition de Gille Caron, coup d’état à Gamma. Le dimanche 13 mai 1973 les photographes se retrouvent à la « Villa Les Jumelles », 2 allée des Glands à Itteville près d’Arpajon dans l’Essonne pour un déjeuner chez Christian Simonpietri. Gamma en six ans, est devenu l’agence photo dans l’œil de tous les directeurs de la photographie des grands magazines du monde entier.
« On s’est réunis sans Hubert. » s’accordent Simonpietri et Henrotte. « Nous avons décidé que nous allions nous mettre sur le dos d’Henrotte car il avait bien géré nos affaires jusque-là. On a fait un semblant de vote et en fin de journée j’ai appelé Jean-Pierre Laffont reparti à New York pour le mettre au courant. »
L’agence. Sygma débute rue Réaumur dans les locaux de l’Agence de Presse Images et son (APIS) rachetés par Hubert Henrotte. Le 14 décembre 1973 Hubert Henrotte devient gérant de la société APIS qui change de nom. Au capital : Hubert Henrotte, Monique Kouznetzoff, Eliane Laffont et des photographes aux parts égales (120) dont Christian Simonpietri, Alain Dejean, Alain Nogues, Jean-Pierre Laffont, James Andanson.
En 1973, il couvre avec Henri Bureau, la guerre de Yom Kippour en Israel. Il y fera des photos inoubliables de prisonniers syriens. Et, en 1979, il est avec Hervé Chabalier au Nicaragua. « Nous couvrons la fin de Somoza et l’arrivée des sandinistes. Au début, nous sommes trois cents journalistes. Les États-Unis ordonnent l’évacuation. Comme deux-trois autres, nous restons dans le pays et partons pour León, une ville où les sandinistes commencent à entrer. Avec Simonpiétri, nous passons six heures à traverser d’un côté et de l’autre d’une rue, pour ne pas être dans le viseur des avions de Samoza. Tu rigoles la première heure ; beaucoup moins la sixième ! [5]»
« La politique, une hypocrisie »
« A Paris, il s’ennuie. Quand un jour Floris de Bonneville, le rédacteur-en-chef de Gamma lui demande d’aller faire la sortie du Conseil des ministres à l’Elysée, il répond : « C’est où l’Elysée ? [6] »
« Toutes idéologies confondues, je n’aimais pas le milieu politique. Trop hypocrite pour moi. » a -t-il confié à son confrère Richard Melloul[7] à propos de François Mitterrand « De ce fait, je ne prenais aucun plaisir particulier à le photographier, à l’écouter de mes yeux selon l’idée que je m’en fais…/… Meetings ou conférences de presse, quand l’agence me demandait un sujet de ce type, je faisais ce travail par obligation. Il me paraissait normal d’accepter cette contrainte alors que j’avais eu la chance de partir juste avant pour un grand reportage et que je préparais le suivant. Mais si vous me demandez ce qui m’a le plus intéressé entre l’évolution de la situation dans le Sinaï ou au Pakistan et les discours des politiciens… Non vraiment, la politique n’était pas ma route. »
Le People d’Amsterdam à Los Angeles
La politique l’ennui, Monique Kouznetzoff lui propose de faire un portrait de Sylvia Kristel, actrice qui à connu la gloire dans le film Emmanuelle de Just Jaeckin. Monique se souvient bien de cette première prise de vue avec un éclairage Balcar. Sylvia Kristel s’en souvient également qui a écrit : « Un photographe, toujours le même, le seul qui connaisse votre meilleur profil, le meilleur ciel, le bon mouvement. Christian Simonpietri arrêta la photo de guerre pour moi. Etait-ce plus reposant ? [8]»
« Avec les gens célèbres il faut établir une confiance » disait Christian Simonpietri. Il appliquera cette maxime à Los Angeles ou Monique Kouznetzoff l’a envoyé pour faire des « rendez-vous ». Il sympathisera avec de nombreuses star ou fils de star comme Francis Ford Coppola ou David Bowie. Prises de vue en studio, puis caméra pour Sygma TV et Canal +. Mais son palmarès est éloquant et ses photos People sont toujours en diffusion chez Getty Images.
La mort de Christian Simonpietri a attristé beaucoup de monde, non seulement dans le monde du journalisme et de la photographie, mais également du cinéma et de la musique. Mais, bien sur, l’équipe historique de Gamma et de Sygma est la plus touchée, en particulier Eliane Laffont, Monique Kouznetzoff et Misha Henrotte, le fils de Monique et Hubert pour qui il était un formidable tonton. Il lui a offert le Leica qu’il utilisait au Vetnam, c’est dire leur relation.
C’est en Corse qu’il s’est installé, à Calvi, où il passait des vacances avec son père ; et chasser les cauchemars qui lui restaient du Pakistan ou du Vietnam. Sa présentation à Visa pour l’image se termine sur ses mots : « Témoigner. Dénoncer. Faire des photos, surtout, pour s’insurger contre l’indifférence de chacun, de tous. Faire des photos avec la tête et le cœur qui s’émiettent en mille morceaux. Faire des photos pour ne plus rêver. Photos pour cauchemarder… » Christian Simonpietri ne fait plus de cauchemar.
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Sources vidéo
Avec ou sans filtre – Magazine de découvertes présenté par Luc Mondoloni.
Notes
- [1] Jean-Pierre Moscardo (Alger 28 février 1938 – Paris 20 octobre 2010) est un journaliste caméraman français devenu réalisateur de cinéma et de télévision.
- [2] Christian Simonpietri est un photographe français, entretien avec l’auteur le 9 janvier 2020
- [3] Génération Sygma de Michel Setboun – Ed. La Martinière
- [4] Avec ou sans filtre Magazine de découvertes présenté par Luc Mondoloni.
- [5] Hervé Chabalier in Génération Sygma de Michel Setboun – Ed. La Martinière
- [6] Hubert Henrotte in Génération Sygma de Michel Setboun – Ed La Martinière
- [7] Christian Simonpietri in Mitterrand par les grands photographes – Edition Fayard 2015
- [8] Sylvia Kristel et Jean Arcelin in Nue – Le Cherche Midi
Dernière révision le 9 octobre 2024 à 10:25 am GMT+0100 par la rédaction
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