L’irruption massive de l’intelligence artificielle générative d’images a entrainé un grand stress chez de nombreux photographes, et c’est peu de le dire.
Peur de voir ce métier déjà bien chahuté disparaitre, désarroi devant la vitesse avec laquelle la technologie progresse, déni de réalité, hésitation à s’engager sur une voie où de nombreux problèmes subsistent.
Toutes les images : © Jean-François Chavanne
Peu nombreux sont celles et ceux qui ont franchi le pas et se sont confrontés à la bête pour voir ce qu’elle avait dans les tripes.
Sauter le pas est une décision qui demande réflexion d’autant que certains de ces aventuriers ont fait l’objet de sérieuses attaques critiquant leur démarche que d’occasionnelles maladresses n’ont pu que renforcer. Pourtant l’IA a déjà sérieusement bousculé les frontières établies de la photographie faisant naitre autant de possibilités que de défis. Dans un plateau de la balance une source d’inspiration stimulante pour la créativité, un gain de temps et d’efficacité dans la production et la gestion des images. Dans l’autre un vrai problème d’éthique et d’originalité, la nécessité d’un nouvel apprentissage pour maîtriser et exploiter la technologie, le risque de trop déléguer sa création à la machine. Un chemin sur le fil du rasoir à emprunter prudemment et où il est important de préférer le pourquoi plutôt que le comment. S’emparer d’une nouvelle technologie pour en tirer le meilleur, c’est ce qu’a connu Jean-François Chavanne initialement formé à l’école de l’argentique puis qui a basculé au numérique et qui aujourd’hui aborde l’IA avec un esprit curieux et exigeant.
Entretien avec
Jean-François Chavanne
Partir d’une formation à des techniques argentiques très classiques pour passer aujourd’hui à la production d’images grâce à l’intelligence artificielle c’est le grand écart ?
Je me suis toujours intéressé aux évolutions du métier comme quand le numérique est arrivé. Pour l’IA, je me suis penché sur le problème et je me suis dit ça devait pouvoir me servir pour faire des images. Ce qui a déclenché le passage à l’acte c’est quand un client m’a demandé de travailler sur des voitures miniatures à mettre en scène. Je ne me voyais pas faire les décors, maisons, routes, arbres, etc. Beaucoup d’énergie, de temps et d’argent à y consacrer.J’ai réfléchi à la possibilité d’utiliser l’IA et je me suis lancé. J’ai réalisé des images qui m’ont servi de fond en cyclo et ça a donné un rendu assez dingue. Je me suis dit que ce truc là, c’était quand même super intéressant et pourquoi ne pas l’utiliser si on pouvait arriver comme ça à faire l’image de ses rêves? C’est facile, c’est rapide, c’est gratifiant, mais ça demande quand même aussi beaucoup de rigueur pour pour vraiment obtenir ce qu’on veut.
Je pense que pour utiliser l’IA, c’est utile d’être déjà photographe parce que si on n’a pas une culture visuelle, on peut vite tomber dans le n’importe quoi. Quelqu’un qui n’est pas photographe va faire un truc et se dire c’est super alors que ce n’est pas beau du tout, ni la lumière, la matière ou le grain et il y a des défauts partout.
Ce que j’essaye de faire avec l’IA, c’est de faire des choses où on ne sait plus que ça en est. Je veux que ce soit réalisable en photo, en vrai, en pellicule et si je vois qu’il y a quelque chose qui est bizarre, une incohérence, je laisse tomber et je passe à autre chose.
Vous réalisez comme ça des natures mortes et des portraits. Ce sont plutôt des gens corpulents, tatoués, peu ordinaires. Pourquoi ce choix en particulier ?
J’ai toujours rêvé de pouvoir photographier des gens comme ça mais je me suis demandé si j’y arriverais un jour parce que ça demande beaucoup d’énergie. Il faut chercher beaucoup dans la rue, le jour, la nuit, trouver la bonne personne, lui demander si elle est d’accord et éventuellement la payer, c’est vraiment long et compliqué. Une série comme celle là, ça peut prendre une vie alors qu’avec l’IA cela va me prendre deux ans pour produire disons 30 ou 40 photos présentables.
L’irruption de l’IA dans le domaine de la photographie, secoue pas mal le milieu avec beaucoup de craintes de la part des professionnels. Pensez-vous que son utilisation réfléchie est une opportunité pour les photographes plutôt qu’un vrai danger ?
C’est une opportunité extraordinaire pour les gens qui n’y connaissent rien en photo. C’est comme pour la musique, même si on a jamais touché un instrument, on peut réaliser avec un appareil électronique des sons et des choses formidables. Avec un ordinateur, on peut faire des choses extraordinaires parce que l’outil, on s’en fout un peu à vrai dire, ce qui compte, c’est quand même le résultat. On peut faire des photos avec son iPhone, avec des boîtes de conserve, avec n’importe quoi, peu importe l’outil, l’essentiel, c’est le produit final. L’IA c’est un outil qui génère des choses et il y aura bien des gens qui n’ont jamais touché un appareil photo de leur vie, qui ne savent pas ce que c’est une pellicule, mais qui vont comprendre le truc et produire des choses incroyables. Le risque est là.
Cela n’est pas plut une exception? L’expérience, la culture, le travail photographiques, ça compte quand même.
J’ai un savoir faire, mais l’IA c’est quand même curieux. C’est un peu comme aller à la pêche. Il y a des jours où j’essaye de faire une image, je prends le temps mais ça ne marche pas. Ça peut durer pendant une semaine, que des trucs horribles. Pourquoi ? Je sais pas parce que moi j’y vais beaucoup au feeling. Comme je ne parle pas bien l’anglais, c’est peut-être à cause de cela et si j’avais une autre formulation, j’obtiendrais sans doute quelque chose de différent.
Comment procédez vous pour arriver à un tel résultat ?
Il n’y a pas que de l’IA dans mes images, disons que ça représente environ 70% et je retravaille le résultat obtenu d’abord avec Photoshop. Si il y a des petits détails qui me plaisent pas, qui ne sont pas logiques ou mal positionnés, je les change. Une fois cette étape franchie, j’utilise un autre logiciel pour rendre le grain d’une pellicule que je choisis, pour améliorer également la texture et la colorimétrie. Il y a donc trois niveaux de réalisation de ces images.
En fait, à part la captation, ce n’est pas vraiment différent de ce qu’on pouvait faire avant l’IA, surtout en publicité et en mode ?
C’est le même travail. Quand je suis sur mon ordinateur pour faire et refaire mes images, j’ai l’impression de travailler au Polaroïd ou en labo parce que l’image n’apparaît pas tout de suite. Quand on envoie la requête, il y a un temps, on pourrait dire, de développement, on attend que ça monte. Même si ça ne dure pas longtemps, et ça se dévoile comme avant dans la cuvette du révélateur. Je retrouve la même sensation et, en définitive, on peut dire que je continue à travailler de la même façon qu’auparavant.
Est ce que cette technologie ne va pas impacter sérieusement la profession ?
Oui et non. Si c’est pour faire l’image d’un hamburger avec une tranche de pain et de la salade, de la tomate, ça vous la sort en deux secondes. L’IA c’est bien gentil, mais ça invente aussi des choses qui n’existent pas. Si demain on me demande de photographier des objets qui existent pour de vrai, il faut bien que je les prenne en photo. Est ce qu’une fois que ma photo est faite, l’IA peut m’apporter des choses ? Peut être, certainement, mais quoi ? Je vois pas. On peut considérer ça comme la limitation de l’IA dans les cas où on est en présence d’un objet nouveau. Il y aura toujours des nouvelles voitures, de nouveaux pots de yaourt qui vont sortir, donc il y aura des photographes qui vont photographier des voitures ou des pots de yaourt. L’IA c’est un outil, après on sait s’en servir ou on sait pas. Et puis numérique ou pas, si le photographe n’est pas bon et qu’on lui donne une belle chose à photographier, que la lumière n’est pas jolie, que ça ne donne pas envie, il n’aura jamais de boulot le mec, et de toute façon il ne pourra pas faire le boulot avec l’IA si le produit n’existe pas.
Vous allez continuer d’utiliser l’IA ?
Oui, bien sûr, peut-être pas pour mon travail alimentaire mais surement pour mes recherches personnelles, tout en restant vigilant sur l’évolution de la technique. On vit une époque quand même assez formidable.
L’Instagram de Jean-François Chavanne
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