Habituellement, il faut un certain nombre d’années avant qu’un photographe arrive à parfaitement maitriser la composition de ses images. Atteindre cette maturité qui fait que l’on distinguera votre travail de celui des autres, peut se révéler être un cheminement assez long. Mais il y a, de temps en temps, des galopins qui n’hésitent pas à griller les étapes.
Alain Keler, excellent ami à nous et grand photographe, nous avait très chaudement recommandé d’aller voir de plus près ce que faisait le jeune Bastien Ohier dont il déclarait apprécier grandement le travail. Bel exemple de confraternité soit dit en passant. On est donc allé voir et il nous a fallu reconnaitre que le conseil de l’ami Alain était tout à fait pertinent car les images de l’impétrant sont en effet d’une qualité que l’on attend rarement d’un individu âgé de seulement 21 ans.
Pastichant Corneille, nous nous sommes exclamé: « Il est jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.» Bastien, quitte à se distinguer encore plus, n’a pas choisi le chemin le plus aisé en optant pour la photo d’actualité à une époque où le métier est économiquement en péril et les perspective d’avenir plus qu’incertaines. Les personnages politiques et les manifestations sont ses terrains de jeux préférés, il affectionne le 35mm pour être au plus près de l’action et pratique le noir et blanc tout simplement parce qu’il le préfère à la couleur qu’il considère comme trop distrayante de l’essentiel. Il ne s’autorise cette dernière qu’en cas de travail destiné à la presse pour laquelle il ne saurait en être autrement. Nous l’avons rencontré.
D’où vient ton intérêt pour la photo ?
Mon père fait de la photo en amateur depuis longtemps. Il s’était racheté tout plein d’appareils photos parce qu’il s’était fait voler. J’aimais bien en faire un peu avec mon téléphone mais rien de bien sérieux. Et puis, j’ai commencé à lui emprunter du matériel de temps en temps. Il avait de très longues focales et quand on connait pas la photo, on se dit que c’est marrant, ça fait beaucoup de flou derrière et c’est super net, c’était trop bien.
Alors, quand j’avais treize ou quatorze ans, il m’a acheté mon premier appareil photo, un Olympus OM-D E-M5 Mark II avec un zoom 14/50. Un tout petit boitier que j’utilise encore surtout pour faire de la photo de rue à cause de sa taille discrète. Donc voilà, j’ai accroché et fait de plus en plus souvent des images. Après le bac, j’ai voulu faire une formation photo mais je me suis dit que je ne gagnerais pas forcément très bien ma vie comme ça. Donc j’ai fait un BTS conception et industrialisation en Microtechniques pour avoir un emploi stable si jamais la photo ça ne marchait pas. Ensuite j’ai commencé une formation dans une école de photo où je suis encore en deuxième année.
Tu travailles très majoritairement en noir et blanc. Pourquoi cette préférence ?
Le noir et blanc c’est pour mon travail personnel, quand je bosse pour la presse c’est en couleur parce que le noir et blanc ça ne se vend pas du tout. Mais si je pouvais, je ne ferais que du noir et blanc parce que j’ai l’impression qu’avec la couleur notre regard est attiré par elle au détriment de ce qui se passe dans l’image, alors qu’en noir et blanc il n’y a pas cette distraction, on va à l’essentiel.
Tu photographies beaucoup l’actualité. Tu voudrais faire une carrière de photojournaliste?
Peut être pas forcément de l’actu chaude toute ma vie, mais faire des projets plus longs, plus documentaires. Eventuellement, faire un petit peu des deux, du long et de l’actu chaude. Jongler entre les deux.
Envisager une carrière de photo-reporter, c’est quand même un peu osé. Le milieu est encombré et économiquement, c’est compliqué. Comment tu penses pouvoir t’en sortir?
Si j’ai beaucoup de chance, j’aurai peut être assez de commandes pour en vivre chaque mois. Et sinon, faire autre chose qui n’a rien à voir avec la photo, à mi temps voire à temps plein et réserver la photo pour mon temps libre. Mais si vraiment c’est possible et que je peux vivre uniquement de la photo, bien sûr que je le ferai.
Tu parles de vendre à la presse mais la presse achète peu et demain ça risque d’être encore pire. Y a t’il des alternatives ?
Peut-être pas forcément en faisant des photos, mais travailler dans le monde de l’image quand même, comme iconographe par exemple ou bien écrire aussi. De toute façon rester dans le milieu avec un métier qui me rapproche de la photo, même si c’est pour ne plus en faire.
Des photographes que tu aimes bien ?
Je regarde beaucoup de photographies, surtout des livres. J’essaie de comprendre comment sont faites les images et qu’est-ce qui marche. Je possède pas mal de bouquins et j’en achète régulièrement, un de Salgado dernièrement. Il y a Alain Keler qui m’inspire vraiment énormément et le fait qu’il aime mon travail, ça me touche beaucoup. Aussi Josef Koudelka, je trouve « Gitans » très beau parce ses images sont extrêmement bien faites, bien composées, « Neige noire » d’Oliver Laban-Mattei, « Lost and found » de Bruce Gilden, dont j’aime beaucoup le travail. Après Henri Cartier-Bresson, un peu comme tout le monde, non ? Et puis « 50 ans dans l’oeil de Libé » que j’ai adoré. Je vais également voir des expos. J’ai découvert comme cela Chris Killip à la galerie Magnum et « la Grande Commande » à la BNF où s’était très intéressant de voir autant de photographes différents, autant de points de vue et en même temps, avec deux photos par auteur c’était un peu frustrant même si je comprend qu’avec 200 photographes, il aurait été difficile d’en présenter plus.
Tu as surtout travaillé en France et Paris. Est ce que tu voudrais sortir des frontières pour faire des images à l’étranger et quel type de sujet tu aimerais faire?
Cet été, j’avais énormément envie d’aller photographier Trump et ça juste au moment où il s’est fait tirer dessus. Je me suis dit que j’aurais dû y être. La politique, je trouve ça super à prendre en photo en France alors, dans d’autres pays, ça m’intéresse énormément, que ce soit les États-Unis ou ailleurs.
Et les conflits genre Gaza ou Ukraine ?
C’est autre chose parce que il y a beaucoup plus de risques, mais pourquoi pas ?
Le site du photographe Bastien Ohier
Bastien Ohier chez Hans Lucas
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