Affaire Corbis-Sygma

Corbis-Sygma en dépôt de bilan

Palais de Justice

«Je suis dans l’impossibilité de payer mes créanciers», a déclaré à l’AFP, Stefan Biberfeld, gérant de l’agence de presse Corbis-Sygma. Sygma a été fondée en 1973 à la suite d’un conflit entre les associés de l’agence Gamma.

En 1 999, Sygma est racheté par le groupe américain Corbis, propriété personnelle de Bill Gates. Malgré ce prestigieux actionnaire, l’avenir de dix millions de clichés, de 8 000 photographes et de 29 salariés se joue ce mardi 25 mai au tribunal de commerce de Paris.

« C’est ce jeudi soir que j’ai appris par un coup de téléphone, la convocation d’urgence du Comité d’entreprise. » raconte Sébastien Dupuy, rédacteur-en-chef chargé de la « collection Sygma » et membre du Comité d’entreprise. « Vendredi matin, Stephan Biberfeld, le gérant nous a annoncé le dépôt de bilan… Evidement c’est un choc énorme pour le personnel… En plus, le tribunal va statuer mardi matin… Nous sommes devant des délais très courts ».

Selon le communiqué diffusé par Corbis à ses clients, le vendredi 21 mai en fin d’après-midi :

« Corbis a acheté Sygma en 1999 et avec cette acquisition, a hérité d’un grand nombre de contentieux. Corbis a investi des dizaines de millions d’euros pour tenter de résoudre les problèmes découlant de la gestion trop laxiste de Sygma de sa bibliothèque d’images. »

« Nous avons investi près de 20 millions d’euros dans l’Initiative de Préservation et d’Accès Sygma pour aider à améliorer la compilation, l’organisation et la protection de la collection. Malheureusement, en raison d’actions en justice et des jugements très lourds concernant les images manquantes de Sygma, perdues avant l’acquisition des archives par Corbis, nous avons été contraints de demander la liquidation de Sygma. »

En fait, la société Corbis-Sygma perd de l’argent depuis une dizaine d’années, comme beaucoup d’autres agences. Jusqu’ici, les pertes de cette filiale ont été comblées par Corbis Corporation, la société mère. Ces pertes successives ont été au fil du temps minorées par une série de plans sociaux qui ont fait passer l’effectif du personnel de plus de 93 personnes en 2005 à 29 aujourd’hui !

Toutes ces agences de presse, qui ont fait dans la seconde partie du 20ème siècle la renommée de Paris, se trouvent confrontées à un piège en forme de ciseau. D’un côté, la révolution numérique modifie de fond en comble les pratiques et surtout les prix des reportages photographiques publiés, ce qui entraine un appauvrissement spectaculaire des photographes; d’un autre côté, ces mêmes photographes sont devenus procéduriers. Nombre d’entre eux ont entamé des poursuites judiciaires qui contraignent les agences à payer des sommes considérables pour des préjudices divers.

A une époque où l’on se tapait dans la main en fumant une « clope » et en « descendant » une bouteille de whisky, succède un siècle où l’avocat est le meilleur ami du photographe. Les procès s’enchaînent pour perte de documents, pour mauvaise exploitation, pour contrefaçon, etc…

Stefan Biberfeld, gérant de Corbis-Sygma ne demande pas au tribunal de commerce de Paris un redressement judiciaire de sa société pour poursuivre l’activité mais il a  « déposé une déclaration de cessation de paiement (dépôt de bilan) avec une demande de liquidation judiciaire ». C’est-à-dire une liquidation de toute la société.

Pourquoi ? Tout simplement parce que fin avril un jugement de la cour d’appel de Paris condamne Corbis-Sygma à payer 1,5 million d’euros au photographe Dominique Aubert. Ce dernier, photographe reporter à Sygma de 1987 à 1995, a demandé en 2003 une restitution de son matériel. « La justice a constaté que certaines images (750 sur 250 000) avaient été non retrouvées et estimé les dommages à 1,5 million d’euros» précise Stefan Biberfeld, gérant de l’agence qui ajoute « L’exécution du jugement a entraîné la saisie de nos comptes bancaires, de nos biens immobiliers et de nos comptes clients. »

Domnique Aubert, aujourd’hui montré du doigt par Corbis, est loin d’être le seul. Chez Corbis-Sygma d’autres procès sont en cours d’instruction.

Dans l’affaire Eyedea, on a vu dans nos précédents billets, que lors du « dépôt de bilan » du groupe Eyedea, plus de 40 millions d’euros étaient provisionnés face aux innombrables procédures en cours. Ainsi fin juin, se jouera un nouvel épisode de l’affaire Catherine Leroy contre le Groupe Eyedea.

Et chez Sipa press, on ne se rejouit pas d’avoir gagné en appel contre un autre photographe, Gérard Gastaud, car il y a encore le jugement de la cour de cassation qui pourrait lui aussi conduire Sipa press devant le tribunal de commerce de Paris.

On pourrait être tenté, comme le fait le communiqué de Corbis-Sygma de charger le baudet, en l’occurrence le photographe, et de lui mettre sur le dos l’ensemble des errances de cet artisanat devenu industrie, tant il est vrai qu’1, 5 million d’euros pour la perte de 750 photos sur 250 000 parait quelque peu extravagant.

« Quand les tribunaux reviendront-ils à la raison ? » s’exclame un patron d’agence photo dont l’anonymat ne fait que recouvrir l’entière profession. Certes… Mais il ne faudrait pas que les tribunaux soient également aveugles devant les diverses stratégies actuellement en œuvre qui convergent vers une remise en cause du droit d’auteur et de la propricelété intellectuelle sur les œuvres…

Sans parler, de la fameuse loi Cressart qui, horreur, permet à un journaliste pigiste de cotiser à la Sécurité sociale et aux caisses de retraite. Une loi de plus en plus détournée au profit de régime moins onéreux, mais oh combien moins protecteur. Des lois que l’on n’hésite pas, outre-atlantique, a qualifiées de « communistes » !

Le tribunal de commerce de Paris, va devoir s’interroger précisément sur le sort des clichésen possession de Corbis-Sygma, et peut-être s’interroger également sur les différents types de contrats… Les uns signés entre les photographes et Corbis-Sygma Sarl française, les autres avec la société américaine Corbis…

Bill Gates est las de renflouer les caisses, agacé de voir les comptes en banque de sa société bloqués, mais il ne serait guère moral que les tribunaux français l’aident à mettre sous droits américains, des fonds photographiques réalisés par des photojournalistes jadis assujetis à des cotisations salariales….

Affaire à suivre

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Dernière révision le 12 mars 2024 à 12;16 par

Michel Puech


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