Affaire DAPD / SIPA

Rendez-vous
Martin Vorderwülbecke, le nouvel actionnaire de Sipa press

Martin Vorderwuelbecke (c) Chamussy/Sipa press

Exclusif – Ils sont deux, comme les « Dupont » d’Hergé, mais ils sont « propriétaires » de plusieurs centaines de « Tintin » en Allemagne et maintenant également en France avec leur reprise de Sipa press. Peter Low et Martin Vorderwülbecke ont tous deux la cinquantaine.

Des « hommes d’affaires », les actionnaires de la seconde agence de presse allemande DAPD. Ils ne viendront, ni l’un, ni l’autre à « Visa pour l’image » « où les dirigeants de Sipa et DAPD seront là pour faire des contacts ».

Depuis des années, boulevard Murat à Paris, dans les locaux de l’agence Sipa press, le visiteur croyait entendre: «Depuis les profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, entends ma prière ». D’année en année le déficit de Sipa press se creusait et son mécène Pierre Favre vieillissait… Et cette année deux bons chrétiens allemands ont entendu l’appel: Peter Low et Martin Vorderwülbecke.

Depuis 1993, les deux hommes ont fait du psaume 130 leur devise. Ils entendent les cris des sociétés en perdition, et, tels de bons samaritains, volent à leurs secours à l’aide de « BluO », une société anonyme basée au Luxembourg, ce qu’on nomme poliment un « fonds d’investissement spécialisé »… Une affaire qui marche bien, « mais n’a rien à voir avec l’agence de presse » comme nous le précise Martin Vorderwülbecke dans l’interview exclusive qu’il nous a donnée par téléphone à la veille de son départ en vacances.

Martin Vorderwülbecke, qui répond à nos questions,  est membre du conseil de gestion de Deutscher Depeschendienst (DDP) et membre du conseil de surveillance de « DDP media Holding AG ». Il est le co-fondateur de BluO SICAV-SIF.

 

« Allo, vous parlez français ? Vous êtes Martin Vorder… becke…vulbeck.. »

Un grand éclat de rire résonne dans le téléphone.

Martin Vorderwülbecke: « Le français, ce n’est pas facile à prononcer pour moi… Je vais fais de mon mieux pour vous répondre. »

Dans le monde du photojournalisme, on ne comprend pas bien la raison de votre reprise de Sipa press. Vous avez parlé de produire du texte et des photos, or Sipa étant une agence de photos… Expliquez-nous.

Martin Vorderwülbecke: « En Allemagne nous gérons l’agence DAPD qui est née d’une fusion de l’Associated Press Allemagne et de Deutscher Depeschendienst (DDP). Cela signifie que nous sommes dans ce business depuis 2004. Donc nous connaissons parfaitement les difficultés de ce métier, qui est une profession où il est difficile, sinon impossible, de gagner de l’argent. »

« Néanmoins, en Allemagne nous avons réussi à construire une véritable agence de presse complète avec 300 journalistes et 130 employés. Nous avons débuté avec un chiffre d’affaires de 5 millions  d’euros et nous en sommes à 30 millions. La raison pour laquelle cela marche bien pour nous, c’est qu’en Allemagne il n’y avait qu’une seule agence de presse : l’historique Deutsche Presse Agentur (DPA) (ndlr : fondée en 1949 sous le contrôle des alliès). Même si tout le monde dans la presse allemande dit que la DPA fait du bon travail, son service coûte cher et l’esprit est un peu bureaucratique. Depuis notre arrivée sur le marché avec DAPD, les rédactions sont très contentes d’avoir le choix. »

Comment en êtes-vous arrivés à prendre le contrôle de l’agence photo Sipa press ?

Martin Vorderwülbecke : « Sud Communication nous a contactés il y a presque deux ans pour la reprise de Sipa. Monsieur Favre a beaucoup investi mais n’était plus en mesure de le faire et, il tenait beaucoup à protéger les gens qui ont fait de Sipa l’agence que nous connaissaons. Il y a un an, nous avons rédigé un premier plan de reprise, mais nous étions sceptiques sur l’avenir de Sipa. Nous estimions que les pertes allaient continuer. Et c’est ce qui s’est passé. Le chiffre d’affaires 2010 est exactement celui que nous avions prévu. » (ndlr : env. 10 M d’euros)

« Sud Communication nous a recontactés au début de cette année et, nous avons répondu positivement car nous savons que Sipa est une agence de renom avec un grand pouvoir de distribution ; et,  des photographes de qualité. Nous avons une grande estime pour l’histoire de Sipa, mais il faut garder la tête froide. Nous avons dit : d’abord il faut ajuster  Sipa à la nouvelle réalité économique. Même si c’est dur pour les gens, il faut absolument réduire les coûts, or ce sont les salaires qu’il faut réduire car il n’y a  pas beaucoup d’autres charges à compresser dans une agence. »

Pour rester sur le domaine économique, même après trente-quatre licenciements, il reste presque soixante salariés… Ce qui parait beaucoup pour arriver à l’équilibre…

Martin Vorderwülbecke: « Nous avons un plan d’expansion que nous souhaitons démarrer après les licenciements. Nous croyons qu’une agence photo ayant un modèle économique historique comme Sipa est un peu dépassée. Les prix des photos dans les magazines ont baissé. Il y a aussi la pression d’Internet et celles des agences bon marché… Et puis il y a une autre raison, c’est l’AFP. »

« L’AFP a commencé il y a environ dix ans à vraiment se mettre sur la photo de qualité. Or l’AFP est financée par l’Etat, et elle a beaucoup d’argent à dépenser pour produire…  Pour cette raison, nous souhaitons que Sipa ne soit plus uniquement une agence photos mais une agence de presse complète fournissant textes et photos, comme l’AFP. Et actuellement, nous rencontrons une bonne écoute de la presse régionale française, des radios et télévisions, mais pas encore de la presse nationale…   Je prévois une étatisation complète de l’AFP après les élections, or nous pensons que ce n’est pas compatible avec la liberté de la presse. »

« Et puis, il faut dire également que l’AFP nous fait une concurrence extrêmement sévère avec des prix très bas en Allemagne. Elle détruit le marché allemand. J’ai dit maintes fois, à plusieurs présidents de l’AFP, qu’ils devaient nous laisser en paix en Allemagne.  Mais ils n’ont pas voulu, car ils ont, selon eux, une vocation internationale… Je suis donc libre de créer une agence de presse en France ! »

Pour produire du texte, il vous faut des rédacteurs, où en êtes-vous de vos pourparlers avec Associated Press France ?

Martin Vorderwülbecke: « C’est encore une bonne question… Même, si je ne suis pas très diplomate habituellement, sur ce point, je dois l’être. Nous avons repris Associated Press Allemagne et c’était une très bonne solution. Contrairement à ce que l’on a écrit, nous n’avons pas licencié chez les journalistes, uniquement chez les administratifs. Au contraire nous avons embauché 119 journalistes. En France, nous avons peut-être la possibilité de reprendre AP, mais on verra… »

Allez-vous embaucher des rédacteurs et des photographes ?

« Je ne suis pas dans tous ces détails. Je ne connais pas les journalistes, ni à Sipa, ni à DAPD. Je suis un des deux propriétaires et nous avons des directeurs pour nos rédactions.

Mais vous n’êtes pas sans savoir que Sipa press a des archives très importantes, que comptez-vous en faire ?

« Nous sommes heureux de commencer avec des archives… Mais, c’est un sujet délicat. Je dois être prudent. La première chose que je veux dire, c’est que les archives vont rester en France. Ensuite, il y a beaucoup de problèmes à résoudre avec les auteurs. Je n’ai pas une solution miracle pour cela. Numériser les archives coûte une fortune et nous n’avons pas ces moyens disponibles. Il faudrait trouver une solution avec l’Etat pour rendre ces fonds accessibles au grand public tout en protégeant le droit des auteurs. A court terme nous n’allons pas les exploiter car nous ne savons pas comment nous pouvons résoudre ces difficiles problèmes. »

En dehors de DAPD, vous avez un ensemble de sociétés dans différents secteurs….

« Je suis partenaire dans une société d’investissement pour la réorganisation de sociétés (ndlr : BluO). Nous sommes dans l’industrie chimique, l’alimentaire, des activités très diverses … Mais tout cela n’a rien à voir avec l’activité d’agence de presse qui est la propriété uniquement de Peter Low et de  moi-même. »

« Une agence de presse ne peut pas fonctionner sous la pression d’entreprises, ni la nécessité de faire des bénéfices. Une agence de presse ne gagne pas d’argent. Nous avons fait une agence de presse pour préserver la liberté de la presse. Nous voyons que les grandes industries, les grands groupes possèdent la presse en France, or c’est une situation un peu menaçante.  Les  grands dirigeants sont proches de l’establishment… Et nous, nous pensons que la presse doit être indépendante. Nous croyons qu’une agence de presse indépendante travaille pour la liberté de la presse. »

Quel est votre rapport à la photographie ?

«  J’aime la photographie. Quand j’étais jeune j’ai fait pas mal de photos. Je développais mes pellicules et faisais mes tirages, c’était mon hobby. La photographie nous intéresse, Peter et moi, car la photographie transporte les émotions et c’est la partie forte d’une agence de presse. C’est pour cela que nous sommes dans Sipa. »

 

Propos recueillis par Michel Puech le 11 août 2011

 Dernière révision le 3 mars 2024 à 7;19 par Michel Puech

Michel Puech


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