Editorial

Interview: Guillaume Clavières de Paris Match

 Michel Puech publie dans La lettre de la photographie, lettre quotidienne en français et en anglais.Interview: Guillaume Clavières de Paris Match par Michel Puech in La lettre de la photographie le 1er septembre 2011

 

Guillaume Clavières : J’étais étudiant en droit et économie et j’ai dû faire un stage en entreprise. Je ne savais pas trop à quel métier me destiner. Michel Sola, alors rédacteur en chef photo de Paris Match, était un ami de la famille… Je suis donc entré comme stagiaire au journal en juin 1985 et j’y suis toujours.
Au début je travaillais aux informations à la rédaction, puis je suis parti en reportage. J’ai fait de nombreuses enquêtes sur le terrain pour le compte de Jean Cau, qui était une des plumes de l’époque.

Et la photo ?

Guillaume Clavières : Au bout de deux ans et demi, je suis passé au service photo comme éditeur. J’ai donc travaillé longtemps avec Michel Sola, son adjoint Didier Rapaud, sous l’œil de Roger Thérond, le grand patron du journal. Quand Michel Sola s’est éloigné de la rédaction pour cause de maladie, je suis devenu l’adjoint de Didier Rapaud et quand celui-ci a été nommé à la direction de Gamma en octobre 2OO2, j’ai pris la tête du service.

Avant d’en prendre la direction, quand vous êtes arrivé au service photo, comment avez-vous perçu le marché de la photo ?

Guillaume Clavières : A l’époque, en 1987/88 c’était le règne de Sygma, Gamma, Sipa, Imapress… Il y avait une formidable profusion de sujets. Il n’était pas rare qu’Alain Dupuis, le premier vendeur de Sygma, arrive chaque jour avec trois ou quatre sujets pour Paris Match ! Monique Kouznetzoff, responsable du département « charme et people » de Sygma, pouvait nous fournir trente couvertures par an ! Les vendeurs d’agences attendaient dans le couloir et le journal faisait son marché. Moi je n’étais qu’éditeur, mais si l’on n’entendait pas ce qui se passait dans le bureau de Michel Sola, avec un peu de curiosité, on pouvait connaître les prix d’achat…

A l’époque avec VSD, c’était la guerre ; avec Jours de France également, puis plus tard avec le Figaro Magazine. Il n’était pas rare que Michel Sola achète plusieurs reportages sur le même sujet à différentes agences pour bloquer la concurrence, car nous voulions avoir des photos exclusives.

A quelle époque les agences filaires (Reuters, AP, AFP, etc.) sont- elles vraiment entrées dans la danse ?

Guillaume Clavières : Je crois me souvenir que c’est à peu près au moment où Michel Sola a pris du recul, vers 1996. Les « filaires » sont montées en puissance et en qualité, tandis que les agences feature se sont mises à moins produire, à être plus frileuses pour envoyer des photographes sur les coups.
Sygma, Gamma, Sipa réfléchissaient avant de mettre un photographe dans l’avion car les « stringers » locaux commençaient à envoyer de la qualité, et de plus en plus vite ! Les agences feature fonctionnaient encore bien, mais elles investissaient moins. C’est également à cette époque que Paris Match a de moins en moins bloqué de sujets. La concurrence avait évolué.

Et la grande révolution de ce marché arrive à quel moment ?

Guillaume Clavières : C’est arrivé après les 50 ans de Paris Match que Michel Sola avait préparés de chez lui alors qu’il était déjà malade, donc les années 2000. Aujourd’hui, le travail n’a plus rien à voir avec l’époque de Roger Thérond et de Michel Sola. Il est très difficile d’acheter une exclusivité parce que le moindre journal diffuse ses photographes via une agence et que toutes les agences locales distribuent leurs reportages à plusieurs autres dans le monde… Résultat il est quasi impossible d’être certain qu’une photo diffusée par quatre ou cinq agences au même moment soit réellement exclusive.

Les lecteurs l’ont vu avec la catastrophe du Japon et la photo de l’icône de Fukushima…

Guillaume Clavières : Bien sûr, le journal de ce photographe a donné la fameuse photo à plusieurs agences filaires avec le résultat que l’on connait : des dizaines de couvertures semblables. En Norvège, pour la tuerie de l’île d’Utoeya, c’était pareil. Nous avons eu des images très fortes, mais impossible de les acheter en exclusivité, or à Paris Match nous essayons de maintenir cette grande tradition du journal : la couverture et la double d’ouverture !

Mais le budget du service photo n’est plus celui d’hier ?

Guillaume Clavières : Nous nous battons pour conserver un budget conséquent grâce auquel nous arrivons à faire travailler des photographes indépendants. Sur le printemps arabes, nous avons donné des garanties à des reporters, vous pouvez voir leurs photos dans l’exposition à Visa pour l’image. Et puis nous aidons de grands reporters comme Sebastiao Salgado à produire des sujets très ambitieux ; cela fait huit ans que nous le soutenons sur son projet Genesis. Idem pour Eric Valli avec qui nous produisons trois gros sujets, l’un a déjà été publié, un autre le sera à l’automne…

Mais le travail a tellement changé… Jadis Alain Dupuis nous apportait cinq sujets clé en main, édités, aujourd’hui nous recevons 15 000 photos par jour qui ne nous intéressent pas. Ne parlons pas des 35 000 à 40 000 photos qui arrivent le jour d’un mariage à Londres ou à Monaco. Mais ces 15 000 images qui nous arrivent un jour ordinaire ne sont pas sélectionnées pour nous. Ce n’est pas ciblé. Il y a une baisse du professionnalisme dans l’ensemble de la chaîne de production. Tout le monde veut aller plus vite, mais nous y perdons.

Il me semble que les photographes aussi sont moins journalistes. Des Jean Ker sur les faits divers, des Richard Melloul avec Depardieu, des Gérard Rancinan et d’autres… Voilà de grands professionnels soucieux des détails, de l’exactitude des faits. Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression que le B.A.B.A du métier est oublié.

Et l’évolution vous la voyez comment ?

Guillaume Clavières : Dans ce flux insensé et permanent, continuer à se battre pour raconter de vraies belles histoires comme Paris Match le fait depuis toujours, avec de belles couvertures, des séries d’images… Mais franchement, c’est de plus en plus difficile, en partie aussi parce qu’actuellement nous n’avons pas une véritable concurrence.

Propos recueillis par Michel Puech

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Dernière révision le 3 mars 2024 à 7;15 par Michel Puech