Editorial

Photojournalisme: un autre visage du monde

 

Alors que le festival Visa pour l’image de Perpignan prend le pouls de la photo d’actualité, l’ancien reporter, directeur d’agence et journaliste Michel Puech fait le point sur la situation des photojournalistes…

Photojournalisme: un autre visage du monde par Michel Puech in Réponses photo -n°234 septembre 2011

Chaque année, le nombre des professionnels accrédités au prestigieux festival Visa pour l’image de Perpignan augmente, tandis que le nombre de stands d’acheteurs diminue.

Ce paradoxe illustre ce qu’on nomme “la crise du photojournalisme”. Une crise attribuée à “la révolution numérique”, à “la mondialisation”, bref, à la banalisation des moyens et des techniques de prises de vue et à la facilité des transmissions d’images via l’Internet.

Pour comprendre la situation des reporters photographes, il faut faire un peu d’histoire. Le reportage photographique naît à la fin duXIXe siècle. On observera que si les techniques ont changé, les reporters ont déjà les mêmes commanditaires qu’aujourd’hui: la presse et les pouvoirs publics. Il faut attendre le XXe siècle et l’entre-deux-guerres pour que se développe la photo de presse. L’historienne Françoise Denoyelle a démontré l’impact du prix du papier sur celui des photos. Moins le papier coûte, plus les journaux ont de pages, plus les photographies sont utilisées, et mieux elles sont rémunérées.

La seconde partie du XXe siècle sera l’âge d’or du photojournalisme. Les reporters photographes sont encore peu nombreux. Essentiellement d’origine occidentale, ils s’organisent en agences de presse qui rationalisent le marché. Les moyens mis à leur disposition seront de plus en plus considérables, jusqu’au moment où les crises économiques successives, liées aux aléas du marché du pétrole,vont conduire à la récession.

Les attentats du 11 septembre 2001 ouvrent le XXIe siècle et signent la mort de la photographie argentique d’actualité. Comme le dit Jean-Jacques Naudet, directeur de la rédaction de La Lettre de la photographie: « Aujourd’hui, nous pourrions voir en direct des images de l’intérieur des avions et des Twin Towers! »

« Il faut que les photojournalistes, surtout ceux qui sont indépendants, comprennent que ce n’est plus la peine de courir après la photo de news”, s’exclame Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image. “Les grandes agences comme Reuters, Associated Press, AFP sont capables, grâce à leurs correspondants locaux, bien équipés et compétents, de diffuser instantanément d’excellentes images. Les photojournalistes doivent travailler en profondeur, raconter l’histoire du monde et non chercher à saisir uniquement l’instant.”

Le photojournaliste d’aujourd’hui est un homme – et de plus en plus souvent une femme – qui connaît le terrain, soit parce qu’il l’a étudié, soit parce qu’il en est natif ou qu’il y vit. Mais, dans tous les cas, raconter le monde demande du temps, donc de l’argent.
L’argent, justement… Le prix des photos publiées par la presse ne cesse de s’écrouler, alors que la surface dévolue à la photo,
sur le papier comme sur le Web, ne cesse de croître.

Entre le début du XXe siècle et aujourd’hui, une donnée a changé: jadis, les industriels possédaient des journaux pour soutenir les hommes politiques qui favorisaient leur commerce. Aujourd’hui,les industriels ont besoin des financiers internationaux: il s’agit de satisfaire les actionnaires! Pour distribuer de bons dividendes, il faut réduire les coûts de production. Les coûts les plus aisés à rogner sont ceux d’une population de travailleurs individualistes et indépendants par définition: les photojournalistes!

 

Michel Puech

Michel Puech est journaliste, associate editor à La Lettre de la photographie. Ancien reporter et rédacteur en chef, puis directeur d’agence de presse photo .Il publie également des chroniques sur son blog www.a-l-oeil.info.
Réponses photo -n°234 septembre 2011Dernière révision le 3 mars 2024 à 7;19 par Michel Puech