Mercredi 5 septembre 2012 – Bloc note en direct de Perpignan publié dansLe Journal de la Photographie et dans le Club Mediapart
Mercredi 5 septembre 2012
16h00 – Il y a maintenant beaucoup de monde à la terrasse du Café de la Poste. Deux bonnes raisons, la Tramontane s’est essoufflée, la température monte, 29°C. Troisième raison, tous ceux qui font des économies de stand au Palais des Congrès donnent rendez-vous à leurs clients allemands au bistrot au grand étonnement des pictures éditeurs.
Ils ont l’habitude de travailler dans des bureaux et pas aux terrasses des cafés dans le bruit et la chaleur !
17h00 – Daniel Barroy, chef de la mission de la photographie au Ministère de la Culture de la République Française est un garçon sympathique. Hier soir, j’ai commis l’imprudence de lui dire que je serai présent à la conférence débat de l’Observatoire du photojournalisme. Cet observatoire lancé l’an dernier par Frédéric Mitterrand est présidé par le journaliste Jacques Hémon. Il y a une cinquantaine de personnes dans la salle Jean-Claude Rolland du Palais des Congrès qui peut en contenir facilement dix fois plus. Ça commence mal.
L’observatoire du photojournalisme est une de ces innombrables « commissions Théodule » qui font le charme de la république hexagonale. On y discute, on s’y dispute, un malheureux s’attaque à un « rapport d’étape » et in fine, le gouvernement range le rapport final dans un placard. Cet après-midi nous avons droit à l’exposé du « rapport d’étape »… Le contenu du « powerpoint » est connu de tous. La seule idée neuve est de faire participer les éditeurs à un fond permettant le financement de reportages à l’exemple du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Mais tout le monde sait que les éditeurs ne mettront pas la main à la poche, vu que ce sont eux qui font baisser, sans cesse et depuis plusieurs années, les prix des droits de reproduction des photographies.
Serge Challon, ancien fondateur et directeur de l’agence Editing, le dit avec des mots choisis pour ne pas choquer. Je préfère sortir car le sujet m’agace profondément. Crise ou pas crise, Internet ou pas, depuis quarante ans, le discours des éditeurs de presse est le même : la presse est en crise et il faut baisser les charges sociales ! Puisque l’on nous demande de suggérer des idées, je propose que les marchands d’armes soient taxés pour financer les correspondants de guerre qui vont constater sur place les dégâts de leur industrie !
18h00 – Retour à la réalité, au second étage sur les stands des agences. Chez Sipa, Fehrit Duzyol nous offre un baklava en provenance directe d’une des meilleures pâtisseries d’Istanbul. Une pensée pour Göksin Sipahioglu.
18h30 – Alain Mingam, consultant et commissaire d’expositions, présente à Jean-Pierre Pappis, de Polaris, le futur prix de l’Association Française de Développement (AFD).
21h30 – Le Campo Santo est pratiquement plein sauf dans les rangées de sièges réservés aux invités. Comme chaque soir, les images du jour sont celles arrivées de Syrie. « Mardi, nous vous avions montré des images de bombardement à Alep faites par Robert King pour l’agence Polaris-Starface. Au vu de ce qui passe, nous avons décidé de vous montrer la suite de son reportage d’hier après le énième bombardement de l’armée sur des immeubles résidentiels de la ville » déclare Jean-François Leroy en ouverture. « L’horreur est quotidienne et les civils en paient le prix fort…./… 5000 personnes ont été tuées au mois d’août tandis que 100 000 syriens ont dû fuir leur pays. »
La soirée continue avec les remises de prix et la projection de treize reportages. Le « Chili, Valparaiso – 1963 » un hommage à Sergio Larrain / Magnum Photos, mort à 81 ans, est particulièrement touchant. De sublimes images !
« Birmanie, les enfants de la junte », un reportage de Sarah Caron publié par The New York Times Magazine, réalisé il y a un an et demi alors que la photographe était encore à l’agence Polaris, montre une jeunesse dorée qui n’a pour avenir que de « profiter de la vie » car « si tu es fils de général tu peux tout avoir à condition de te taire. »
J’irai vraisemblablement demain (jeudi 16h) à la libraire Chapitre.com pour la signature par Jérôme Sessini/Magnum Photos de son livre « The Wrong Side. Living on the Mexican border ». La présentation vidéo au Campo Santo m’a donné l’envie de voir de plus près ce travail.
J’ai bien aimé également le reportage de Debra Kellner sur les « train hoppers », ces américains qui sautent d’un train de marchandises à un autre pour se déplacer sur le continent nord-américain. Ces vagabonds épris de liberté vivent la légende de la beat génération.
En fin de soirée, un ensemble de photos retrace l’historique des guerres de l’ex-Yougoslavie. Fascinant et éprouvant.
Jeudi 6 septembre 2012
1h00 – A l’issue des projections, tous les soirs, c’est la ruée sur le Café de la Poste, temple de la bière à la pression. Impossible de s’asseoir et encore plus d’entendre ce que dit son voisin. Je me réfugie donc au « Habana Bodeguita » 5 rue Grande des Fabriqués, en compagnie de deux patrons d’agences, de leurs épouses et de Lucas Schifres, un photographe qui « tape l’incruste » avec élégance. C’est le grand jeu pour les photographes : comment arriver à s’installer près d’un picture-éditeur connu ! Bravo à Lucas Schifres dont « Le Journal de la photographie » a publié le portfolio sur « les hommes du made in China »
11h00 – Massoud Hossaini répond aux questions de Pascale Bourgaux, salle Charles Trenet au Palais des Congrès. Massoud est ce jeune photographe de l’AFP, afghan et travaillant à Kaboul. Il a réalisé le 6 décembre 2011 des photos de l’attentat à la bombe qui a tué 70 personnes et fait 250 blessés devant une mosquée. Il a lui-même été blessé.
Sa photographie dite « la fillette en vert » a fait le tour du monde, lui a valu le premier prix Pulitzer obtenu par l’AFP et un World Press. Le photographe, jadis formé par l’agence Aïna du photographe Reza, est bouleversé de se replonger dans ces situations d’horreur. Il raconte avec émotion ce terrible moment. Décrit la scène et s’attarde longuement sur la suite, sa rencontre avec la famille décimée, les remerciements du père, l’émotion de la famille et des voisins.
« Quand j’ai sorti la photo imprimée en N&B, je l’ai d’abord montrée au doyen de la famille. Il s’est mis à pleurer. Ensuite les vingt-cinq autres personnes qui vivent là se sont mises à pleurer tout comme moi et mes collègues de l’AFP. »
Massoud Hossaini n’en est pas resté là. Il a lancé des appels financiers sur Tweeter et Facebook car la famille de la fillette est très pauvre. « Quatre jours après, je pouvais amener de l’argent au père. Ensuite j’ai tenté de faire transporter sa sœur très grièvement blessée aux USA grâce à des amis, mais elle était intransportable et risquait de mourir. Aujourd’hui elle va mieux. »
Comme beaucoup de reporters de terrain, Massoud Hossaini est une « belle âme », content d’avoir fait ce qu’il devait, soit « montrer au monde l’horreur des attentats terroristes. »
Très belle exposition a l’église des Dominicains.
12h00 – « Syrie : la vulnérabilité des systèmes de secours » est le thème qui suit avec le photographe Mani, lauréat 2012 du Visa d’or humanitaire, pour un reportage en Syrie publié par le quotidien « Le Monde ».
Le photogaphe ManiLe photogaphe Mani© Geneviève Delalot pour « A l’oeil »
13h00 – Tandis que François Lochon, le patron de Gamma-Rapho, fait son apparition sur le stand de Getty Images, Mete Zhinoglu directeur général adjoint de Sipa me présente Olivier Mégean patron de la holding Sipa (Sipa press, Sipa News ex AP-France, Sipa Media ex Dioranews). Sipa est la seule rescapée des trois « A » (Gamma, Sygma, Sipa). Alors que les concurrentes étaient rachetées directement ou indirectement par les groupes américains, Sipa press a été reprise par le groupe allemand DAPD. On craignait que cette reprise ne fut un enterrement, mais finalement, quelques mois et quelques rachats après, la rentrée de Sipa s’annonce plutôt sous de bons auspices.
14h00 – Déjeuner à la table voisine de Jérôme Delay/Associated Press qui s’entretient avec Azu Nwagbogu du festival de photo de Lagos (Nigéria). Jérôme me raconte « Transmission », ces trois jours de workshop, avec une dizaine de photographes venus du Canada, des Etats-Unis, de Russie, de Belgique et de France. Ils ont payé 500 euros pour avoir sous la main Jon Jones, Chris Morris, Joao Silva, Peter Bouckaert et Patrick Chauvel . « C’est très sympa » confie Jérôme Delay « Cela fait trois ans que je fais ça et chaque année c’est formidable de voir la satisfaction de tous. Ils ont entre 20 et 30 ans et viennent pour affiner leur projet professionnel.
14h30 – Avant de rentrer à l’hôtel pour écrire ce journal, j’embrasse Emilie Blachère, la compagne de Rémi Ochlik. « Je suis arrivée hier soir, pour découvrir l’exposition que Jean-François a fait en hommage à Rémi… Mais c’est terrible, pour moi, chaque fois, de revoir son visage. »
Pour nous tous aussi Emilie.
Michel Puech pour le texte, Geneviève Delalot pour les photos
Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:23 pm GMT+0100 par Michel Puech
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