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Agence photo CIRIC : Bayard n’a plus la foi !

15 octobre 1962: Evêques lors du Concile Vatican II, bas. Saint Pierre, Rome, Vatican.

Le Groupe Bayard enterre le CIRIC, son agence photographique spécialisée sur les faits religieux. Incompréhension et inquiétude des iconographes et des photographes. Que vont devenir ces archives photographiques qui couvrent toutes les religions du monde depuis 1945 ?

« Vous voulez transmettre, éduquer et changer le monde. L’Évangile vous tient à cœur. Vous voulez sortir des clichés et des poncifs. Vous avez besoin de rejoindre un large public à travers des outils de communication à 360°. » Le web de la société Bayard Service[1], filiale du Groupe Bayard est sans peur, mais peut-être pas sans reproche.  C’est pratiquement sans un mot d’explication que la rédactrice en chef et les photographes de l’agence ont été informés le 25 novembre 2020 de la fin des activités de l’agence le 1er décembre dernier par un simple courriel !

Le Centre International de Reportages et d’Information Culturelle (CIRIC) fondé à l’époque du concile Vatican II par le Père Chevalier, un missionnaire de la congrégation de Saint-François-de-Sales, collectionne, d’abord à Genève, des photographies concernant essentiellement la religion et le développement des pays du « tiers-monde ». C’est l’époque des prêtres ouvriers, des Missions d’assistance aux pays en voie de développement. En 1984, le CIRIC émigre en France et devient la propriété du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD) aujourd’hui appelé CCFD Terre Solidaire. Le CIRIC[2] devient une agence de presse agréée par la Commission paritaire des publications et agences de presse[3] avec à sa tête Michel Gauvry un dynamique rédacteur en chef qui participe largement à la vie de la profession.

 

Changer l’image des Missions

20 avril 2019 : A l’issue de la Vigile Pascale, prêtre et fidèles célébrent la résurrection du Christ sur la parvis de l’église. Paroisse Saint Jean Baptiste de Belleville, Paris (75), France.

L’agence photographique est spécialisée sur le fait religieux. Elle couvre l’actualité de toutes les religions du monde « dans leurs dimensions fondamentales, sociales et institutionnelles ; le social, traitant les engagements sociaux, la lutte contre les exclusions, les minorités, les droits de l’homme ; les portraits de personnalités, notamment religieuses ; l’art sacré. »  Les photographes font, par exemple, systématiquement le portrait des nouveaux évêques, des cardinaux et des papes.  Comme toutes les agences, dans les bonnes années de la fin du XXème siècle, l’agence fonctionne bien jusqu’à la déferlante Internet.

« Je suis arrivée quand le CIRIC était encore une agence de presse, quai des Grands Augustins à Paris, avec à l’époque comme actionnaire le CCFD et les Editions Malherbes. » se souvient Claude Ganter « à l’époque du Père Chevalier, il y avait déjà une volonté de changer l’image des Missions. Montrer la vie des gens, la pauvreté… J’ai commencé par l’iconographie et par hasard je suis arrivée au CIRIC et j’ai découvert les archives. J’ai développé de nouvelles collaborations pour faire réaliser des reportages dans le monde entier. Les photographes allaient rencontrer les missionnaires locaux qui vivaient avec les populations et qui leur permettaient de faire des prises de vue passionnantes. On a toujours travaillé avec un premier cercle d’une dizaine de photographes et d’une vingtaine d’autres, pigistes. En fait, les photographes ne peuvent pas rester très longtemps sur ce créneau. Certains arrivaient avec des fantasmes sur les religions. Ils pensaient faire des portraits avec des robes et des pompons rouges… Mais en réalité, il faut comprendre les rites, les manifestations, les célébrations pour les photographier. C’est parfois compliqué pour les photographes de se faire accepter, surtout pour les religions où l’image n’est pas valorisée. » Parmi les plus anciens collaborateurs, citons Patrice Thébault, Jacques Cousin, Brigitte Cavanagh, Sean Sprague, Jean-Claude Gadmer, Jean-Pierre Pouteau, Jean-Michel Mazerolle, Philippe Glorieux. Ces dernières années, Corinne Simon, Alain Pinoges, Jean-Matthieu Gauthier, Guillaume Poli, Stéphane Ourounoff, Cyril Badet, Nabil Boutros ont été les plus actifs. Jean-Matthieu Gauthier secondait Claude Gunter à la rédaction en chef.

 

27 juillet 2013 : Les jeunes Jmjistes attendent le pape François pour la veillée finale des JMJ, sur la plage de Copacabana. Rio de Janeiro, Brésil.
July 27, 2013 : Pilgrims and residents on Copacabana Beach before the arrival of Pope francis who will presides over an evening vigil service. Rio de Janeiro, Brazil.
10 septembre 2013 : François lors d’une visite au Centre Astalli (centre d’accueil pour les réfugiés) à Rome, Italie. Photo. ©ALESSIA GIULIANI/CPP/CIRIC
11 avril 2020 : Epidémie de coronavirus Covid 19. Célébration de la Vigile pascale par Mgr Michel AUPETIT en l’église Saint Germain l’Auxerrois, Paris (75), France. Photo Corine Simon /CIRIC

Autre importante source d’images, une collaboration trentenaire avec l’agence Catholic Press Photo de Rome, accréditée auprès du Vatican avec les signatures d’Alessia Giuliani, Migliorto et Giancarlo Giuliani. Ajoutons la production allemande de la Katholische Nachrichten Agentur (KNA) et l’on comprend que le CIRIC est une agence essentielle pour la presse confessionnelle qui est très gourmande en images, qu’elle soit catholique, protestante ou israélite. Du côté de la presse généraliste, le CIRIC présente l’avantage de disposer de photographies parfaitement documentées (légendes et mots-clés). Cette qualité a été très appréciée par les grands quotidiens ou les hebdomadaires. L’édition scolaire est également un gros client.

Des Missions à la démission

15 juin 2019 : Première messe célébrée en la cathédrale Notre-Dame depuis l’incendie du 15 avril 2019. Le choix de ce week-end des 15 et 16 juin est symbolique, le 16 juin étant la fête de la dédicace de la cathédrale, date anniversaire de la consécration du nouvel autel. La messe est présidée par Mgr Michel AUPETIT, archevêque de Paris. Paris (75), France.. Photo Guillaume Poli / CIRIC

Au début du XXIème siècle, en février 2003, le CIRIC déclare être en cessation de paiement et le 17 novembre 2003, le tribunal de commerce de Paris accepte un plan de cession à Bayard Service, une filiale du groupe Bayard, et Michel Gaudry quitte le navire. La cession sera définitivement actée le 13 mai 2008.  « Quand nous sommes arrivés à Bayard Service, les Editions Malherbes nous quittaient et nous avons subi plusieurs procès pour le droit à l’image qui nous ont mis par terre. » se souvient Claude Ganter.

En 2020, en juillet, via La Lettre A, on apprenait que Bayard Service, spécialisée dans les publications paroissiales, ouvrait l’un de ces fameux « Plan de sauvegarde de l’emploi » (sic) où était envisagée la suppression de 18 postes basés à Montrouge dans la banlieue parisienne. Motif officiel : un virus Covid 19, qui a bon dos.

En 2015, cette filiale s’était déjà séparée de 21 postes et « l’an dernier, la société a enregistré un déficit de 1,6 M€ entre juin 2018 et juin 2019, pour 12 M€ de chiffre d’affaires. Ses pertes se sont encore élevées à 1,3 M€ sur l’exercice clôturé au 30 juin 2020 [4]».  Il semble que la véritable raison tienne au déclin des activités paroissiales pour lesquelles Bayard Service réalise des bulletins, journaux imprimés et sites Internet.  La situation du Groupe Bayard ne semble toutefois pas dramatique, dans son édition du 19 octobre 2020, La Lettre A écrit : « Même avec des comptes dans le rouge, le Groupe Bayard (La Croix, Notre temps…) versera bien un intéressement à ses salariés en fin d’année, d’un montant maximum de 900 € bruts pour un temps plein. Comment ? Grâce à Bayard Editions, filiale spécialisée sur les segments jeunesse et religions -sciences humaines. L’entité, qui a réalisé 2,8 M€ de bénéfices sur 2019-2020 pour 32 M€ de revenus, a remonté plusieurs années de dividendes à la maison-mère Bayard Presse SA pour un montant total de 19 M€. » Certes, toute la presse et l’édition connaissent des difficultés mais il ne semble pas que cela justifie l’arrêt de la production de CIRIC qui ne représente qu’un coût ou un bénéfice infime pour le mammouth qu’est le Groupe Bayard !

Alors, il faut s’interroger sur les raisons du sort réservé à CIRIC. Dans le courriel qu’elle a envoyé le 24 novembre 2020 à 19h40 aux photographes, Pascale Maurin, directrice de Bayard Edition écrit : « Bayard Service subit de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire. Pour résister et permettre les conditions d’un avenir pérenne, nous avons dû prendre des décisions courageuses et réorganiser notre activité. A cet effet nous avons pris la décision de fermer notre studio éditorial de Montrouge mais également d’arrêter l’activité commerciale et l’activité de production éditoriale du CIRIC. Ainsi à compter du 1er décembre, nous ne serons plus en mesure d’accepter vos nouvelles réalisations mais l’accès à vos photos présentes dans notre base sera toujours possible à ce jour pour nos clients… »

On ferme, mais on reste ouvert ?

Photo P Razzo / CIRIC

Il s’agirait donc, en fait, de licencier deux ou trois personnes au maximum, étant donné que les photographes ne sont pas salariés mais payés en droits d’auteur avec cotisation AGESSA… L’économie pour Bayard parait vraiment modeste et traduit plutôt une méconnaissance de l’activité de CIRIC, voire un certain mépris pour la photographie !

Le Groupe Bayard, qui a employé et emploie toujours quelques brillantes et brillants iconographes, comme jadis Armelle Canitrot et aujourd’hui Isabelle de Lagasnerie à La Croix, ou Bruno Ardesu à La Croix Hebdo, n’a pourtant pas la réputation d’avoir une culture photographique importante. Le directoire du Groupe, n’a fait aucune étude et n’a procédé à aucune réflexion avant de décider la fermeture du CIRIC !

Quant à l’accès aux photos qui resterait ouvert, il faut s’interroger sur l’hypocrisie de l’annonce. Si sur des documents publicitaires, le CIRIC dispose de 4 millions d’images, en réalité comme dans presque toutes les agences, personne ne sait exactement le nombre de photographies détenues. La seule donnée fiable est le nombre d’images numérisées sur le serveur, soit aujourd’hui un peu moins de 300 000. Pour le reste, après cinq déménagements et une inondation que reste-t-il du fonds photographique des Missions d’Afrique ? Personne ne le sait.  Et puis, Bayard a commis un « péché mortel », lors de la vente des Publications La Vie au Groupe Le Monde, c’est Bayard qui a hérité du fonds N&B de la production photographique de La Vie Catholique Illustrée couvrant la moitié du XXème siècle (1948-2003). Mais, à l’occasion d’une réduction des espaces d’archivage, ce fonds a été mis à la benne ! Certes Bayard n’est pas le seul média à avoir détruit un patrimoine. Le fonds du quotidien Le Provençal ou celui du Figaro ont disparu de la même façon du fait de mêmes incompétences.

En licenciant les deux, trois personnes qui connaissent le fonds CIRIC et en arrêtant la commercialisation, comment Bayard peut-il rassurer les photographes en leur écrivant que leurs photos vont rester en ligne ? En fait, Bayard parie sur l’obsolescence technique pour se débarrasser du fonds CIRIC.  Explication : comme nombre d’autres agences photographiques, le CIRIC, à son arrivée chez Bayard, s’est vu équipé d’un logiciel serveur : Orphea de la société Algoba Systems.  Au début du siècle le logiciel, acheté ou loué au mois, est vite apparu comme un mauvais choix aux experts. L’interface qui permet de le gérer, le back-office, a été développé dans une technologie Flash d’Adobe qui n’est pas pérenne. Algoba Systems bien que racheté par Oodrive n’est plus développé depuis longtemps et l’ensemble des navigateurs n’accepte plus la technologie Flash !  Actuellement pour mettre à jour leurs bases, les agences ainsi équipées doivent soigneusement conserver de vieux navigateurs pour mettre à jour les légendes et les mots-clés. Bayard parierait-il sur l’obsolescence du serveur du CIRIC pour dans quelques mois, quelques années, enterrer définitivement et silencieusement son fonds photographique ?

« On le sait assez peu, mais la France est sans doute le seul pays au monde qui a la chance de disposer du plus grand nombre et des plus puissants médias chrétiens, avec La Croix, Le Pèlerin, La Vie, Famille chrétienne, Témoignage chrétien, RCF, KTO et le Jour du Seigneur. Des médias qui sont souvent des médias de proximité et qui ne s’appuient pas nécessairement sur des revenus publicitaires importants, comme les grands groupes médiatiques. » déclarait en janvier 2018 Jean-Marie Montel, Président de la Fédération des médias catholiques, aux traditionnelles Journées de Saint-François-de-Sales, la congrégation du Père Chevalier, fondateur du CIRIC. Ancien Pdg du Groupe Malherbes et des Editions Milan, Jean-Marie Montel qui a été nommé « consulteur du dicastère pour la communication[5] » par le pape François en juillet dernier est directeur général adjoint du Groupe Bayard depuis 2017 avec en charge le secteur « société, famille, spiritualité ». A ce titre, il a la responsabilité de l’avenir de Bayard Service . Le Groupe Bayard est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance. Son actionnaire unique, la Congrégation des Augustins de l’Assomption, lui assure liberté, stabilité et indépendance depuis 1873, il parait impensable qu’il laisse ses archives photographiques aller au diable !

Michel Puech

Voir la liste des agences photo d’hier et d’aujourd’hui

Notes

  • [1] Bayard Service SAS, dont le Groupe Bayard est l’actionnaire unique, immatriculé le 8 novembre 1958 à Lille sous le n°458 506 011 dont le siège social est ZAC du Moulin, allée Hélène Boucher, 59118 Wambrechies
  • [2] 6 septembre 1984 la SARL CIRIC est enregistrée au Tribunal de commerce de Paris sous le n°330 526 062 en est radiée 15 mai 2008
  • [3] Agrément de la CPPAP de 1985 à 2006
  • [4] La Lettre A du 27 juillet 2020
  • [5] In La Croix du 30 octobre 2019

Dernière révision le 26 mars 2024 à 5;51 par

Michel Puech


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