Jack Burlot, est un dinosaure du photojournalisme. Il a débuté à 16 ans en 1963, travaillé pour plusieurs agences de presse don’t United Press, Les Reporters Associés et Gamma… Il a collaboré à LIFE Magazine de 1969 à 1974. Autant dire qu’il a connu la guerre. Celle que se font les Russes et les Ukréniens, l’a interpellée, alors il y est allé… Il nous raconte.
J’ai quitté la presse depuis longtemps, mais devant l’énormité de l’invasion russe en Ukraine j’ai suivi, jour après jour sur Facebook, les Sonorama d’Eric Bouvet qui reflétaient une autre approche, concernée et plus humaine au regard de l’agitation de l’actualité.
La fibre journalistique est toujours présente dans ma vie, j’ai donc décidé de partir, à mes frais, vers Odessa et Mykolaïv. Grâce à l’agence Sipa Press j’ai obtenu l’accréditation absolument nécessaire pour obtenir celle de l’armée ukrainienne.
Au début de la guerre il était primordial pour le gouvernement ukrainien de recevoir des journalistes venus du monde entier, les différents services de presse donnaient des autorisations et/ou organisaient des voyages de presse en fonctions des événements et des nécessités politiques.
Mais en ce mois d’août 2022, il n‘y a plus de visite autorisée du littoral. Natalia Humeniuk, la journaliste ukrainienne devenu attachée de presse, n’organise plus de visites et certains endroits comme la zone du fameux escalier du Potemkine sont interdits. La peur de l’espionnage est à l’ordre du jour ! Tout cela n’empêche pas les civils d’Odessa de vivre dans une ambiance d’été, comme sur la Riviera française. Les bombardements semblant lointains.
Odessa 26 mars 2022 – Photos © Louai Barakat / Sipa Press
Odessa aout 2022 – Photos ©Jack Burlot / Sipa press
Je ne suis guère resté à Odessa, et j’ai pris la route pour Mykolaïv, ville industrielle de 500 000 habitants essentiellement russophone. La ville a subi et repoussé l’armée russe au début de la guerre, destructions, ambiance maussade… J’ai poursuivi vers Kherson avec l’intention d’aller plus avant vers le front. J’ai été accueilli avec étonnement par le dernier barrage, ambiance amicale de la part des soldats, mais nécessitant d’obtenir un laisser-passer de la région (oblast) pour aller plus loin. Je fais les démarches nécessaires auprès de Dmytro Pletenchuk, officier de presse de l’armée, qui me précise que je devrais être accompagné d’un soldat pour photographier.
Je reçois le lendemain du service de presse de l’Administration militaire régionale de Mykolaïv l’autorisation accompagnée « des règles de travail » suivantes que je dois faire miennes :
« Étant sur le territoire de la région de Nikolaïev et dans l’exercice de mes fonctions, je m’engage à respecter les règles suivantes :
– Ne pas publier de quelque manière que ce soit : les noms des unités militaires (brigades), leur emplacement, la quantité de troupes dans les unités et les subdivisions, la quantité d’armes, d’équipements, leur état et leur lieu de stockage. Mouvement et déploiement des troupes (nom, nombre, itinéraires), coordonnées des positions. La protection militaire existante est telle que : armes et équipements (sauf visibles ou évidents). Unités militaires et leurs tactiques, méthodes d’action. Les plans pour la sécurité des troupes (désinformation, camouflage, contre-action). Il est interdit de publier des photos et des vidéos de la défense aérienne ukrainienne sous quelque forme que ce soit.
– Ne pas filmer les points dde contrôle.
– Ne pas filmer l’emplacement ou le mouvement des unités militaires ukrainiennes.
– Les photos et vidéos de militaires ne doivent être prises qu’après le consentement de la personne à se conformer à toutes les exigences et règles.
– Ne pas publier ou diffuser rapidement, de quelque manière que ce soit, des vidéos et des photos de villes frappées où sont tombés des missiles dans les villes et villages d’Ukraine avant 12 heures après la frappe. N’indiquez pas d’adresse exacte et ne montrez pas de plans permettant d’identifier la zone où les missiles ont frappé. Lors de la publication, indiquez uniquement le nom de la localité ou la zone où le missile a frappé.
– Ne publiez en aucun cas et n’indiquez pas les noms de rue, les adresses et/ou les noms des unités militaires, des abris civils, des établissements de santé, des infrastructures, la Ne publiez des photos et/ou des vidéos de ces objets que de manière à ce qu’il soit impossible d’identifier leur emplacement.
– Ne pas filmer les voies publiques, ne pas filmer les installations publiques, ne pas filmer les infrastructures publiques.
– Pendant le séjour sur le territoire de la région de Nikolaïev, ne pas utiliser de voiture de transmission.
– Ne pas prendre d’enregistrement audio, photo ou vidéo de civils sans le consentement préalable de la personne.
– Ne pas photographier ou filmer les funérailles sans l’autorisation des proches des victimes.
– Ne pas filmer ou prendre de photos des opérations de recherche d’urgence sans le consentement de l’armée ou de l’administration militaire de Mykolaïv.
Je comprends que le non-respect des exigences spécifiées peut entraîner une menace pour la vie et la sécurité des Ukrainiens, nuire à la défense de la région de Nikolaïev, à la population militaire et civile de l’Ukraine.
Je confirme que je remplirai toutes les exigences légales des militaires ukrainiens, des représentants des forces de l’ordre, des sauveteurs, des médecins, des représentants de la défense du territoire et du maintien de l’ordre public, des représentants de l’administration militaire de Nikolaïev.
Je suis informé qu’en cas de non-respect de l’un des points susmentionnés, mon accréditation dans la région de Nikolaïev sera annulée. »
Comment photographier dans ces conditions ?
J’avais l’intention de faire un sujet sur les dégâts de la guerre et l’histoire d’un soldat blessé au front, mais on ne peut pas photographier sans contrôle. L’espionite concerne non seulement les journalistes, mais également la population civile. On ne peux faire que de rapides prises de vue, et, dans la mesure où cela sert le gouvernement ukrainien. Il a eu des moments de vraie foire aux images, à Irpin, lors de la bataille de Kiev, à Boutcha autour des fosses communes… Même si, les autorités avaient besoin de montrer l’horreur, elles ont été aussi choquées par les centaines de photographes et de caméras se penchant sur les cadavres… Contrairement à l’époque où j’ai couvert des conflits, ce qui est frappant c’est le nombre de photographes sur le terrain et l’énormité de la production. Le matériel numérique a engendré de nouveaux talents, c’est incontestable, mais la profusion d’images tue ce qui était rare dans les années 70/90, le regard du photographe. Au milieu de ces dizaines de millions de clichés ! Qu’est-ce qu’un regard ?
Cette guerre est un conflit entièrement médiatique. Les uns pour obtenir de l’aide, les autres pour désinformer. Le front c’est le web, et il est impossible d’aller sur la ligne de front réelle, raconter la réalité .
Seules Associated Press (AP), Reuters, et l’Agence France Presse (AFP), avec d’excellents et courageux reporters ukrainiens, et l’armée, peuvent photographier et diffuser leurs images.
Jack BurlotDernière révision le 9 octobre 2024 à 9:43 am GMT+0100 par