Iryna Danylovych durant son procès en décembre 2022 à Rostov. Photo Crimean Process

La guerre en Ukraine déclenchée par la Russie n’est pas uniquement une guerre de territoires. C’est aussi un conflit idéologique, un conflit contre la liberté d’expression, un conflit contre les journalistes où tout est fait pour les broyer.

Depuis 2014, l’état russe en occupant la Crimée fin février, puis en armant une insurrection séparatiste à prendre corps en avril dans le Donbass, la Russie a pris des territoires. Près de dix pour cent du territoire ukrainien, 9,36% exactement, ce n’est pas rien. C’est presque deux fois la surface de la Belgique. Cette guerre n’est cependant pas qu’une prise de terres et de ressources minières ou agricoles, c’est également – surtout – une guerre idéologique. Une vision des choses du monde contre une autre. Celle vue du Kremlin contre celle vue de Maidan.

Aussi, depuis 2014, pour imposer sa vision culturelle des choses, le pouvoir russe s’échine-t-il à effacer toute trace de culture ukrainienne dans les territoires qu’il a annexés. Pour imposer sa vision de l’histoire, il reformate les enfants (lire à ce sujet l’article du quotidien Le Monde du 14/12/2025 « Dans les territoires occupés d’Ukraine, la Russie transforme les écoles en espaces de militarisation et de propagande ». Pour imposer sa vision de la culture, il détruit les lieux culturels (plus de 1100 ont été bombardés depuis fin février 2022). Pour imposer sa vision de la liberté, il s’attaque à la presse. Dans la Fédération de Russie bien sûr, mais surtout dans les territoires ukrainiens occupés, la Crimée et les oblasts de Louhansk et Donetsk depuis 2014, puis les oblasts de Kherson et Zaporijia depuis 2022.

« Je pense qu’il était de mon devoir de témoigner » Viktoriia Roshchina

Portrait non daté de Viktoriia Roshchina, journaliste ukrainienne arrêtée par le FSB en 2023 et décédée en prison le 19 septembre 2024.

Vingt-neuf journalistes ukrainiens sont aujourd’hui lourdement condamnés ou emprisonnés en attente de jugement. S’ils ne décèdent pas avant leur procès dans des établissements qui ressemblent davantage à des centres de torture ou des mouroirs. C’est le cas pour Viktoriia Roshchina, 27 ans, qui disparaît en août 2023 alors qu’elle enquête sur l’occupation russe de l’oblast de Kherson, probablement pour rendre compte de la destruction du barrage de Kakhovka en juin 2023. Elle a déjà écrit au sujet de la vie dans les zones occupées par la Russie en Ukraine, en particulier la Crimée, et sur le siège de Mariupol. Se rendre, malgré les dangers, dans les territoires occupés par l’armée russe était un leitmotiv pour la journaliste : « Je pense qu’il était de mon devoir de témoigner de la situation dans cette ville assiégée » raconte-t-elle en 2022.

Elle est arrêtée pendant dix jours en 2022 par le Service fédéral de sécurité russe. De cette détention, elle a rédigé en septembre 2022 un article pour le media Hromadske, « Une semaine de captivité aux mains des occupants. Comment j’ai échappé au FSB, aux hommes de Kadyrov et aux Daghestanais ». Dans cet article, elle raconte que ses géôliers lui ont déclaré que « Nous n’avons pas de conscience, les lois ne sont pas faites pour nous » ou « Si vous êtes enterrée quelque part ici, personne ne le saura jamais et personne ne vous retrouvera jamais », une façon de faire psychologiquement pression sur la journaliste. Son téléphone et sa caméra, considérés comme des « instruments de propagande » sont confisqués. Elle est libérée mais ne cesse pas pour autant de se rendre dans les territoires occupés, illégalement bien sûr car aucun journaliste ukrainien ne peut y être autorisé à travailler.

Sa famille, ses amis lui enjoignent de ne pas y retourner. Elle ne les écoute pas, jugeant que les atrocités passent souvent inaperçues en raison du danger extrême encouru par les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Son abnégation lui offre le prix Courage in Journalism 2022 de la Fondation internationale des femmes dans les médias, un prix pour lequel elle déclare « Je ne considère pas cela comme du courage, mais plutôt comme mon devoir professionnel. » Un devoir professionnel que ne respecte aucunement l’occupant. Sa disparition, effective dès la mi-août 2023, est rendue publique début octobre par sa famille, à travers des reportages dans le media américain, The Daily Beast, et en Ukraine dans l’Ukrayinska Pravda. Malgré la mobilisation de ses confrères ukrainiens, il n’y a pas de nouvelles d’elle avant qu’une co-détenue de la sinistre prison de Taganrog ne déclare l’avoir vue début septembre 2024. Taganrog dans la région de Rostov-sur-le-Don, un lieu de détention que Forbidden Stories qualifie d’usine « à broyer les Ukrainiens » dans une enquête publiée en avril 2025 avec le Washington Post. Viktoriia Roshchina serait morte d’une grève de la fin le 19 septembre. Quand le corps sera rendu dans le cadre d’un échange de prisonniers en février 2025, Iouriï Belooussov, un responsable au bureau du procureur général ukrainien, déclare :

« L’examen médico-légal a révélé de nombreux signes de torture et de mauvais traitements sur le corps de la victime ». Ce responsable précise que le corps auquel manquent les yeux, le larynx et des parties du cerveau, montre une côte brisée, des blessures au cou ainsi que « des traces possibles de décharges électriques sur les pieds ».

« Donbass, un journaliste en camp raconte » Stanislav Asseyev

Ce qu’a vécu Viktoriia Roshchina est également décrit par Stanislav Asseyev. Ce journaliste et bloggeur ukrainien couvre, sous pseudonyme, le conflit dans le Donbass. Il est enlevé en mai 2017 et accusé d’espionnage. Il est détenu dans la très sinistre Izolatsia, « Isolement » en ukrainien. Izolatsia, une prison créée après la prise de Donetsk en 2014, où échouent les détenus condamnés par des tribunaux illégaux de la « République populaire de Donetsk ». Sous la pression d’Human Rights Watch, de Reporters sans Frontières et de l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, il est libéré en décembre 2019. De ses deux années à Izolatsia, il a rédigé un ouvrage édifiant, « Donbass, un journaliste en camp raconte » dans lequel il décrit les sévices perpétrés sur les prisonniers, dont lui-même, les tortures, viols, humiliations et travaux forcés. Ce livre, traduit en français aux Editions Atlande, ne peut que renvoyer aux descriptions d’Alexandre Soljénitsyne, L’Archipel du Goulag, paru aux débuts des années 70. Rien n’a changé dans les méthodes russes.

Ils sont encore nombreux à vivre aujourd’hui ce qu’ont traversé Viktoriia Roshchina et Stanislav Asseyev. Par exemple, on ne peut pas aujourd’hui communiquer avec Iryna Levhcenko. Journaliste à Melitopol, elle a été enlevée avec son mari en mai 2023. Elle est toujours détenue à Melitopol mais le sort de son mari est inconnu. Impossible de savoir où il est détenu, ni même s’il est toujours en vie.

Oleksiy Bessarabov a été arrêté à Sébastopol en novembre 2016 par le FSB, de même que Volodymyr Dudka. Oleksiy Bessarabov écrivait pour un magazine de Crimée, Chornomoska Bezpeka, et pour Nomos, un centre d’assistance à l’étude des questions géopolitiques et de la coopération euro-atlantique de la région de la mer Noire. Il était également rédacteur en chef adjoint de la revue Black Sea Security. En juin 2018, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il exige des autorités russes qu’elles libèrent immédiatement et sans condition les citoyens ukrainiens détenus illégalement, dont Oleksiy Bessarabov. Renvoyés devant un tribunal pour une affaire de sabotage puis accusé de préparation d’un détournement en groupe organisé, les deux hommes sont condamnés à 14 ans d’emprisonnement en 2019. Quoique les deux hommes aient indiqué que leurs aveux leur ont été arrachés sous la torture, le Comité d’enquête de Russie a nié l’ouverture de procédures de torture contre les prisonniers. Une posture que contrecarrent l’autopsie du corps de Viktoriia Roshchina ou le livre de Stanislav Asseyev. Le 5 décembre 2025, à l’occasion du 49e anniversaire du journaliste de Chornomoska Bezpeka, la Tom Lantos Human Rights Commission de la Chambre des représentants présidée par le sénateur du Massachusetts Jim McGovern a, une nouvelle fois, demandé sa libération.

Maksym Rupchov fait partie d’un groupe de 7 professionnels des médias arrêté à Melitopol le 23 août 2023. Il n’y a que peu d’informations sur le sort des journalistes de ce groupe. Tout comme Maksym Rupchov, Yana Suvorova, 19 ans, écrivait pour la chaîne Telegram RIA Melitopol et Melitopol tse Ukraina et elle en était la modératrice. En 2025, elle a pu faire passer un bref message de la prison de Taganrog où elle est détenue, celle-là où est décédée Viktoriia Roshchina. Son message est bref :

« Je suis au centre de détention n°2 de Taganrog. Je devais partir pour Rostov, mais à la dernière minute, mon transfert a été annulé sans explication. J’attends des nouvelles comme on attend qu’il pleuve en mer et je suis très inquiète. »

Les nouvelles sont tout aussi lacunaires pour les 5 autres rédacteurs de la chaîne Melitopol tse Ukraina (Melitopol, c’est l’Ukraine), Vladyslav Hershon, Anastasia Hlukhovska, Mark Kaliush, Heorhiy Levchenko et Oleksandr Malyshev. Après avoir été détenu à Marioupol, Vladyslav Hershon a été transféré à Rostov où il attend d’être jugé. Son dernier message date de juin 2025, son procès est sans cesse repoussé. Oleksandr Malyshev attend son procès à Marioupol en compagnie de Maksym Rupchov. Leurs procès pour appartenance à une organisation terroriste, attentat et espionnage ont été également plusieurs fois ajournés.

Les mêmes accusations sont portées contre Yana Suvorova qui aurait dû être jugée en septembre à Rostov après des accusations « d’avoir voulu participer à des opérations de sabotage » en lien avec des officiers ukrainiens. Mark Kaliush, autre collaborateur de Melitopol tse Ukraina, est plus complexe mais n’est pas sans rappeler des propos d’Alexandre Soljenitsyne, un demi-siècle plus tôt. Initialement accusé de préparation d’un acte terroriste et détention illégale d’explosifs, la justice russe l’a exempté de responsabilité pénale le 7 juillet 2025 mais l’a interné de force dans un hôpital psychiatrique pour schizophrénie. Il a finalement été libéré le 24 août 2025 dans le cadre d’un échange de prisonniers. Le journaliste Heorhiy Levchenko, accusé d’appel à l’extrémisme et trahison, n’est plus à Mariupol et son lieu de détention est inconnu. Enfin, Anastasia Hlukhovska, un temps enfermée à Taganrog, est dans un lieu inconnu depuis fin 2023. Dans un communiqué d’août 2025, Reporters sans Frontières écrivait qu’elle « aurait été envoyée dans une prison russe à plusieurs milliers de kilomètres de sa région natale sans qu’aucune confirmation officielle n’ait été donnée. »

RIA Melitopol continue néanmoins son travail d’information critique sur l’occupation de la région. Un article publié le 13 décembre est intitulé : « Fantaisie immobilière : quels sont les projets des occupants pour la « perestroïka d’ici 2030 » dans la région de Zaporijia ? », tandis qu’un autre, de la veille, titre « 300 ascenseurs promis, 22 installés, 0 en service : à Berdiansk, dans la région occupée de Zaporijia, les nouveaux ascenseurs n’ont jamais fonctionné. ».

Server Mustafayev. Collages d’Anastasia Struk. Les images utilisent une photo de l’initiative citoyenne « Solidarité de Crimée » provenant du tribunal, une illustration de Maria Glushko et des photographies d’Oleksandra Yefymenko.

Server Mustafayev, journaliste à Crimean Solidarity et défenseur des droits humains, qui était resté en Crimée après son annexion, a été arrêté à son domicile en mai 2018 et détenu pour des accusations liées au terrorisme. En septembre 2019, il a été transféré dans le centre de la Russie dans l’attente de sa comparution devant un tribunal militaire. Il a été condamné en septembre 2020 à 14 ans d’emprisonnement et est détenu dans la prison de Tambov. Tambov, où furent internés de nombreux Alsaciens et Lorrains pendant la Seconde guerre mondiale et dont l’existence a longtemps été niée par les autorités, est une colonie pénitentiaire située à 420 km au sud-est de Moscou.

Seyran Saliyev documentait les perquisitions massives régulièrement organisées par les services de sécurité dans les villages tatars pour Crimean Solidarity. Il a été arrêté en octobre 2017 et condamné à 16 ans d’emprisonnement, également sur des accusations montées de toutes pièces de tentative de sabotage. Sa peine a ensuite été réduite à 15 ans. Il est depuis détenu dans une prison de la région de Tula, à 180 km au sud de Moscou. Son épouse, Mumine Salieva, n’a pu le voir qu’une fois, en novembre 2022, au parloir de la prison. Accusé en juillet 2024 d’avoir « violé à plusieurs reprises l’ordre prescrit d’exécuter sa peine », il a été enfermé dans un quartier de la prison aux conditions bien plus sévères. Son épouse dénonce une affaire « fabriquée de toutes pièces pour des motifs exclusivement politiques et sur ordre des autorités, ordre qui continue d’être exécuté même après le jugement. »

En même temps que Seyran Saliyev, ont été condamnés Marlen Asanov, Memet Belyalov, Server Zekiryaev, Tymur Ibrahimov et Edem Smailov, eux aussi collaborateurs de Crimean Solidarity. Ces cinq autres journalistes citoyens sont également détenus en quartier de haute sécurité, après une condamnation à 16 ans d’emprisonnement en septembre 2020 et 19 ans pour Marlen Asanov. En mars 2024, toujours en Crimée, des agents du FSB ont arrêté deux autres journalistes travaillant pour Crimean Solidarity, Rustem Osmanov et Aziz Azizov. Tous deux sont accusés d’appartenir à une organisation terroriste et sont toujours détenus. Selon un communiqué publié par des organisations locales de défense des droits humains, Rustem Osmanov et Aziz Azizov sont accusés d’implication dans le groupe islamique Hizb ut-Tahrir que la Fédération de Russie a qualifié d’organisation terroriste. Les deux journalistes écrivaient pour Crimean Solidarity depuis 2016 pour Rustem Osmanov et depuis 2019 pour Aziz Azizov. Ils documentaient notamment les procès et les perquisitions de domiciles de tatars de Crimée.

Il n’existe plus ni journalisme libre, ni liberté d’expression en Crimée, et les méthodes d’intimidation les plus courantes contre les professionnels des médias et les journalistes sont les perquisitions domiciliaires, l’arrestation, les poursuites pénales et la détention. La loi sur les « fausses nouvelles militaires », en vigueur depuis mars 2022 et renforcée en 2024, condamne d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de privation de liberté pour celles ou ceux, incluant les journalistes, qui utilisent le terme de guerre en Ukraine ou discréditent les forces armées russes. Suivant cette loi qui est couramment utilisée contre les médias, ceux-ci se voient systématiquement accusés de « sabotage », « terrorisme », « mensonges », « atteinte à la sécurité de l’état » ou « déstabilisation du régime » dès qu’ils dénoncent ce qui se passe dans les territoires annexés. Crimean Solidarity poursuit néanmoins ses enquêtes. Le 12 décembre 2025, le site publie une enquête qui dénonce un régime politique qui « vise à contraindre les avocats et les défenseurs des droits humains à cesser leurs activités ou à se placer sous le contrôle des autorités d’occupation. Ainsi, la plupart des avocats en Crimée occupée ont été radiés du barreau et sont constamment soumis à des pressions et à des persécutions. ». Les journalistes de Crimean Solidarity qui écrivent de façon anonyme s’engagent à « continuer à surveiller la situation des droits de l’homme en Crimée occupée, documenter les violations des droits de l’homme et les crimes de guerre afin de contribuer à traduire les responsables en justice. »

Accusé d’espionnage et de préparer un sabotage, le journaliste Dmytro Shtyblikov a été arrêté en 2016 en même temps que Oleksiy Bessarabov et Volodymyr Dudka. Alors que ces deux derniers ont été condamnés à 14 ans de détention. Dmytro Shtyblikov a d’abord été condamné à 5 ans de prison, mais au terme de sa détention il a été accusé de haute trahison puis condamné en avril 2022 à 19 ans et six mois de colonie pénitentiaire. Aujourd’hui âgé de 55 ans, il est détenu dans une prison de Omsk, en Sibérie, et les dernières nouvelles de son état physique sont inquiétantes. Dmytro Shtyblikov rédigeait des articles dans le domaine militaire pour Domos.

Ceux qui écrivent sur le sort des Tatars et qui défendent leurs droits sont particulièrement visés par le pouvoir russe. Osman Arifmemetov, qui écrivait sur la situation des Tatars de Crimée depuis l’annexion de la région par la Russie, a été arrêté le 27 mars 2019. Le 24 novembre 2022, il est condamné par une cour militaire à Rostov à 14 ans en colonie pénitentiaire de haute sécurité, notamment au motif de « se préparer à des actions visant à la prise de pouvoir par la force ou au maintien du pouvoir par la force ». Ce même 24 novembre, Rustem Sheikhaliyev, qui écrivait pour le même média qu’Osman Arifmemetov et arrêté le même jour que ce dernier, est aussi condamné à 14 ans de privation de liberté. Deux ans plus tôt qu’Osman Arifmemetov, Ernes Ametov, autre membre de Crimean Solidarity, est arrêté en octobre 2017 et condamné cinq ans plus tard, le 29 décembre 2022, pour « terrorisme présumé » à 11 années de prison qu’il purge dans un endroit non déterminé. La sentence est encore plus lourde pour le journaliste tatar Remzi Bekirov, 19 années de détention pour « terrorisme présumé » et « volonté de renverser le pouvoir russe », également condamné par le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don. Asan Akhtemov est un autre des journalistes d’origine tatar arrêté en septembre 2021. Journaliste pour le média tatar Gazeta Avdet qui traite de la culture et l’histoire des Tatars de Crimée, il a été torturé pour obtenir des aveux sur l’explosion d’un gazoduc dans le village de Perevalne, en Crimée. Accusé de terrorisme, il a été condamné à 13 ans de réclusion en septembre 2021. Gazeta Avdet poursuit néanmoins son travail d’information et a publié le 30 octobre 2025 un article critique sur l’apprentissage de la langue tatare aujourd’hui en Crimée annexée.

Parce qu’il écrivait également sur la violation des droits humains en Crimée annexée, Ruslan Suleymanov, détenu depuis mars 2019, a aussi été condamné à 14 ans de prison pour terrorisme par le tribunal militaire de Rostov. Il est aujourd’hui emprisonné dans la colonie pénitentiaire de Murmansk où il est à l’isolement. Son frère, Amet Suleymanov, qui écrivait aussi sur la condition des Tatars, a été condamné à 12 ans de prison.

Hennadiy Osmak était le rédacteur en chef du media en ligne Novyi Vizyt à Henichek, dans la partie occupée de l’oblast de Kherson. Il a longtemps dirigé la télévision d’État locale avant de lancer son propre portail d’information, qui est rapidement devenu l’un des plus populaires de la région. Novyi Vizyt était le deuxième journal le plus regardé de la région de Kherson, attirant un large public, notamment lors de la couverture des événements à la frontière administrative avec la Crimée. Il a été arrêté en mars 2024 sur le chef d’accusation d’être « engagé dans un groupe militaire ». Initialement condamné à trois ans et deux mois de prison, dont un an à purger dans une colonie pénitentiaire à régime strict, une cour d’appel a confirmé la sentence le 12 décembre 2025 d’après la chaîne d’information Spilka sur Telegram. Hennadiy Osmak avait fermé Novyi Vizyt bien avant son arrestation.

Créateur en mai 2022 et administrateur de la chaîne Telegram @Mitopol, Yevheniy Ilchenko est arrêté le 10 juillet 2022 à Melitopol par les forces d’occupation russes. Avocat de formation, il écrit dès le 3 mai 2022 vouloir proposer « Analyses, événements et faits » sur la présence de l’armée russe à Melitopol. Il documente dès lors les problèmes de ravitaillement, la présence des occupants dans les rues de la ville et la corruption des nouvelles autorités locales. Quelques heures avant son arrestation, il publie une vidéo des files d’attente pour l’obtention de documents administratifs qu’il légende « La réalité de l’occupation en l’absence des autorités ukrainiennes ». D’abord détenu plusieurs semaines dans la ville et dans des messages de Yevheniy Ilchenko que RSF a pu consulter,

« Les prisonniers étaient régulièrement soumis à des électrocutions, notamment aux parties génitales. Parfois, ils étaient conduits nus dans une forêt, la nuit, pour une simulation d’exécution, avant d’être ramenés, terrorisés, en prison ».

Le citoyen journaliste est ensuite condamné pendant plusieurs mois à des travaux forcés, notamment la construction de tranchées pour les soldats russes sur la ligne de front. Après passé plusieurs mois de ce régime, Yevheniy Ilchenko serait actuellement détenu à Taganrog.

En 2022, Vilen Temeryanov est journaliste pour Grany.ru, un quotidien en ligne russe fondé le 14 décembre 2000 et propriété jusqu’en 2005 de Boris Berezovsky, un oligarque poursuivi par la justice et qui doit fuir la Russie. Le quotidien publie des articles et des vidéos en soutien à l’opposition et aux prisonniers politiques, ainsi que des analyses et des critiques de l’actualité politique russe et internationale. Vilen Temeryanov, qui écrit également pour Crimean Solidarity, est arrêté en 2022 au motif « d’intelligence avec l’ennemi ukrainien » et « tentative de sabotage ». Le 1er septembre 2023, la publication de Grany.ru est suspendue par la rédaction. Le 26 novembre 2025, Vilen Temeryanov est condamné à 14 ans d’emprisonnement par le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don. Les trois premières années de sa peine seront purgées en prison – une peine déjà effectuée puisqu’il a été arrêté il y a plus de trois ans – et le reste dans une colonie pénitentiaire de haute sécurité.

Dans cette trop longue énumération de journalistes de presse écrite, il faut citer une journaliste radio, Iryna Danylovych qui travaillait pour Radio Liberty. Arrêtée à Koktebel, une station balnéaire au sud de la Crimée le 29 avril 2022, elle a été condamnée en décembre de la même année à 7 années de détention et transférée dans un établissement pénitentiaire en Russie, prison où l’ONG Front Line Defenders dénonce qu’elle y est privée de soins médicaux et le media INzhyr écrit que « Danylovych a été battue et étranglée par des agents du FSB ». Iryna Danylovych traitait des problèmes du système de santé en Crimée, notamment la réponse des autorités à la pandémie de Covid-19. Elle coopérait avec de nombreux médias indépendants, dont Crimean Process qui couvre les audiences sur des affaires politiques en Crimée, et le site INzhyr qui publie en ukrainien, en russe et en anglais des articles sur la situation en Crimée. Le 28 octobre 2025, un article traite de la situation des femmes tatars en Crimée en répondant à deux questions : « Quelles formes de répression sont utilisées contre les femmes de Crimée ? » et « Quand cette spirale répressive s’est-elle intensifiée ? » Dans une lettre adressée en juillet 2025 à Pina Picierno, vice-présidente du Parlement européen, la journaliste ukrainienne dénonce les tortures psychologiques infligées aux détenues de la prison russe pour femmes de Zelenokumsk, dans l’extrême sud de la Russie, où elle est incarcérée.

Pour conclure cette liste des journalistes indûment emprisonnés, il faut citer le cas de Zhanna Kyselova. Rédactrice en chef du journal local Kakhovska Zorya, fermé après l’invasion du 24 février 2022, Zhanna Kyselova est arrêtée à son domicile de Kakhovka, ville de la région de Kherson, le 27 juin 2024 par les forces russes. Aucune information n’a été donnée par Moscou sur son sort ni sur le lieu de sa détention. Si elle est toujours en vie, ce sont donc 30 journalistes ukrainiens toujours détenus en Russie. Auxquels il faut ajouter au moins 23 journalistes russes également emprisonnés.

Thierry Birrer
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